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Elections. Comment expliquer le vote breton ?

Je constate chez des gens de droite depuis plusieurs mois, plusieurs années sans doute, mais plus encore depuis la dernière présidentielle, la tendance de plus en plus affirmée à insulter les Bretons en raison de leur vote.

La chose est extrêmement fréquente dans les commentaires de sites internets de ce que nos adversaires politiques appellent la « fachosphère », que nous appelons la « réinfosphère », ou juste la droite… Les propos tenus dans ces commentaires, parfois dans ces articles, sont souvent d’une violence extrême, et je m’abstiendrai de citer certains des propos orduriers que j’ai pu trouver ici et là, tant il est vrai que notre famille politique n’est pas constituée que d’individus délicats ou même normalement bien élevés. Il m’a semblé que bien souvent, ces jugements à l’emporte-pièce étaient émis par des gens qui manquaient à minima de recul, ou qui souvent n’avaient aucune connaissance de la Bretagne ni comme entité culturelle et historique, ni comme territoire économique ou social. La plupart d’entre eux n’envisagent même pas qu’elle ait pu être autre chose qu’une province française avant de devenir une région programme… Par ailleurs, quand on entame un débat avec les émetteurs de ces propos on est souvent abasourdis de constater qu’ils considèrent la Bretagne comme une terre pauvre et/ou assistée, quand son PIB/habitant est supérieur à celui de la majeure partie des nations européennes, et qu’elle est un contributeur net à l’impôt à hauteur de 40 pour 1… Aussi, il l’a semblé utile d’offrir à ces aigres commentateurs quelques éléments qui leur permettent de considérer la Bretagne, son histoire politique et son vote avec des éléments un peu plus précis et qui leur permettent de la juger, elle et ceux qui en ressortent, avec un peu plus de distance et un peu moins de grossièreté.

La Bretagne, jusque dans les années soixante, vote peu, mais elle vote à droite, voire très à droite au regard des critères d’aujourd’hui. Elle est d’ailleurs perçue en France comme une terre rétrograde, une terre de chouans ultra-catholiques. Sa représentation politique est issue de la vielle droite monarchiste et catholique, et la « province réputée étrangère » est largement perçue comme telle. Étrangère. Elle n’est en effet devenue française qu’au XVIe siècle au terme de sept cents ans de guerres alternativement ouverte ou larvée, militaire et économique. Voyons comment se sont organisés les rapports entre celtes et germains.

Chouans
La Bretagne a longtemps été une terre de droite, une terre de Chouans …

Au Ve siècle, alors que les invasions barbares finissent de démanteler l’Empire romain, une partie des Bretons de l’Île de Bretagne traversent la Manche vers le sud et viennent re-celtiser la péninsule armoricaine. Ils connaissent bien les populations qui s’y trouvent pour entretenir avec elles un commerce maritime régulier et intense, et y sont largement apparentés. Leurs langues sont extrêmement proches, leurs coutumes similaires, et seul le degré de romanisation de leurs mœurs, difficile à évaluer, a pu les faire diverger. Tandis que les Armoricains voient à l’est les premiers Francs s’installer et ravager la Gaule romaine, les Bretons eux, sont envahis d’autres barbares germaniques, Saxons, Angles Jutes et Frisons. Peu à peu se fixent les aires de répartition des populations qui vont donner les futurs royaumes celtiques du Haut Moyen-Âge et les nations celtiques que nous connaissons encore aujourd’hui : Écosse, Irlande, Pays de Galles, Cornouailles britannique et Bretagne.

Il est important de signaler que ces Bretons arrivent en Armorique déjà convertis au christianisme, et ce dès les IVe et Ve siècles. Contrairement à la légende, leur conversion s’est faite sans heurts majeurs, leurs druides accueillant le message de l’Évangile avec enthousiasme et produisant des moines évangélisateurs qui vont christianiser la majeure partie de l’Europe de l’Ouest. Des moines gallois, irlandais et bretons vont fonder des abbayes jusqu’en Suisse et dans le nord de l’Italie actuelle.

