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Frédéric Granier : « Les Beatles ont apporté une bouffée d’air frais à la société et l’ont débarrassée des derniers oripeaux de l’Angleterre victorienne » [Interview]

Frédéric Granier est journaliste, chef de service au magazine GEO Histoire. Spécialiste de la culture pop et collectionneur de disques, il a écrit de nombreux articles et ouvrages sur la musique et le cinéma. Les Beatles, Quatre garçons dans le siècle (Perrin) est son 4e livre, à propos duquel nous nous sommes entretenus.

Breizh-info.com : Comment se sont formés les Beatles ?

Frédéric Granier : La gestation des Beatles fut une route longue et sinueuse, pour reprendre le titre de The Long And Winding Road ! Tout est parti des Quarry Men, un groupe de rock et de skiffle formé à Liverpool en mars 1957 et dont John Lennon était le leader. Lors d’une fête paroissiale en juillet de la même année, il va rencontrer un adolescent lui aussi très talentueux du nom de Paul McCartney, qui lui présentera un guitariste : George Harrison. Le batteur Pete Best se joindra plus tard à eux (avant d’être remplacé en 1962 par Ringo Starr). Brièvement, les « Fab Four » ne furent pas quatre… mais cinq : Stuart Sutcliffe (décédé en 1962) fut leur éphémère bassiste. Ces premières années, durant lesquelles le groupe a fait son apprentissage dans les clubs de Liverpool et de Hambourg, comptent parmi les plus mouvementées et fascinantes de leur carrière.

Breizh-info.com : Qu’avez-vous, à travers ce livre, voulu écrire qui n’ai déjà été écrit sur le groupe ?

Frédéric Granier : Chaque biographie apporte sa pierre à l’édifice. Depuis plus de deux ans, j’ai rencontré des collaborateurs du groupe, des proches de John, Paul, George et Ringo, des fans, des attachés de presse, qui m’ont livré des anecdotes souvent étonnantes sur cette aventure extraordinaire. Surtout, à l’occasion des cinquante ans de la séparation du groupe, je souhaitais réaliser une biographie historique et pas simplement un album anniversaire ou une analyse discographique : il s’agissait de replacer le groupe dans le contexte de son époque et d’analyser tous les bouleversements qu’il a causé, qu’ils soient ou non musicaux : l’émergence de la culture de masse, le psychédélisme, les mouvements pacifistes…

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui explique selon vous, le succès rencontré ? N’ont-ils pas finalement eu beaucoup de chance à l’époque, eu égard au nombre d’autres groupes qui, eux aussi, auraient potentiellement pu percer musicalement ?

Frédéric Granier : Les Beatles n’ont pas inventé le rock ou la pop. Mais avec un enthousiasme sans pareil, une énergie débordante et une sacrée dose de talent, ils ont fait entrer le genre dans une nouvelle ère. Quant à savoir si d’autres auraient pu réussir à leur place, personne ne peut le savoir !

Breizh-info.com : Pourquoi et sous quelle forme se traduit la rivalité avec les Rolling Stones ?

Frédéric Granier : Cette rivalité a été construite de toute pièce par des journalistes en manque de sensation. Dans les années 1960 et 1970, il fallait choisir son camp. On était soit Beatles soit Stones, impossible de ne pas trancher. Alors qu’on peut très bien apprécier autant les splendeurs d’Abbey Road que celles de Beggars Banquet ou de Let It Bleed… Il n’y a jamais eu de guerre entre les deux groupes : leurs maisons de disques respectives (EMI et Decca) s’arrangeaient toujours pour que leurs singles ne sortent pas aux mêmes dates et éviter ainsi une confrontation. Par ailleurs, John et Paul ont « offert » une de leurs compositions aux Stones (I Wanna Be Your Man en 1963) qui deviendra leur premier hit, et ils apparaîtront en 1967 sur We Love You, signé Jagger-Richards. Cela va heurter certains fans, je pense surtout qu’il ne pouvait y avoir de rivalité. Malgré le succès considérable des Stones dans les années 1960, on était loin du cataclysme provoqué par les Beatles. Que ce soit en termes de ventes de disques comme d’impact sur la société, personne ne pouvait rivaliser avec les Fab Four. Et ce n’est pas un hasard si le quintette mené par Mick Jagger signera ses plus beaux triomphes (Sticky Fingers, Exile On Main Street…) à partir du moment où il ne sera plus éclipsé par le quatuor de Liverpool.

