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Libye. Pendant la pandémie, la guerre continue

Malgré la menace mondiale du coronavirus, il y a des pays où le business continue comme avant – par exemple l’industrie de la drogue au Mexique – et d’autres où la guerre ne s’arrête pas non plus. Notamment en Libye, où Israël est impliqué aussi dans le conflit par la Turquie, ce qui pourrait lui valoir des tensions avec d’autres acteurs du conflit, notamment la Russie. Pendant ce temps-là, Erdogan a fui les questions de l’opposition kémaliste turque, forçant même le CHP – le principal parti d’opposition turc – à retirer de son site les questions sur la Libye qui dérangeaient tant.

Ce 7 avril, à Tripoli, le front reste relativement stable – l’armée LNA (maréchal Haftar), qui contrôle 90 % du pays et est soutenue par des pays aussi divers que les Émirats, la France, la Russie ou l’Égypte, tire à l’artillerie lourde sur les positions du GNA dans le quartier Mashroua al Muz au sud de Tripoli. Le GNA, soutenu par la Turquie, la Tunisie et le Qatar, est pour l’essentiel un agglomérat de milices tribales et islamistes diverses, aux allégeances variables, renforcé de combattants djihadistes syriens ramenés par centaines par l’armée turque depuis le début de l’année.

Le même jour, le site israélien Nziv a annoncé que la Turquie a donné aux islamistes du GNA des munitions israéliennes Nagor, qu’il est interdit de transmettre à un tiers sans un accord spécifique avec Israël. Selon le média en ligne, ces munitions acquises en Azerbaïdjan n’auraient du être utilisées que par l’armée turque, et non ses alliés en Libye – cette vente risque donc d’impliquer Israël dans le conflit et le mettre en difficulté par rapport à l’Égypte et la Russie.

La veille, les drones d’attaque turcs sont repassés à l’offensive – depuis début avril, ils marmitent systématiquement les concentrations de troupes et les blindés, utilisés en nombre très réduit sur le front, mais aussi le 3 avril un entrepôt de farine et de vivres dans l’ouest de la Libye, et le 2, sur un convoi qui transportait des médicaments à Bani Walid (un mort, trois blessés). Le 4, l’armée LNA a annoncé – sans apporter de preuves – que la Turquie envoyait en Libye des prisonniers kurdes, employés notamment à des gardes statiques, en l’échange d’une amnistie.

Ces drones étaient déjà passé à l’attaque en février, concomitamment avec l’ingérence turque contre l’armée syrienne dans la province d’Idlib, ce qui avait provoqué une réconciliation entre le gouvernement syrien et le régime du maréchal Haftar, une rencontre officielle début mars, l’échange de spécialistes militaires pour lutter contre les drones et les forces spéciales turques, et le rétablissement des relations diplomatiques.

Le 2 avril dernier, Ahmed al Mismari, représentant officiel de l’armée LNA, a affirmé que plus de 50 soldats turcs ont été tués en moins d’une semaine, dont 20 lors d’une frappe sur l’école de l’air du GNA à la base aérienne de Mitiga.

Plusieurs milliers de rebelles syriens en Libye, pas payés et démoralisés

Ce 3 avril, Fehim Tashtekin écrit dans le journal turc Gazete Durvar :

« Les miliciens pro-turcs ramenés par la Turquie de Syrie connaissent des pertes. À ce jour, 156 combattants ont été tués, trois fois plus selon l’armée LNA. Dans les premiers mois, les combattants étaient payés 2 000 dollars, là ils n’ont plus rien et s’adressent à ceux qui veulent venir de Syrie pour les en dissuader ».

Le même jour, une vidéo de combattants de la milice Faylaq al Madj, transférés de Syrie en Libye, affirme que les 2 000 dollars de paie n’ont été versés qu’une fois, les rebelles ne sont plus payés depuis trois mois, qu’ils restent chez eux pour ne pas être tués par l’armée LNA, qu’ils sont ravitaillés très irrégulièrement et servent de chair à canon pour les forces armées turques, qui ne s’impliquent pas dans les combats. Selon des données publiées par l’armée LNA le 19 janvier dernier, leur principal camp de base est immédiatement à l’ouest de la base aérienne de Mitiga, dans le quartier densément peuplé d’Al Sahel.

Selon le canal Telegram russe spécialisé dans les conflits du Maghreb et du Proche-Orient Rybar, « les pertes des Syriens sont de l’ordre de 400 à 500, c’est aussi ce que confirment les données des interrogatoires ». L’OSDH, proche de l’opposition islamiste syrienne, estimait le 9 mars dernier que ce sont 4 750 rebelles d’Idlib qui ont été transférés en Libye, et 1 900 autres sont encore entraînés en Turquie pour y être transférés. Soit une part non négligeable des 30 à 40 000 des plus incontrôlables des groupes rebelles qui sont formellement sous contrôle ou financés par le gouvernement turc – ou des oligarques proches – en Syrie.