La Bretagne au Ve siècle est donc une terre strictement celtique et chrétienne. Elle n’est pas unifiée, mais des proto-royaumes aux souverains légendaires s’y côtoient. Arrive un certain Morvan, dont le projet d’unifier les Bretons sous sa férule semble réussir. Mais le royaume de Bretagne s’il existe probablement de fait, devient de droit en 845 sous le règne de Nominoë (en breton Nevenoë), dont la couronne est reconnue par le pape. En effet, à cette date, Nominoë affirme l’indépendance des Bretons face à l’Empereur Louis Le Pieux qui avait dépêché un missus. Le roi des Bretons aurait renvoyé l’émissaire chez les Francs en précisant que les Bretons étaient maîtres chez eux, n’avaient jamais payé le tribut à qui que ce soit et que le seul paiement que recevrait celui qui viendrait le réclamer à nouveau serait un plein chariot de javelots.

Bataille de Ballon
La bataille de Ballon. Bretons contre Francs.

La Bretagne était née. Elle restera un état pleinement indépendant durant tout le Moyen-Âge et jusqu’en 1532, résistant aux tentatives d’invasion des Francs puis des Français, repoussant les velléités anglaises, jouant habilement de la diplomatie pour se garder des ambitions de ces deux puissants voisins. Les alliances varieront, on se rapproche alternativement de l’Angleterre pour se protéger des Français, puis des Français pour se défendre de la tutelle anglaise.

Si dès la période franque, la Bretagne était un débouché, au XVIe siècle la France réalise le retard qu’elle a pris en termes de colonisation outre-mer. Les Hollandais et les Anglais se partagent déjà les Indes, les Portugais et les Espagnols l’Amérique du Sud, et la France, n’a en face, quasiment rien. À cette époque, la guerre franco-bretonne redouble d’intensité, et il circule un dicton : « Bretaigne est Pérou pour la France ».

Cette principauté est en effet extrêmement riche quand la France met la main dessus. Sur cent navires qui entrent dans les ports de la Ligue Hanséatique, 90 sont Bretons, et l’économie bretonne, basée sur la culture des fibres textiles, lin, chanvre, la confection de draps, de toiles, de voiles pour les navires, a su diversifier ses sources. Première puissance européenne pour le cabotage, la Bretagne envoie ses capitaines transporter outre les productions locales, les vins de Bordeaux, le pastel d’Aquitaine, les pommes de terre, les minerais d’argent de Pays de Galles…

Bretagne marchands
La Bretagne au Moyen Âge était une terre de marchands

Elle n’est pas qu’une terre de marchands. Elle est riche d’une culture complexe et brillante. Sa langue celtique s’écrivait dès le IVe siècle quand les Francs dont la capitale est alors loin à l’est du Rhin parlent vieil allemand. Il faut attendre le XIIe siècle pour voir la langue française émerger des parlers romans et norrois, alors que la Bretagne a déjà donné la littérature arthurienne et est aux avant-postes de la chrétienté. Qui pour rappeler que les lais de Marie de France sont dans leur majorité une traduction mot à mot de lais traditionnels en langue bretonne ? Qui pour se souvenir que le premier dictionnaire multilingue du monde (breton-latin-français en l’occurrence), le Catholicon, est publié par Yann (ou Jehan Lagadeuc) à Morlaix ? Qui pour rappeler qu’un des très grands esprits européens, le moine Abélard était Breton, du Pallet, près de Nantes ?

À la mort de François II le 9 septembre 1488, quelques jours seulement après la défaite de Saint Aubin du Cormier, s’ouvre une nouvelle période de crise qui mène à une dernière guerre franco-bretonne. Le duc, sur son lit de mort, ayant fait promettre à sa fille de ne jamais consentir à l’assujettissement à son voisin le royaume de France, et au roi son ennemi. Avant de mourir, François II a nommé le Maréchal de Rieux tuteur de sa fille, avec pour mission de la marier. Le roi de France réclame la tutelle d’Anne et d’Isabeau sa sœur, qui lui est refusée par Jean de Rieux, si bien que Charles VIII entre officiellement en guerre contre le Duché de Bretagne. Dans la cathédrale de Rennes, le 19 décembre 1490, Anne épouse en premières noces et par procuration l’Empereur d’Autriche et Roi des Romains, Maximilien Ier. Pourtant, après 700 ans de résistance militaire acharnée, le parti Breton va devoir céder devant le siège conduit par les Français, et Anne est contrainte d’épouser Charles VIII après l’annulation par le Pape de son mariage avec Maximilien. Si cette union est une union personnelle qui n’engage pas les états l’un vis-à-vis de l’autre, le second mariage d’Anne avec Louis XII et ce qui sera fait des traités après sa mort, transforment la Bretagne en une colonie pure et simple. En 1532 a pourtant été signé un « traité d’union perpétuelle » qui garantit la parité entre les états, l’exemption mutuelle de fiscalité, l’impossibilité pour la France de lever des troupes et des impôts en Bretagne.

