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Christophe Dickés : « Saint Pierre est le personnage le plus cité des Evangiles après Jésus » [Interview]

Les éditions Perrin ont sorti en cette année 2021 la biographie de référence de saint Pierre, signée Christophe Dickés, livre majeur sur le premier apôtre et premier pape.

Dans l’histoire de l’Eglise, Pierre est considéré comme le premier pape. Pourtant, rien ne le disposait à prendre la place du premier apôtre. Originaire d’une petite bourgade sans prétention située au nord de la terre d’Israël, il exerce humblement une activité de pêcheur avec son frère et quelques amis qui lui sont associés.

Après avoir présenté l’homme dans son milieu politique, religieux et économique, il suit les traces de celui qui, après Jésus, est l’homme le plus cité du Nouveau Testament. Le lecteur part ainsi à la découverte d’un personnage complexe, tiraillé entre son engagement et ses doutes. La résurrection du Christ achève pourtant sa conversion : il devient alors le chef de l’Eglise, ouvre le christianisme au monde païen et évangélise une partie de l’Orient.
Pierre achève son parcours à Rome où, selon la tradition, il est crucifié la tête en bas au moment des persécutions de Néron, après l’incendie de 64. L’auteur présente aussi comment et pourquoi le pouvoir des papes va s’élaborer autour de ce personnage et étudie les lieux archéologiques qui sont liés à sa vie : de sa maison à Capharnaüm retrouvée en 1866 jusqu’à sa fameuse tombe découverte en 1950, au centre même de la basilique Saint-Pierre de Rome.
Il achève enfin sa réflexion en abordant la place de Pierre dans l’art chrétien des premiers siècles. Cet ouvrage, absolument inédit dans son approche globale, se situe donc au carrefour des sciences: entre histoire, art, archéologie et théologie.

Pour aller plus loin, en attendant que vous lisiez l’ouvrage, nous avons interrogé Christophe Dickés.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Christophe Dickés : Né à Boulogne-sur-Mer, j’ai fait mes études d’histoire à Paris, à la Sorbonne. Tout en travaillant dans le monde de la communication, je continue mes travaux d’historiens après ma thèse sur Jacques Bainville soutenue en 2004. Spécialiste aussi du Vatican et du Saint-Siège sur lesquels j’ai publié plusieurs ouvrages,  j’ai souhaité revenir aux origines en me penchant sur cet énigme que constitue Simon, devenu Pierre. Il s’agit de l’ouvrage qui m’a donné le plus de difficulté tant la tâche était immense. Je ne voulais pas faire un livre uniquement sur la vie et le milieu de Pierre mais étendre aussi ma réflexion sur la place de Pierre dans les arts ou la façon dont s’est construit le pouvoir pontifical autour de son nom.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené, notamment dans les découvertes récentes, ou dans les oublis, à vouloir écrire au sujet de Saint-Pierre ?

Christophe Dickés : La volonté de travailler sur les origines. Un historien est toujours fasciné par « les » commencements. Ensuite, on évoque souvent la personne de Paul, moins celle de Pierre. Paul est de fait bien plus intelligent que Pierre. Il n’en reste pas moins que la personnalité de Pierre est centrale dans le Nouveau Testament. Il est même le personnage le plus important après Jésus. Nous y reviendrons. Mais avant cela, il me semblait important de replacer Pierre dans son milieu et de répondre à une question simple : que signifie être pêcheur au Ier siècle en Galilée ? Etait-il pauvre ou riche ? Pourquoi a-t-il de décidé de suivre Jésus ? Pierre est aussi quasi systématiquement dévalorisé au profit de saint Jean qui, lui, est l’homme de la contemplation mais non de l’action. Il me semblait important de faire la part des choses sur cette question. Enfin, je souhaitais aussi comprendre le mystère que représente cet homme qui, tout en reniant le Christ, est choisi par lui.

Breizh-info.com : Après Jésus-Christ, peut-on dire que Saint-Pierre est LE personnage majeur de la fondation du catholicisme en tant qu’institution ? Quel héritage a-t-il laissé ?