Breizh-info.com : Quelles relations ont eu les membres des Beatles avec le Football ? Liverpool ou Everton ? Reds ou Blues ?

Frédéric Granier : Au risque de décevoir vos lecteurs, les Beatles n’étaient pas du tout des fans de football. On peut malgré tout apercevoir Albert Stubbins, qui officiait comme avant-centre au Liverpool Football Club dans les années 1940, sur la pochette de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band en 1967… Peut-être un clin d’œil de Lennon à son père qui, lui, était amateur de ballon rond. Et dans la chanson Dig It (sur l’album Let It Be en 1970), John cite Matt Busby, l’entraîneur de Manchester United. Mais c’est à peu près tout. Les journalistes posaient souvent à George la question : « quelle équipe soutenez-vous ? » et il leur répondait : « Il y a trois équipes à Liverpool et c’est l’autre que je préfère ». Une jolie manière de botter en touche…

Breizh-info.com : Manchester et Liverpool, deux villes anglaises particulièrement prolifiques (toujours actuellement) en termes d’excellents groupes de rock. Une explication ?

Frédéric Granier : Difficile d’avancer une seule raison. Liverpool est un port, et c’est ici que débarquaient en premier les quarante-cinq tours venus d’Amérique. C’est une terre d’immigration, située entre l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande, et il est indéniable que la culture de la Mersey a bénéficié de cette diversité. Ensuite, il ne faut pas oublier que Liverpool et Manchester sont deux villes industrielles, particulièrement touchées par la guerre puis par la crise. Grandir au sein des classes moyennes ou dans un milieu défavorisé incite peut-être à se dépasser…

Breizh-info.com : Les Beatles, c’est aussi l’histoire d’une jeunesse totalement ravagée par la drogue, phénomène accru par la célébrité…

Frédéric Granier : : Je ne sais pas si l’on peut écrire que la jeunesse fut « ravagée » dans les années soixante. La perception des drogues n’était pas la même qu’aujourd’hui : le LSD, la Marijuana, étaient perçus comme des moyens d’atteindre de nouveaux degrés dans la perception et dans la conscience. Les Beatles ont longtemps été des consommateurs de substances illicites : ils gobaient des pilules d’excitants lors de leurs débuts pour tenir la cadence, ont été initié à la Marijuana par Bob Dylan en 1964, ont testé les psychohallucinogènes un an plus tard…

Mais je ne sais pas si on peut les cataloguer pour autant comme des étendards de la « drug culture ». Lors d’un voyage à Los Angeles à l’été 1967, George Harrison fut dégoûté par les hippies du quartier de Haight-Ashbury. Il pensait rencontrer des « beautiful people » et d’aimables beatnicks, et il fut confronté à des loques humaines. À partir de là, les Beatles n’ont plus fait la promotion des paradis artificiels dans leurs chansons ou dans leurs interviews. Même si cela n’a pas empêché John de devenir accro à l’héroïne jusqu’au tournant des années 1970. Idem pour George et Ringo, qui furent de grands amateurs de cocaïne. Quant à Paul, son goût pour le haschich lui valut quelques ennuis (il fut arrêté à l’aéroport de Tokyo en 1980 pour possession de stupéfiants).