Cependant, la Bretagne est ruinée en moins de vingt ans. Colonie fiscale, elle est traitée moins bien que les Hollandais ne traitent les Indes. Son administration est détruite, et si son parlement lutte pour préserver les « franchises et libertés bretonnes » la France s’y conduit comme en pays conquis. Outrepassant les droits du parlement, les impôts explosent, et il n’y a guère que la Gabelle à laquelle échappent les Bretons. Cependant, luttant pied à pied, le Parlement de Bretagne réussit maintenir et à restaurer une autonomie presque complète qui va perdurer jusqu’à la Révolution.

Le sort qui lui est réservé sous la Révolution est parlant. Elle accueille les idées progressistes avec intérêt dans un premier temps, y compris ses nobles, qui ayant toujours été proches du peuple sont moins choqués que leurs homologues français par la notion d’égalité. Pourtant, très vite, la Bretagne comprend que la Révolution veut sa mort. Si la Bretagne avait conservé une large part d’autonomie, si son droit coutumier continuait de prévaloir, la Constituante dissout la Bretagne, à commencer par son parlement, et la transforme en cinq départements. La Constitution Civile du Clergé, la levée de 300 000 hommes pour aller se battre aux frontières de la France vont achever de lancer les Bretons aux cotés de Vendéens dans la Contre-révolution. Moins sans doute que leurs alliés du Poitou par royalisme forcené que par patriotisme armoricain. L’échec de la Contre-Révolution laisse la Bretagne exsangue et la France du XIXe siècle n’oublie pas de punir la Province rebelle. La Bretagne entre dans le vingtième siècle délaissée et enclavée, traînant sa réputation contre-révolutionnaire. Elle est très en retard économiquement. Pourtant les Bretons travaillent et sont entreprenants, mais ils n’ont que peu de lignes de chemin de fer, l’état n’investit nulle part dans le réseau routier, et les seules initiatives sont locales dans ce domaine, et privées, comme les réseaux de chemin de fer à voie étroite du Finistère. Tandis que la Bretagne créée déjà une industrie agroalimentaire de pointe pour l’époque (conserveries de poissons, salaisons, appertisation des charcuteries…), la France continue de ruiner consciencieusement les Bretons. À chaque fois qu’une industrie bretonne est en concurrence avec une industrie française, elle est mise à l’écart. La métallurgie est détruite au profit des aciéries de l’Est et du Nord, les maraîchages de Normandie ont profité pendant tout le XIXe siècle de subventions et de prix préférentiels, quand la ceinture d’Auray pourtant incroyablement productive n’a d’autre débouché que son marché local. La Troisième République entérine l’obligatoire disparition de la vielle langue celtique. Que les patois français subissent le même sort m’est souvent renvoyé quand je me désole de cet état de choses, les Français n’arrivant pas intégrer que la langue bretonne n’est pas un patois, mais la dernière langue celtique continentale.

Troisième République école bretagne
L’école de la Troisième République combattra inlassablement la langue bretonne.

En 14-18, les Bretons, pourtant, paient le tribut le plus effroyable à l’armée française : 240 000 tués au combat, presque un sixième des morts françaises au front, auraient pu donner le sentiment que la France allait manifester une certaine gratitude… Rien.