Les dix questions dérangeantes sur la Libye qu’Erdogan a fait cacher

Ce 3 avril encore, le vice-président du parti national-républicain turc (kémalistes, CHP – 139 députés sur 600 et 11 maires métropolitains sur 30) Unal Cevikoza a mis en ligne dix questions dérangeantes au ministre de la Défense Hulusi Akar au sujet de la Libye. Peu après, ces questions ont disparu du site du parti, pour être remplacées par onze questions, sur l’ingérence en Syrie. Voilà ces questions, traduites par l’agence russe Riafan et le canal Telegram russe spécialisé « Ordre du jour de la Turquie », qui y consacrent un article ce 4 avril :

« 1. Combien la Turquie a dépensé d’argent pour la guerre civile en Libye. Comment ces dépenses ont été faites ces dernières années ? 2. Quels moyens ont été transmis au GNA ou aux groupes qui y sont liés ? 3. Quels programmes budgétaires ont été mis à contribution ? Combien le GNA a payé les drones de combat, les blindés Kirpi etc. ? 4. Combien la Turquie a payé pour les rebelles transférés de Syrie ? On affirme qu’ils sont jusqu’à 5 000 payés 2 000 dollars par mois, est-ce qu’ils continuent à être payés et d’où vient l’argent ? 5. Combien de soldats turcs sont en Libye ? Quels sont leurs rangs et leurs obligations ? Combien sont morts ?

6. À part les forces armées turques, quelles structures prennent part à la guerre civile libyenne ? Avec quels moyens ? Quelles sont leurs pertes ? 7. Par rapport à la pandémie Covid-19, quelle aide a été faite par la Turquie au GNA ? 8. Que font les forces armées turques en Libye pour éviter d’être contaminées par le coronavirus ? Combien de tests ont eu lieu ? 9. Est-ce que les personnes que combattent les forces armées turques ont été contaminées par le coronavirus ? 10. Parmi les combattants qui ont été transférés de Syrie en Libye, y a t-il eu des cas de coronavirus ? »

Commentaire de l’agence Riafan au sujet de ces questions : « ce genre de questions est une partie importante du jeu politique. L’opposition donne l’ordre du jour et montre aux médias qu’on peut en parler sans risquer des sanctions et la censure. De plus, les réponses à ces questions sont obligatoires. Officiellement du moins. Mais chaque jeu a ses règles et en Turquie, c’est Erdogan qui les écrit. Donc s’il ne veut pas répondre à certaines questions, il répondra à d’autres. Et tout le monde est content ».

Cependant, « une partie des questions de Unal Cevikoz sont rhétoriques. Il n’y a pas besoin de réponse officielle pour comprendre qu’Ankara dépense beaucoup en Libye sans rendre de comptes aux contribuables, qu’elle distribue des armes aux combattants du GNA, transfère des milliers de rebelles depuis la Syrie, cache ses pertes. Le nombre de soldats turcs en Libye est inconnu, comme la présence des forces spéciales […] et visiblement, l’opposition sait que des soldats turcs ont été malades du coronavirus. La seule chose incompréhensible, c’est comment le pouvoir turc a su convaincre le parti d’opposition le plus résolu à retirer ce texte. Peut-être qu’il n’est plus si résolu et que sa direction politique est déjà pourrie ».

Coronavirus en Libye : menace réelle, réponses insuffisantes, chiffres truqués

Au 5 avril, il y avait officiellement 18 cas confirmés, 294 tests, un mort, 289 personnes en quarantaine en Libye, sur les deux zones sous contrôle du GNA (Tripoli et quelques villes côtières) et du LNA (le reste du pays, soit 90 %). Un centre de quarantaine a été ouvert à Misrata – une ville sous contrôle de milices islamistes proches du GNA où se trouve aussi une base militaire italienne – et deux personnes atteintes du coronavirus ont été déclarées guéries et renvoyées chez elles ce 6 avril.

Ces chiffres officiels sont reconnus par de nombreuses sources comme très en-dessous de la réalité. L’envoi de rebelles syriens et l’ingérence militaire turque n’a rien arrangé : la zone d’Idlib tenue par les rebelles est une véritable zone grise, même si plusieurs cas de coronavirus ont déjà été rapportés ces dernières semaines tant parmi les rebelles que les forces armées turques en appui, par des sources diverses, y compris rebelles. D’autres affirmaient mi-mars que jusqu’à 40 militaires turcs en poste à Idlib auraient été contaminés et transférés en Turquie pour y être soignés.

Quant à la Turquie, l’épidémie est venue d’Iran courant février et a été cachée pendant des semaines – des fuites médicales faisaient état, début mars, de plusieurs centaines de morts cachées par le gouvernement turc et qui n’ont été que partiellement réintroduites dans les bilans officiels depuis. Au 7 avril, il y avait officiellement 30 217 cas en Turquie (+3 148 en 24 heures), 649 morts (+75) et 1 326 guéris (+284).

Louis-Benoît Greffe

Photo : DR
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