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Hong Kong. Focus sur Kowloon Walled City

Alors que le président de la République française, dans une nouvelle allocution télévisée, a évoqué à demi-mot une quarantaine pour ces prochaines semaines dans le pays, j’en ai profité pour regarder de nouveau le travail du photographe canadien Greg Girard sur l’ancien quartier atypique – et fortement concentré – de Kowloon.

Cloisonnement assurée. Également appelé la citadelle de Kowloon par son origine, car le site était une ancienne caserne militaire chinoise de la fin du XIXe siècle.

Basé au nord de Hong Kong, elle vivota un temps. Puis  après quelques péripéties géopolitiques, le quartier – qui restera à jamais une enclave chinoise – résistera à bien des situations compliquées, comme par exemple la destruction de ses murs d’enceintes par l’armée japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. En 1940, il comptait environ 2 000 habitants et sa croissance devint alors exponentielle pour atteindre les 50 000 habitants au début des années 90. Cela sur une surface au sol de 126 mètres sur 213. Ce qui en faisait le « ghetto » le plus densément peuplé n’ayant jamais existé sur terre. Si on le rapportait au kilomètre carré, cela équivalait à une population d’environ 1,2 million d’habitants… À la sortie de la guerre, ce lieu devint le lieu d’asile des escrocs en tout genre, des toxicomanes, des prostituées et aussi de nombreux opposants politiques et réfugiés fuyant le communisme sanguinaire chinois.

Aidés implicitement par la HKPF (Hong Kong Police Force) qui n’était pas autorisée à y intervenir et par une administration britannique qui préférait quant à elle fermer les yeux et les laisser se débrouiller. Tous ces facteurs faisaient de cet amas de ciment coloré un quartier ayant beaucoup d’attraits. Les triades (K14 ou Sun Yee On) tenaient le quartier sous leurs coupes jusque dans les années 70, avant de perdre en influence à la suite d’une répression accrue. Les habitants s’autogérant par la suite jusqu’à la destruction de ce monolithe urbain.

Une étrangeté architecturale

Le développement était anarchique mais avait aussi un côté que l’on pouvait qualifier d’organique. Ni règle et ni contrainte, hormis celui d’être raccordé à l’électricité et de ne pas dépasser le 14ème étage car les immeubles (500 environs) étaient pile dans l’axe d’atterrissage de l’aéroport Kai Tak situé juste en contrebas. Les avions frôlaient les toits toute la journée, dans l’indifférence des habitants, qui s’habituaient à cet affreux ballet. Les modifications, les extensions, les nouveaux passages qui s’ouvraient et se fermaient tels un labyrinthe de ruelles et tunnels étaient hebdomadaires. Les petits enclos pour animaux ou les anciens jardins publiques existant dans les années 50 avaient rapidement disparu, remplacés par du béton et des matériaux plus que douteux. Aucun architecte de métier n’était consulté avant ces nouveaux travaux. À quoi bon ? Seule la densité des bâtiments semblait faire tenir cet ensemble incongru. Ce chaos urbain faisait ressembler le quartier à un lieu de vie post-apocalyptique, avec son lot de corridors obscurs dont les plus larges faisaient 2 mètre à peine, ces innombrables fenêtres et ces tas d’immondices se superposant. Ces kilomètres de câbles et torons abîmés s’entremêlant dans la noirceur humide du ventre de la bête. Seule la lumière blafarde des néons éclairait un peu dans les profondeurs puisque seuls les étages supérieurs recevaient encore les rayons du soleil. Huit canalisations arrivaient dans Kowloon pour l’alimenter en l’eau, et pour compléter cela, les habitants avaient également creusé des puits. Ce dédale des tuyaux, mal entretenus, fuyaient de partout.

D’ailleurs aucun habitant ne s’aventurait dans les tunnels sans un parapluie. Faire autrement était impensable si l’on voulait arriver sec à son point d’arrivée. On trouvait aussi des ruelles commerçantes, de nombreuses maisons closes, des casinos clandestins et de multiples salons où fumer de l’opium. Une allée était entièrement dédiée aux soins dentaires, puisque les pratiquants à l’hygiène douteuse et sans licence affluaient ici car ils ne risquaient pas les descentes policières. Il fallait être bien courageux pour se faire soigner d’une carie…  On y trouvait aussi des restaurants de viande de chiens ou des manufactures diverses et bas de gamme (plusieurs centaines). En son centre un temple, sur les hauteurs des écoles et sur le toit de la ville fortifiée, des aires de jeux pour enfants et de repos pour les adultes. Voilà à quoi ressemblait cette ville autorégulé, ce proto-État qui était une sorte de machine vivante et communautaire plus que fonctionnelle.

Cité dystopique 

Les anciens habitants parlent de Kowloon, leur ville, avec beaucoup de nostalgie et d’affection, malgré l’hygiène déplorable, les conditions difficiles et la promiscuité. Ils étaient néanmoins heureux dans ce grand village vertical ou les disputes étaient rares paraît-il et où la solidarité n’était pas un vain mot. Elle avait sa propre cohérence – difficile pour nous autres Occidentaux – et bien comprise et assimilé par ses habitants. Il était l’antithèse de nos quartiers morts et sans âmes, de nos lotissements d’esclaves lobotomisés. Cette masse grouillante et organique n’était qu’interdépendance à tous les niveaux : sociale, spatiale, économique et architecturale. Mais le plus important pour eux, c’est qu’ils s’y sentaient réellement libres et soudés, malgré ce cloisonnement et la densité. Cette liberté, si chère à tous les lecteurs de Breizh-info et qui va être branlante ces prochaines semaines. Kowloon, « cité des ténèbres » (son surnom en cantonais) était un taudis anarchique, cyberpunk et dystopique, tout droit sortie des bas-fonds d’un Blade Runner, Métropolis, THX1138 ou bien encore Akira.

Détruit à la fin du XXe siècle, Kowloon est aujourd’hui remplacé par un parc, plus en phase avec le Hong Kong moderne, bourgeois, aseptisé et capitaliste. Seuls les souvenirs, les photographies à l’esthétisme certains et un brin de nostalgie en subsistent.

Voir les travaux de Greg Girard ici : http://www.greggirard.com/work/kowloon-walled-city–13

Julien Ruzé

Photo : DR
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