Christophe Dickés : Sans aucun doute. Saint Pierre est le personnage le plus cité des Evangiles après Jésus. Donc oui, il possède une place particulière : et celle-ci est la première. Il est le premier apôtre ; il parle au nom de ces apôtres en étant leur porte-parole ; il est le premier à professer sa foi ; il est le premier à qui apparaît le Christ après sa résurrection ; il est le premier à prendre la parole devant les foules au début des Actes des apôtres, texte qui évoque le temps des premiers chrétiens… Bref, il a la première place confirmée par les paroles de Jésus : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon église. »

Quant aux papes, ils sont tous successeurs de Pierre et c’est bien autour de sa personne que se constitue leur pouvoir, même si le terme de « pape » apparait bien plus tardivement, au IIIe siècle.  Au-delà de cet héritage institutionnel, saint Pierre laisse aussi l’héritage de l’imperfection. En cette période de crise, certains catholiques souhaiteraient une église de pures. Or, les imperfections de saint Pierre nous disent qu’il s’agit d’une utopie. Certes l’Eglise peut donner des saints mais elle donne aussi des pécheurs. On retrouve cette image dans la pêche miraculeuse : les apôtres ramènent le filet remplis de poissons, filet qui symbolise l’église. Mais certains poissons font craquer le filet et sont rejetés à l’eau. Ils sortent de l’église eux-mêmes…

Breizh-info.com : Pourquoi ce sous-titre, le mystère et l’évidence ?

Christophe Dickés : Il y a plusieurs réalités derrières ces deux mots. Je renvoie donc vos lecteurs à mon livre. Mais le mystère le plus important il me semble est ce que je viens de vous dire à l’instant : comment Jésus a-t-il pu confier son église à un homme imparfait ? Il aurait pu confier son église à Jean-Baptiste, l’ascète, ou bien à un soldat ou encore à un savant ou un grand prêtre… Non. Il la confie à un simple pêcheur. Cette réalité est un mystère mais aussi une évidence dans la mesure où, dans le christianisme, l’humanité est marquée par le péché originel. Pierre ne fait pas exception : il n’échappe pas à sa condition. Naturellement il évolue et chemine dans les évangiles. Ce cheminement reflète ses doutes et ses peurs, sa conversion et sa transformation. A la différence de Juda, il sait surtout recevoir le pardon de Jésus. Ce qui place le personnage au centre de l’évangile puisque la miséricorde est bien le message essentiel du Nouveau Testament.

Breizh-info.com : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi d’autres confessions chrétiennes lui contestent sa primauté pontificale et en quoi est-ce déterminant dans les différents schismes qui suivront au cours des siècles ?

Christophe Dickés : L’orthodoxie, très schématiquement, estime que le pape n’est pas le chef de l’église catholique, tout en lui reconnaissant une primauté d’honneur et non de pouvoir. Il existe ainsi dans l’orthodoxie une communion d’églises autocéphales et Rome, de leur point de vue, n’en est qu’une parmi d’autres. Par exemple, dans la perception des écritures, l’apôtre Jean possède une place aussi importante que celle de Pierre comme l’a montré notamment le livre de Serge Boulgakov, un classique du genre.

Pour les protestants, cela va plus loin puisqu’ils considèrent que seul saint Pierre a été le premier et unique pape. Il n’y aucune hiérarchie : chaque baptisé est investi de pouvoirs. Il n’existe donc pas de succession apostolique, ni de prêtres, ni d’évêques, successeurs des apôtres.

Dans les deux cas, les perceptions varient selon l’interprétation que l’on fait des textes du Nouveau Testament.

Breizh-info.com : Parlez-nous du martyr de Saint-Pierre ?

Christophe Dickés : Pierre aurait été crucifié la tête en bas, dans le cirque de Néron puisque le cirque Maximus avait été endommagé par le fameux incendie de Rome à l’été 64. Sa condamnation fait suite à une querelle au sein même de la communauté chrétienne ! Les exégètes estiment en effet que Pierre a été dénoncé aux autorités par des judéo-chrétiens qui n’acceptaient pas qu’une partie des chrétiens convertis n’appliquent pas la loi mosaïque : la loi de circoncision et la loi des tables. Il s’agit de la première grande querelle dans l’histoire du christianisme.

