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Le Retour de Tramp (bande dessinée)

Depuis cinq ans, les inconditionnels de la série Tramp attendaient avec impatience la suite des aventures de Yann Calec, officier breton de la marine marchande pendant les années 1950. Cette série maritime, créée en 1993, associe le scénario d’aventures de Jean-Charles Kraehn et le dessin élégant de Patrick Jusseaume. Au fil des différents tomes, elle dénonce la corruption dans la marine marchande, la dictature communiste d’Ho-Chi-Minh, l’emprise des syndicats dans les ports de commerce et, dans son dernier tome, la traite négrière menée par un riche Arabe… La droiture du héros Yann Calec est souvent mise à rude épreuve ! Commençons par rappeler les aventures du héros avant d’analyser le message de cette prestigieuse série.

Dans la première histoire se déroulant en 1950 et composée des quatre premiers tomes, Yann Calec, jeune capitaine du cargo « Belle Hélène », se retrouve au cœur d’une escroquerie à l’assurance. Pour toucher la prime d’assurance, l’armateur véreux paye le commandant d’un ancien sous-marin de la kriegsmarine pour torpiller ce cargo en Amérique du sud. La secrétaire de l’armateur, devenue la petite amie de Yann, n’a pas le temps de le prévenir du danger. Elle est assassinée. Yann comprend que le tueur travaille pour l’armateur. Ayant découvert toute la vérité, il fait l’objet d’une condamnation erronée pour meurtre. Condamné à 19 ans de travaux forcés en Colombie, Yann réussit à s’évader. Il embarque sur le Belle-Hélène, sous une fausse identité, afin d’empêcher le torpillage. Mais torpillé en pleine mer, le navire coule à pic. Le U-boot cherche alors à éliminer les éventuels survivants…

Les tomes 5 et 6 se déroulent en 1951. Yann Calec est le second capitaine du « Ouessant », un paquebot qui longe l’Afrique Equatoriale Française. En Côte d’Ivoire, un sorcier lit dans les viscères d’un poulet la mort prochaine du commandant. Lorsque le corps du commandant assassiné d’un coup de poignard est retrouvé, les gendarmes soupçonnent les dockers noirs. Mais chacun avait une bonne raison de détester le commandant. Yann mène également l’enquête. Il découvrira que le commandant participait à un trafic de diamants…

Changement de décor pour les tomes 7,8 et 9 : en 1952, Yann Calec part en Indochine. Installé à Rouen avec sa femme Rosanna et sa fille Inès, Yann espère obtenir le commandement du « Ouessant ». Mais son armateur lui propose de partir en Indochine, en pleine guerre, livrer des armes à l’armée française. Parce qu’il pense que cette guerre coloniale s’est transformée en guerre contre le communisme, mais aussi en raison de la rémunération élevée, il finit par accepter. Il poursuit également deux quêtes. D’une part, rechercher le fils de son voisin engagé dans la Légion Etrangère sous un faux nom. D’autre part, découvrir comment son père, Pierre-Yves Calec, administrateur d’un village et mercenaire meneur d’hommes, est mort en Indochine. Yann décolle pour Saïgon. Arrivé sur place, il doit prendre le commandement du Thabor, un cargo utilisé par l’armée pour acheminer du matériel, des vivres et des munitions entre Saïgon et Haiphong. Il doit tremper dans des trafics d’armes et de marchandises. Recherchant des renseignements sur son père, Yann parvient jusqu’à la plantation de caoutchouc d’Arnaud de Frontessac. Il y rencontre HaTu, la dernière compagne de son père avec qui elle a eu un enfant. Puis HaTu est devenue l’épouse de Frontessac. Yann découvre que son père, gouverneur local luttant contre le Viêt-Minh, était parti en pleine jungle en quête d’un trésor de pépites d’or…

Dans le tome 10, revenu à Rouen en 1952, Yann Calec espère enfin devenir commandant. Il a racheté un liberty ship pour le transformer en navire marchand qui portera le nom de « Pierrick ». Il lui reste à constituer un équipage. Mais Yann découvre les dures réalités du métier. D’une part, ses anciens employeurs de la compagnie des Chargeurs et Affréteurs Réunis voient d’un très mauvais œil l’arrivée d’un commandant indépendant. D’autre part, le syndicat communiste des marins du port tente d’imposer ses conditions à ce nouveau venu. Mais Yann refuse d’embaucher comme commandant en second un homme lié au syndicat. Ce dernier promet à Yann les pires difficultés. Un jour, alors que le navire est à quai, le gardien du port est retrouvé mort à bord. La police commence son enquête. Autre souci, une grève des dockers empêche Yann et son équipage de se rendre sur son bateau. Yann ne va pas se laisser intimider…