Breizh-info.com : Les Beatles ne sont-ils pas le symbole finalement de l’accompagnement d’un changement de société profond au Royaume-Uni, que certains jugeront positif, tandis que d’autres, dont Enoch Powell (à qui ils dédient presque la chanson No Pakistanis) s’inquiéteront de ses conséquences (que l’on voit maintenant d’ailleurs au Royaume-Uni) ?

Frédéric Granier : : Je tiens à préciser que le clin d’œil à Powell (un politicien d’extrême droite très populaire à la fin des années 1960) dans Get Back était largement ironique… À travers leur look, leur humour et leurs mélodies irrésistibles, les Beatles ont ouvert une nouvelle ère. Celle d’une culture certes moins révérente à l’égard des institutions et des générations passées, mais qui n’était pas rebelle pour autant. Ils étaient révolutionnaires par leur attitude et leurs sonorités, pas à travers leurs prises de position. Pour la première fois de l’histoire, la jeunesse donnait le « la ». Je dirais que les Beatles ont apporté une bouffée d’air frais à la société et l’ont débarrassé des derniers oripeaux de l’Angleterre victorienne.

Breizh-info.com : Si vous ne deviez retenir que 5 chansons des Beatles…

Frédéric Granier : A Hard Day’s Night pour son enthousiasme communicatif. Ticket To Ride parce qu’elle résume toute la folie des premières années et annonce les révolutions à venir. Strawberry Fields Forever, parce qu’elle fait entrer la pop à l’âge adulte. Long, Long, Long pour rappeler que George Harrison était aussi un compositeur de grand talent. Et sans doute la seconde face d’Abbey Road, la plus belle épitaphe possible pour le groupe le plus important du XXe siècle.

Propos recueillis par YV

A propos du livre de Frédéric Garnier, les Beatles

La véritable histoire du plus grand groupe de tous les temps et de son époque Le 10 avril 1970, la nouvelle fait la une de la presse mondiale : Paul McCartney quitte les Beatles. Son départ ne signe pas seulement la séparation du groupe le plus populaire de tous les temps, il marque aussi le terme d’une aventure extraordinaire, celle de quatre adolescents partis des caves de Liverpool pour devenir des musiciens accomplis, incarnations de la soif de liberté qui secoue toute la génération de l’après-guerre.
Alors que Let It Be, leur chanson-testament, s’impose comme un dernier succès, McCartney attaque en justice ses trois anciens acolytes. Le rêve est fini. Et pourtant, cinquante ans après, leur légende demeure. She Loves You, Help, Yesterday, Hey Jude, Come Together, Something… Les deux-cents morceaux enregistrés par John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr en l’espace d’à peine huit ans sont toujours vénérés par des millions de fans.

Leurs douze albums constituent une discographie aussi intimidante qu’indépassable, source d’inspiration pour tous les musiciens d’aujourd’hui. A travers des documents rares et des entretiens inédits, l’auteur déroule avec un véritable art narratif le fil d’une épopée moins lisse et triomphale que ne laissent paraître les records de vente (plus de deux milliards de disques écoulés depuis 1962). Des débuts erratiques à Liverpool puis à Hambourg jusqu’à l’hystérie de la Beatlemania, des expérimentations sonores de Sgt.
Pepper’s Lonely Hearts Club Band aux premières échappées en solitaire, leur destin commun est jalonné de triomphes, mais aussi de deuils douloureux, de désillusions, de controverses, de rancoeurs et même d’échecs retentissants. Derrière la plus belle partition de la pop se dessine enfin une autre histoire, toute aussi fascinante. La culture de masse, le psychédélisme, les paradis artificiels, l’activisme pacifiste…

Les phénomènes qu’ils ont traversés ou qu’ils ont contribué à faire émerger ne racontent pas seulement les années soixante, mais dévoilent une révolution sociale et culturelle dont les effets sont toujours perceptibles. Comme le dira justement McCartney : “On n’était pas seulement dans l’air du temps ; on était dans l’esprit du siècle”.

Frédéric Granier – Les Beatles, 4 garçons dans le siècle – Perrin – 25€

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine –

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