Aude Denizot : un livre-alarme sur l’effondrement du niveau d’écriture et la ruine de l’école française

Dans son ouvrage Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire ? (Enrick Éditions), paru en 2022, l’universitaire Aude Denizot signait l’un des diagnostics les plus tranchants publiés ces dernières années sur l’école. Professeure de droit privé, ancienne enseignante en lycée et mère de quatre enfants, elle observe depuis deux décennies ce qu’elle considère comme un véritable décrochage intellectuel : en France, la maîtrise du français écrit se délite, les étudiants arrivent à l’université sans savoir rédiger une phrase correcte, les accords disparaissent, le sens des mots s’effondre. Et loin d’être marginal, le phénomène touche désormais une part importante de la jeunesse.

Le livre n’est pas une lamentation nostalgique de plus. Il s’appuie sur des copies réelles, des dictées, des dissertations, des exemples parfois sidérants — « méson » pour « maison », « contra » sans t, ou encore « fée lation » en lieu et place de « fellation ». Au-delà de l’anecdote, Denizot interroge : comment l’école a-t-elle pu produire des enfants incapables de formuler une pensée claire ? Pourquoi les fautes les plus élémentaires ne sont-elles plus corrigées ?

La photocopie, symptôme d’un effondrement pédagogique

Le cœur de la thèse de l’autrice est simple : l’école a cessé de faire écrire les élèves. À partir des années 1980, la photocopie s’est imposée partout — cahiers, leçons, exercices. Plus de textes copiés à la main, plus de répétitions, plus d’apprentissage musculaire de l’écriture. Résultat : une génération entière a grandi sans s’entraîner à écrire, et l’université récupère aujourd’hui des étudiants qui ne maîtrisent ni la syntaxe, ni la ponctuation, ni même la différence entre a et à.

Pour Denizot, la photocopie serait le fast-food scolaire : rapide, pratique, mais intellectuellement vide. Les enfants ne lisent plus leurs phrases, ne les construisent plus, ne les mémorisent plus. L’école a remplacé l’effort par le surlignage fluo.

La réflexion de l’universitaire s’inscrit également dans un débat brûlant : celui du baccalauréat et de sa perte de valeur. Selon elle, durcir l’examen n’aurait plus de sens tant que la notation est incohérente et que les bons élèves sont parfois pénalisés. Denizot va même plus loin : le bac, vidé de sa substance et noyé dans le contrôle continu, devrait être supprimé purement et simplement, puis remplacé un jour — après une vraie réforme — par un examen exigeant, réel marqueur de niveau et d’effort.

Elle dénonce notamment une correction parfois hostile aux copies parfaitement rédigées, notamment celles issues d’écoles hors contrat. À l’inverse, des travaux truffés de fautes obtiendraient la moyenne au nom d’une forme d’indulgence institutionnalisée. Une école où exceller devient suspect.

Numérique, pédagogies ludiques, classes inversées : l’école s’éparpille

Dans son ouvrage comme dans ses interventions publiques, Aude Denizot critique frontalement l’idéologie pédagogique dominante. L’école demanderait désormais aux enfants de « découvrir eux-mêmes » les règles de grammaire, quand l’apprentissage du français repose sur la transmission directe, la répétition et la correction. De son point de vue, les écrans aggravent encore la chute : l’outil numérique fluidifie les corrections, mais atrophie la construction grammaticale et la mémoire de l’écrit.

Elle ne réclame pas le retour du bonnet d’âne ni de la discipline humiliatrice. Mais un retour du sens, de la phrase, de l’exigence. Une pédagogie verticale, structurée, assumée : l’enseignant transmet, l’élève apprend — et écrit.

Le livre d’Aude Denizot a ceci de dérangeant qu’il met le doigt où ça fait mal. Il bouscule le confort des certitudes scolaires, pointe les angles morts des réformes, accuse l’institution d’avoir abandonné sa mission première : apprendre à écrire. En filigrane se dessine une question politique majeure : quel avenir pour un pays dont la jeunesse ne maîtrise plus sa propre langue ?

Cet ouvrage ouvrage n’est pas seulement une analyse : c’est un signal d’alarme. On peut le contester, le discuter, mais difficile de l’ignorer.

Illustration : DR
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