Le onzième et dernier tome vient de sortir. Alors que le cargo de Yann Calec longe les côtes de l’Afrique orientale, il doit faire face à une violente tempête. Quelques caisses sont endommagées. L’équipage découvre alors des armes au milieu des conserves de fruits. Les soupçons de Yann se portent sur son passager, Vermaak. Yann réunit ses hommes dans le carré des officiers pour trouver une solution. Plutôt que de jeter les armes par-dessus bord, Yann décide alors de les cacher sur un ilot afin de négocier avec les trafiquants. Le cargo arrive à Djibouti. Furieuse que Yann ait retenu une solution si dangereuse, Rosanna veut rentrer en France avec leur fille Inès. Malheureusement, quand les trafiquants découvrent que les armes ne sont plus dans la cargaison, ils kidnappent la fille de Yann. Yann obtient l’aide d’un ancien esclave arabe devenu l’un des plus puissants marchands d’esclaves de la région. L’arabe explique que la pratique de l’esclavage fait partie de sa culture et le compare avec les mineurs dans les sociétés occidentales. Pour sauver sa fille, Yann participera à ce trafic d’esclaves…

A la suite des soucis de santé de Patrick Jusseaume, ce onzième tome a d’abord été repoussé. Puis le dessinateur a laissé les pinceaux, après 30 planches, au scénariste Jean-Charles Kraehn. Son amitié pour Patrick Jusseaume l’a naturellement conduit à achever lui-même cet album. Le onzième tome de Tramp est une véritable réussite. Le binôme Jusseaume – Kraehn poursuit ainsi la série avec brio.

Les scénarios du malouin Jean-Charles Kraehn (Gil Saint André, Les aigles décapités, Bout d’homme…) sont très bien ficelés. Le lecteur éprouve toujours autant de plaisir à lire une palpitante aventure maritime. L’air de rien, Kraehn diffuse également un message politique sur l’histoire des années 1950. En Indochine, Kraehn explique qu’Ho-Chi-Minh impose une politique de terreur pour forcer les paysans à rejoindre ses troupes. Mais il montre également que les français sont parfois contraints d’utiliser les mêmes méthodes pour obtenir le soutien des populations autochtones. Dans le tome 10, Kraehn dénonce tant le patronat (la Compagnie des Chargeurs et Affréteurs Réunis) que le syndicat des ouvriers du port. Au fil de ses aventures, malgré son côté naïf, Yann Calec se méfie de plus en plus des arnaques et entourloupes en tous genres. Modèle de droiture, il doit laisser de côté la morale pour se sortir de situations délicates. Dans le tome 11, pour sauver sa fille, il accepte même de transporter des esclaves noirs ! Pour décrire l’esclavage, Kraehn s’est inspiré d’Henry de Monfreid (Les Secrets de la Mer Rouge) et d’Hergé (Coke en stock).

Dans un entretien à la fin du tome 11, Kraehn explique que « la vérité d’un jour n’est déjà pas celle du lendemain, alors la vérité d’une civilisation est encore moins celle d’une autre. C’est ce que nous autres, Occidentaux sûrs et fiers de notre « vertueuse » démocratie, avons du mal à comprendre. Petite pique personnelle à nos beaux esprits donneurs de leçons qui veulent imposer notre modèle de société partout. Pour moi, ils sont les idiots utiles de l’impérialisme financier, cette forme de fascisme « soft » qui est en train d’imposer sa loi à toute la planète en se servant de la démocratie comme paravent à ses turpitudes. Les personnes que l’on fait trimer pour des salaires de misère et que l’on déplace au gré des raisons économiques, en Europe ou ailleurs, sont-elles véritablement libres et heureuses ? La question mérite d’être posée ».

Le succès de la série Tramp est bien sûr dû au magnifique trait de Patrick Jusseaume (Chroniques de la maison le Quéant…). Il commence par réaliser un story-board très élaboré et des croquis préparatoires. Son découpage crée une lisibilité admirable. Il fait une photocopie en A3. Sur un calque il recopie et peaufine le trait sur un papier très fin et sur table lumineuse, sans encrage. Il campe fréquemment des gueules patibulaires. Puis il passe à la couleur. Il crée une très belle lumière et retranscrit avec beaucoup de justesse l’ambiance de l’Indochine. Les scènes maritimes, notamment de tempête, sont superbes. Patrick Jusseaume a embarqué sur des bâtiments de la Marine Nationale. Il n’a jamais cessé de progresser depuis le début de cette série. A l’image de ses modèles italiens Pratt et Giardino, son dessin précis et réaliste est d’une grande élégance qui adoucit le ton souvent dramatique du récit. Il s’agit d’un style épuré, proche de la ligne claire.

Kristol Séhec

Tramp, t. 11, Avis de tempête, 13,99 euros. 64 pages. Éditions Dargaud

Illustrations : DR
Breizh-info.com, 2017, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine.

 

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