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Un christianisme oublié : « le marcionisme »

Les premiers siècles de l’Église ont été marqués par de nombreuses « hérésies », même si ce terme est à relativiser, car le canon orthodoxe s’est lentement mis en place et il n’existe pas d’église « officielle » avant le concile de Nicée (325).

Quelques théologiens du début du premier millénaire ont un statut ambigu : ils sont considérés comme saints, voir comme des Pères de l’Église, mais certains de leurs écrits ou théories sont mis à l’index. C’est le cas de Jean Cassien, un « semi-pélagien ». Les pélagiens étaient les adeptes du moine breton Pélage, déclaré lui hérétique en 418 et qui minimisait le rôle de la grâce divine pour devenir saint. À ce titre, il s’opposait aux thèses du berbère saint Augustin sur la prédestination.

marcionisme

« Imaginez qu’on ne connaisse du quinquennat de M. Macron que ce qu’en rapporte M. Mélenchon »

Nous connaissons mal ces hérésies antiques, car ceux qui étaient à l’origine de ces « déviations » n’ont pas laissé de traces écrites, souvent parce que, faute de partisans, personne n’a conservé leurs textes fondateurs. Les doctrines de ces « hérétiques » sont exposées par leurs adversaires orthodoxes, ce qui induit nécessairement un effet déformant. Imaginez qu’on ne connaisse du quinquennat de M. Macron que ce qu’en rapporte M. Mélenchon. Le portrait ne serait sans doute pas fidèle.

Il existe parmi ces hérésies une pour qui j’éprouve une certaine tendresse – même si jamais je me convertirais à cette secte, car elle est trop extrémiste – le marcionisme. Marcion de Sinope est né en 85 à Sinope (un port d’Anatolie situé sur la mer Noire) et serait mort vers 160, soit à Rome, soit en Asie Mineure. Il appartenait à une riche famille d’armateurs et son père aurait dirigé l’église de Sinope. Il serait venu à Rome en 140 pour se joindre à la communauté chrétienne de la capitale de l’empire dirigée par l’épiscope Pie I (on ne l’appelait pas encore pape). Marcion multiplie les prodigalités, donne en particulier 200 000 sesterces à l’Église de Rome pour ses bonnes œuvres. (Une somme considérable pour l’époque : un esclave valait en moyenne 1 000 sesterces). Ses adversaires l’accusent d’avoir voulu obtenir le premier rôle dans l’Église naissante en utilisant sa fortune. Mais cet érudit met peu à peu au point une théologie qui lui vaut d’être excommunié. On lui rend (avec difficultés) ses 200 000 sesterces et, grâce à sa fortune, il met sur pied une Église et une hiérarchie épiscopale qui subsistent longtemps.

Le marcionisme a persisté en Syrie et en Mésopotamie jusqu’au Vème siècle, peut-être même jusqu’au IXème siècle, et sa doctrine s’est perpétuée par héritage dans des hérésies qui forment une chaîne : pauliniens au IXème siècle, bogomiles au XIème et enfin cathares au XIIème.

En étudiant l’Ancien Testament, Marcion en a tiré une conclusion radicale : le Dieu de l’Ancien Testament n’est pas celui de Jésus. Jéhovah, le Dieu des Juifs, est colérique, juste ; il n’est pas malfaisant, mais n’est pas habité par l’amour, contrairement au « père » de Jésus qui est un Dieu de bonté. Pour Marcion, Jéhovah (appelé encore le Démiurge) a créé le monde sensible et a passé un pacte avec le peuple juif. Il lui promet un messie pour le guider et le placer au firmament des nations. Il ignore qu’existe au-dessus de lui un « vrai » Dieu, celui de l’amour et qui est extérieur à l’univers. Ce dernier, pris de pitié, envoie son « fils » Jésus, qui n’est pas le messie de Jéhovah, pour sauver les hommes du Démiurge et leur permettre d’accéder à la félicité dans le royaume du Dieu suprême.