La tradition dit qu’il a été crucifié la tête en bas. Nous le savons par un texte dit apocryphe, non reconnu par l’Eglise. Il n’empêche : il existe des éléments historiques dans les apocryphes qu’il ne faut pas rejeter. Cet épisode peut en faire partie. Après sa mort, Pierre a été enterré à côté du cirque dans un petit cimetière. C’est autour de la tombe de Pierre que Constantin a fait édifier une basilique, détruite par Jules II au XVIe siècle. Celle-ci a été remplacée par l’actuelle basilique. Les deux campagnes de fouilles dans les années 1940 et 1950 ont permis enfin de retrouver le fameux tombeau : un récit assez incroyable digne d’un film d’Indiana Jones !

Breizh-info.com : Qu’est-ce qu’ont apporté les fouilles archéologiques plus ou moins récentes sur sa vie ?

Christophe Dickés : Sur sa vie à proprement parler, pas grand-chose. Les lieux révélés par les recherches archéologiques montrent simplement que les sites attachés à sa personne ont été très valorisés par les premiers chrétiens puis dans les siècles suivants par le pouvoir. Que l’on songe par exemple à sa maison à Capharnaüm découverte en 1968 ou bien aux fouilles de la Basilique Saint-Pierre, en passant par le palais de Caïphe où il renie le Christ ou la prison Mamertine où il aurait été emprisonné à Rome. Certains lieux relèvent de la légende. D’autres sont liés certainement à Pierre. Le tombeau en fait partie. Nul ne remet en cause, même chez les protestants, que saint Pierre soit mort à Rome. Luther, lui, n’y croyait pas…

Breizh-info.com : Pour compléter votre ouvrage, y’en a-t-il d’autres que vous conseilleriez aux lecteurs…ou des films sur le sujet ?

Christophe Dickés : Sans hésitation le dernier livre de Marc Rastoin, Simon-Pierre, qui est complexe pour une première approche cependant puisqu’il s’agit d’un livre d’exégèse biblique. Il n’en reste pas moins excellent (Editions Salvator). Pour un point de vue plus théologique et spirituel, le livre de Mauro-Guiseppe Lepori Simon appelé Pierre (Editions du Cerf) est très abordable. Quant au cinéma, il existe un film intitulé sobrement Pierre avec Omar Sharif, mais il est empreint d’une forme de naïveté propre aux films italiens sur les saints. Ce n’est pas ici du grand cinéma. La série Netflix A. D. Kingdom and Empire donne une place évidemment particulière à Pierre. Mais là aussi j’émettrai quelques réserves quant à la forme, pour le coup peut-être trop dynamique et disons-le, hollywoodienne à souhait. C’est un peu le souci du genre… Il manque un grand film sur Pierre qui montrerait la profondeur de l’homme. La caméra d’un Terrence Mallick sur les eaux du lac de Galilée serait, je pense, idéale mais je crois qu’il s’agit d’un doux rêve.

Propos recueillis par YV

Photo d’illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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Une réponse à “Christophe Dickés : « Saint Pierre est le personnage le plus cité des Evangiles après Jésus » [Interview]”

  1. Marc RICAUD dit :

    Le discours de ceux qui sont contre l’Eglise est simple, mais efficace. A quoi sert l’Eglise, puisque celle-ci est remplie de personnes qui ne sont pas parfaites, mais qui sont pleines de défauts.
    C’est l’exigence du Diable qui exige une Eglise pure et qui sait que cela n’arrivera jamais. Si on suit cette exigence, il n’y aura jamais d’Eglise, mais il n’y aura jamais de salut, non plus !
    Dieu, dans sa sagesse, a voulu une Eglise de pêcheurs et qu’elle soit menée par un homme hélas, faillible lui aussi. En revanche, la fonction dont sont revêtues les papes successifs est sacrée et relève d’une autorité qui n’est pas de ce monde. La personne du pape ne l’est pas.
    En ne reconnaissant que l’autorité du pape, les Catholiques ont la certitude et la garantie qu’ils ne sont pas sous la coupe des puissances de ce monde et qu’ils en seront eux aussi, vainqueurs.
    Les autres Eglises chrétiennes (protestants et orthodoxes) et les autres religions, n’ont pas ces mêmes garanties.

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