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Deux courtes interviews du président Macron contribuent à enflammer le Liban

Depuis le 18 octobre 2019, de violentes manifestations de rue secouent le Liban.

Elles ont été provoquées au départ par un projet de taxe sur la populaire application WhatsApp et se sont poursuivies malgré le retrait de la mesure qui avait mis le feu aux poudres. Le mouvement est une conséquence de la gestion désastreuse du Liban ; les protestataires accusent l’ensemble de la classe politique d’être corrompue, d’être incapable de gouverner et d’être à l’origine du naufrage économique du pays du cèdre. En effet, les coupures d’eau et d’électricité sont fréquentes, l’inflation est galopante et le chômage endémique.

Les sanctions américaines contre le Hezbollah, considéré comme un mouvement terroriste par les USA et l’afflux de réfugiés (1 million de Syriens, 450 000 Palestiniens pour un pays de 6 millions d’habitants) aggravent la situation. La spectaculaire crise des ordures que le pouvoir libanais n’arrive pas à résoudre depuis des années est l’illustration pour beaucoup de l’incompétence totale des dirigeants libanais. Les manifestants exigeaient la démission collective du président et de tous les parlementaires ainsi que la formation d’un gouvernement restreint composé de technocrates et destiné à prendre les problèmes du pays à bras-le-corps.

Les protestataires ont formé le 27 octobre 2019 une gigantesque chaîne humaine de 170 km et ont établi des barricades sur les principaux axes, obligeant l’armée à intervenir pour rétablir la circulation. Le Premier ministre Saïd Hariri (qui est également l’un des 7 milliardaires qui possèdent autant que le reste de Libanais) a été alors contraint de quitter son poste et a été remplacé par Hassan Diab après de difficiles négociations et le renoncement de Mohamed Safadi, autre milliardaire. Le nouveau gouvernement est appuyé uniquement par les deux partis chiites, Amal et Hezbollah ainsi que par le courant Patriotique Libre du président chrétien Aoun, alors que l’équipe de M. Hariri comprenait également des ministres sunnites membres du courant du futur. M. Diab a obtenu le soutien du Parlement par 69 voix sur 120 députés, les représentants du courant du futur s’étant abstenus.

Depuis la formation de ce gouvernement, les manifestations ont repris de la vigueur, d’autant plus que la crise économique s’est encore aggravée et que les retraits bancaires sont désormais limités. Certains salaires ne sont plus versés, plongeant de nombreux Libanais dans la misère. Les banques sont asphyxiées et proches de la faillite, alors qu’elles étaient jusqu’alors le fer de lance de l’économie libanaise. Le débat actuel tourne autour de la restructuration de la colossale dette libanaise (108 milliards d’euros, 158 % du PIB en 2018 dont 48,3 milliards de dette intérieure). Le pays n’arrive plus à la rembourser et c’est pour cette raison que le gouvernement de M. Hariri avait projeté de taxer WhatsApp avec les conséquences que l’on connaît.

Deux courtes interviews du président Macron réalisées par Léo Nicolian ont ajouté de l’huile sur le feu. M. Nicolian, Arménien né à Beyrouth, est un journaliste qui a effectué de nombreux reportages dans des pays en guerre. Depuis le début de la contestation, il s’est lancé dans de nombreuses actions pour soutenir le mouvement. Il a notamment réussi à interviewer à deux reprises le chef de l’État et en a tiré des vidéos qui tournent dans le pays du cèdre grâce à WhatsApp et attisent la colère contre M. Macron. Dans la première, réalisée lors d’une visite du chef de l’État à l’usine Whirpool d’Amiens, le Président a annoncé qu’il irait au Liban célébrer le centenaire de la proclamation du Grand Liban par le Général Gouraud le premier septembre 1920.

Or cet événement est rejeté par les manifestants, car la France a, à la demande de l’épiscopat maronite et pour des raisons économiques, rattaché artificiellement des terres musulmanes au Mont-Liban. Le Mont-Liban était une entité autonome au sein de l’Empire ottoman, mise en place en 1860 et dont la grande majorité des habitants étaient chrétiens. Ce rattachement a conduit en 1940 à l’établissement du confessionnalisme qui selon les manifestants étouffe le pays.

Rappelons que le président libanais est nécessairement chrétien maronite, le Premier ministre sunnite et le président du Parlement chiite, et que le découpage électoral ne tient pas compte des réalités religieuses sur le terrain. En outre, la création du Grand Liban est pour beaucoup la cause directe de la terrible guerre civile libanaise (1975-1990). La réaction de M. Macron à Amiens appelant à célébrer le centenaire de la création du Grand Liban a donc été considérée comme maladroite par beaucoup de manifestants et perçue à tort ou à raison comme un appui aux autorités contestées du Liban.

Dans la seconde vidéo, M. Macron renouvelle ses propos malgré les objections de M. Nicolian qui prétendait se faire le porte-parole des protestataires. M. Nicolian a également vivement accusé le président Macron d’avoir fait empêcher la diffusion de la vidéo de la première interview par l’AFP. Cet organisme aurait déclaré être intéressé dans un premier temps avant de se rétracter.

De toute façon la France et ses dirigeants marchent sur des œufs au Liban. L’ancienne puissance coloniale se doit d’appuyer le gouvernement libanais quel qu’il soit. S’il ne le faisait pas, elle serait accusée d’ingérence post-colonialiste. Elle ne peut pas non plus se désintéresser de son ancien protectorat. Elle porte aussi le poids des fautes qu’elle a commises dans le passé : en 1920, elle aurait dû insister pour que le Liban reste un État à grande majorité chrétienne et ne pas lui adjoindre les terres chiites du Sud-Liban et sunnites de la région de Tripoli. En 1932, elle n’aurait pas dû démanteler l’État des Alaouites qui s’étendait sur la côte actuelle de la Syrie et était peuplé aux deux tiers d’Alaouites. La guerre civile syrienne est la conséquence directe de ce choix.

Elle est avant tout une guerre de religion et la révolte de sunnites contre le chef d’État alaouite El Assad. Le grand-père de ce dernier était d’ailleurs un chaud partisan du maintien de l’État des Alaouites et un partisan du protectorat français. Pour que la Syrie eut un port nécessaire à son développement économique, la France aurait pu lui rétrocéder Tripoli, puisque le port d’Antioche avait été donné, en 1939 à la Turquie pour la dissuader de s’allier avec Hitler.

Christian de Moliner

Crédit photo : DR
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