Marcion rejette toute la Bible hébraïque

Marcion rejette toute la Bible hébraïque et ne retient que dix épîtres de Paul et l’évangile de Luc expurgé de son début. En effet, Jésus n’est pas né d’une vierge. Il n’a connu ni enfance, ni croissance. Il est apparu déjà adulte la quinzième année du règne de Tibère et a commencé sa prédication. Le Démiurge apprend alors qu’il n’est pas le seul Dieu et se venge en faisant crucifier le Christ. Celui-ci part alors dans les enfers (ceux du Démiurge) où il sauve les sodomites, Caïn, les Égyptiens, tous ceux qui s’étaient opposés à Jéhovah et qui acceptent le Dieu d’amour. Mais il doit y laisser Noé et Abraham, trop liés au Dieu hébraïque.

Comme Mani après lui (auquel se rallieront en Occident beaucoup de ses adeptes), Marcion se méfie de la sexualité. Il prône comme idéal une vie sans sexe et sans famille où on se prépare au martyre, car Jéhovah n’aura de cesse d’anéantir les fidèles. À la fin des temps, le Dieu d’amour se fera connaître et éliminera la matière et le Démiurge. Ce refus de la chair est une des causes de la disparition de l’Église fondée par Marcion de Sinope. Si les fidèles ne font plus d’enfants, comment le culte peut-il se perpétuer ?

Si cette hérésie a disparu depuis longtemps, elle marque encore l’imaginaire occidental. Les Nazis trouvaient du charme à ce christianisme qui semblait mettre en accusation les Juifs. Mais d’autres penseurs chrétiens marqués à gauche, comme la grande philosophe chrétienne d’origine juive Simone Weil, ont pu être qualifiés de marcionites.

Quiconque a lu la Bible hébraïque ne peut être que révulsé par les massacres induits par Jéhovah. Pour une raison obscure, il ordonne d’exterminer tous les membres d’un peuple antique, les Madianites, femmes et enfants compris. Le roi Saül est pris de pitié et épargne un jeune madianite. Jéhovah se venge en lui faisant perdre son royaume puis sa vie, car il avait désobéi. Jéhovah est décrit ainsi comme un « monstre » sans cœur.

Sans entrer dans la construction certes cohérente et séduisante de deux Dieux, on peut expliquer la différence flagrante et indéniable entre Jéhovah et le « père » de Jésus, par le contexte dans lesquels ces œuvres baignaient. On ne sait pas qui a rédigé la Bible hébraïque, s’il y a eu deux concepteurs ou plusieurs, et surtout à quelle époque elle a été écrite. L’histoire qu’elle raconte est en contradiction avec l’archéologie. Les Hébreux sont, semble-t-il, issus des populations qui vivaient en Palestine au Xème avant J.-C. et ils ne sont pas venus d’Égypte. Ils n’étaient pas monothéistes. Ils reconnaissaient les dieux des autres peuples, mais rendaient un culte exclusif à leur Dieu particulier Jéhovah. Le refus du polythéisme est venu plus tard, pendant l’exil à Babylone. L’Ancien Testament est violent car l’époque où il est rédigé l’est. Les peuples luttent entre eux et se disputent les territoires. Malheur aux vaincus ! Lorsque les vainqueurs le peuvent, les adultes sont exterminés pour éviter toute revanche, tandis que les femmes et les enfants sont vendus comme esclaves.  En outre, il est de bon ton, lorsqu’une stèle célèbre une victoire de prétendre qu’on a tué tous ses adversaires, même si c’est faux, puisqu’une génération plus tard les ennemis sont toujours là. La Bible hébraïque est donc fidèle à son époque et est son exact reflet.

En fait, ce qui est extraordinaire est la modernité et le « pacifisme » du Nouveau Testament qui a été écrit dans une époque pourtant marquée par une violence épouvantable. Alors que les prétendus Jean, Luc, Marc et Mathieu concevaient leurs évangiles, des centaines de milliers de Juifs ont été tués lors de la grande révolte qui a duré de 66 à 70 et beaucoup de survivants ont été déportés. Les textes sacrés sont pourtant des hymnes à l’amour, même s’ils contiennent quelques reflets des préjugés de l’époque : Jésus, par exemple, est pris de colère à la vue d’un troupeau de porcs, les chasse et provoque leur chute d’une falaise. L’évangile est donc un texte révolutionnaire, même si quelques traces de l’évolution qui mènent à un Dieu d’amour sont déjà perceptibles dans les psaumes.

Christian de Moliner

Crédit photo : DR
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