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Histoire – Livre. Barras, par Christine Le Bozec [interview]

10/04/2016 – 06H30 Rouen (Breizh-info.com) – Les éditions Perrin publient Barras, de Christine Le Bozec. Docteur en histoire, spécialiste de la Révolution française, Christine Le Bozec a enseigné à l’université de Rouen. Elle a publié de nombreux ouvrages dont La Normandie au XVIIIesiècle. Croissance, Lumières et Révolution ; Danton et Robespierre, les deux visages de la Révolution et, chez Perrin, La Première République 1792-1799.

Il s’agit du portrait du “roi du Directoire”, un homme politique à la réputation exécrable, beaucoup plus équilibré et proche de la vérité historique.

Carrière météorique que celle de Barras, né en 1755 dans une famille provençale modeste. En 1782, lorsqu’il quitte l’armée après des missions aux Indes et au Cap, il n’est qu’un obscur lieutenant aux moyens de subsistance inconnus, qui végète jusqu’à la Révolution, dans laquelle il s’engage résolument. A partir de 1792, il connaît une ascension fulgurante qui le propulse, de novembre 1795 à novembre 1799, à la tête de la France aux côtés de quatre autres Directeurs, après que la chute de Robespierre l’a porté sur le devant de la scène. Brusquement, le coup d’Etat de Brumaire met fin à sa trajectoire, et Bonaparte, qu’il avait beaucoup aidé, le chasse avant de l’exiler. Dès la chute de l’Empire, Barras regagne Paris et y meurt en 1829 sans plus avoir l’occasion de jouer un rôle politique.
Aujourd’hui encore, sa mémoire souffre d’une réputation exécrable : il aurait été flambeur, vénal, libertin, débauché. Au terme d’une analyse serrée des sources, l’auteur démontre que la plupart de ces imputations proviennent d’une légende noire forgée par les brumairiens, qui cherchaient ainsi à légitimer leur coup d’Etat de novembre 1799. Cette biographie ne vise pas à rendre le personnage plus vertueux qu’il ne l’était, mais à montrer l’homme politique atypique qu’il fut quatre ans durant à la tête d’un pays en recherche de stabilité.

Pour présenter l’ouvrage, nous avons directement interrogé Christine Le Bozec.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à l’Histoire de France ? Et à la période révolutionnaire ?

Christine Le Bozec : Dès mon entrée 6ème, c’est un merveilleux professeur d’histoire, passionné, passionnant mais très exigeant qui a décidé de ma vocation future : j’enseignerai l’histoire. A l’époque, l’histoire de la Crête me fascinait, bien loin de la période révolutionnaire pour laquelle mon intérêt s’est révélé plus tard. En effet, je fus prise d’une curiosité de plus en plus vive pour ce moment historique si court mais tellement dense, sujet à d’acharnées controverses –voire à de violentes polémiques- et dont les débats historiographiques se perpétuent depuis plus deux siècles.

Breizh-info.com : Barras a attendu 35 ans pour entrer en politique. Comment expliquer vous cet engagement, particulièrement tard pour l’époque ?

Christine Le Bozec : Il faut considérer que Barras, contrairement à bien des hommes de sa génération, n’a eu aucun engagement politique ou sociétal avant 1789-1790. Ne participant guère aux premiers mois révolutionnaires, il n’en fut que le spectateur. Depuis 1786, il n’était qu’un nobliau de province qui, après avoir démissionné de l’armée, s’était retrouvé sur la pavé parisien désargenté, à la fois traîne-savate et raté. A l’inverse de ses collègues futurs, il n’a jamais poussé à un bouleversement, ni milité pour un quelconque changement, en revanche il a senti, alors que le processus révolutionnaire était en marche, que la situation nouvelle lui offrait, peut-être, le moyen d’échapper à cette médiocrité qui était son lot. Il s’est contenté de saisir l’occasion.

Breizh-info.com : Quelles furent ses motivations pour entrer au club des Jacobins ? Qu’est-ce qui a poussé à l’époque un provençal pur jus à monter à la capitale pour embrasser la cause révolutionnaire ?

Christine Le Bozec : C’est le mouvement inverse. En 1789, le Provençal qu’il était, se trouve à Paris, et assiste aux événements sans réellement s’engager. Son adhésion au Club des Jacobins fut, peut-être, -on ne peut que le supputer-, inspirée par Mirabeau ou/et le Duc d’Orléans pour qui Barras professa toute sa vie une respectueuse admiration. Il demeure discret sur le sujet. C’est seulement alors qu’il décide de rejoindre son Midi natal pour s’y assurer un tremplin local, puis départemental pour se faire remarquer et s’y imposer. C’est l’homme des intuitions, des coups de chance qui a l’heur de se trouver là au bon moment.

Breizh-info.com : Quelle furent les relations de Barras avec Robespierre ? Avec Bonaparte ?

Christine Le Bozec : Avec Robespierre, il n’eut que très peu de relations avant le 9 thermidor. Elles semblent neutres, de surcroît dans ses mémoires, la plupart de ses considérations à l’encontre de l’Incorruptible sont plutôt bienveillantes. Ce n’est que le hasard d’une journée parlementaire qui le pousse sur le devant de scène au soir du 9 thermidor, journée à laquelle il n’a pas participé directement. Tard dans la soirée, alors que la Convention cherchait un militaire pour assurer l’ordre à Paris, le nom de Barras fut prononcé car il avait acquis une certaine renommée lors de la reprise de Toulon.

Quant à Bonaparte, Barras fut tour à tour son protecteur et son mentor. Il l’a favorisé sur tous les plans, carrière militaire, promotions, problèmes financiers, familiaux et conjugaux, il a protégé sa famille, les a tous sortis de la misère, aidés, installés, leur a fourni des sinécures à un point tel que son dévouement en est étonnant et pose question. En guise de remerciements et de reconnaissance, le Premier Consul l’a chassé, poursuivi d’une haine opiniâtre, systématiquement persécuté puis exilé. Il apparaît, telle une évidence, que l’écriture des mémoires de Barras tient lieu de règlement de compte avec Napoléon.

Breizh-info.com : En quoi Barras fut il un homme politique atypique ? Fut-il un bon chef de guerre ?

Christine Le Bozec : Atypique car ce fut avant tout l’homme des coups d’Etat, des coups de mains, des coups de poker, le produit d’heureux hasards qui s’est trouvé, à plusieurs reprises, là au bon moment. Porté au Directoire, il suit mais ne sait pas anticiper, il recule lorsqu’on lui offre le pouvoir personnel ou la dictature. Il n’est donc pas un homme politique au plein du sens du terme. Il n’a pas compris qu’il fallait adopter les codes et les compromissions de la classe politique, alors, en formation. Qu’il était, désormais, censé appartenir à un groupe aux intérêts communs pour lequel la politique était un métier comme un autre, un moyen de vivre, l’assurance de promotion sociale. Il avait conservé, de manière un peu désuète, une forme de panache aristocratique, mêlé au fait que, à la fois vaniteux et candide, il se vivait en homme providentiel assuré qu’on viendrait le chercher. Une douloureuse déception qu’il va ressasser pendant 30 ans jusqu’à un systématique radotage.

Barras, un bon chef de guerre pour le France, c’est aller vite en besogne. Si toute sa vie, la seule titulature qu’il ait revendiquée, est celle de citoyen-général, ses hauts faits d’armes se limitent à la reprise de Toulon, tout en précisant qu’il n’était pas seul, il s’agit, d’abord, d’une victoire collective.

Breizh-info.com : Avez-vous des travaux en cours ?

Christine Le Bozec : Oui, ils concernent, une fois encore, la période révolutionnaire

Breizh-info.com : Quels sont les ouvrages que vous lus récemment et que vous conseilleriez ?

Christine Le Bozec : François Ier, de Didier Le Fur (Perrin), un modèle heuristique, herméneutique et d’une rare élégance d’écriture : quel souffle

La fabrication d’un monstre, de Jean-Clément Martin, (Perrin) une approche très originale et nouvelle de Robespierre, entre déconstruction et reconstruction du mythe par un des historiens les plus familiers de la Révolution française

Propos recueillis par Yann Vallerie

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Barras – Christine Le Bozec – Perrin 

Crédit photos : DR
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