La Deuxième Guerre Mondiale n’épargne pas le pays. La situation stratégique de la Bretagne lui offre une occupation rigoureuse. Les Allemands installent des ports de guerre et notamment des bases de sous-marins à Saint-Nazaire Brest et Lorient. Ces trois villes seront intégralement rasées par les bombardements américains à haute altitude. Malgré des centaines de milliers de tonnes de bombes larguées en véritable tapis, les bases de sous-marins sortiront totalement intactes. Les victimes civiles se comptent en revanche en centaines de milliers. Moins visible et totalement tabou, le rôle des maquis en Bretagne est trouble. Les FTP, aveuglément anticléricaux ne se gênent pas pour vivre sur le pays, et maltraiter une population jugée par eux bigote et rétrograde. Au fur et à mesure que la guerre avance, les exactions des « résistants » communistes se multiplient, et les récits de vols, viols, assassinats rebaptisés « attentats » ou « exécution » se multiplient. Tout est prétexte à s’en prendre aux prêtres, aux bretonnants (cette langue qui ressemble selon les imbéciles tellement à l’allemand, en raison de ce que « oui » se dit « ya »…). On assassine Yann-Vari Perrot, curé de Scrignac et militant breton. Accusé par les communistes d’être trop proches des Allemands qui occupaient son presbytère (a-t-il choisi cette proximité?), il a surtout payé son engagement pour la langue et la culture bretonnes. Les rouges à peine sortis du pacte Molotov-Ribbentrop n’oublient pas que « la réaction parle breton »… Lorsqu’arrive la « libération », l’épuration sera telle en Bretagne qu’on ne comptera pas les victimes. Il y eut -comme partout ailleurs- des collaborateurs actifs. Mais quand, en France, un Maurice Chevalier, un Jean-Paul Sartre ou une Simone de Beauvoir, s’en tirent avec grâce, on pourchasse sans pitié, on fusille on condamne à l’exil des hommes et des femmes qui n’ont parfois eu que le tort de parler breton en public, de jouer de la cornemuse, ou de poursuivre un programme en langue bretonne sur Radio-Rennes… Les authentiques collaborateurs bretons, membres de la milice Perrot ou des Bagadou Stourm, avancent pour leur défense morale qu’ils ne se sentaient rien devoir à la France. Que leurs morts de 14 n’avaient pas été honorés. Que leur patrie était libre de choisir ses alliés. Que les tous premiers résistants arrivés à Londres soient intégralement des Bretons de l’Île de Sein, et que cette loyauté française n’ait déclenché après guerre aucune gratitude particulière, en dehors d’une médaille à leur île d’origine, pourrait laisser penser que l’analyse des collaborateurs n’était pas totalement erronée…

Jean Marie Perrot
Yann-Vari Perrot, assassiné car trop breton

Quand arrivent les années 60, la Bretagne n’est que peu électrifiée, l’eau courante n’arrive pas partout. Elle qui a ébloui l’Europe par sa richesse, est désormais un quart monde. Les agriculteurs bretons sont ridiculisés à la télévision française, on dit qu’ils « travaillent comme au Moyen-Âge », que ce sont « des sauvages ». Ces propos sont tenus. Réellement. L’exode est massif. La Bretagne déjà saignée de ses morts de 14, voit ses fils partir pour les usines françaises, parfois pour l’Amérique.

C’est à cette époque que la vielle droite post-monarchiste fait sa mue moderniste. De Gaulle est congédié peu après le discours de Montréal (le type pensait normal de défendre le fait québécois contre les Américains, Couve de Murville, Servan Schreiber, Messmer et la clique lui ont fait comprendre que le réduit gaulois c’était fini). D’un coup, la droite devient une droite d’argent, qui ne pense que modernité, marché, et pour qui le catholicisme, les traditions rurales et, plus encore, les langues locales sont des vieilleries à détruire… Elle rejoint sur ces sujets la gauche dite progressiste, et de cette dynamique commune, résulte sans doute la vie politique que nous connaissons aujourd’hui. Il ne suffisait à la gauche que de rejoindre l’économie de marché, pour qu’il n’y ait plus un cheveu entre la droite de gouvernement et elle… Que cette vielle droite française n’ait jamais soutenu la Bretagne que comme la corde soutient le pendu, ne change rien au fait que la province armoricaine se trouve privée de tout soutien politique. Si d’un seul coup, on s’intéresse à elle, ce n’est pas pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle peut donner. Pas pour sa langue ou la beauté de sa société traditionnelle. Pas pour son patrimoine culturel et l’ardeur de ses entrepreneurs, pas pour valoriser l’effort du peuple pour sa survie. Mais parce qu’on s’aperçoit de ce qu’elle peut donner beaucoup plus que ce qu’elle donne. C’est la période du remembrement agricole qui transforme radicalement les paysages.

Talus bretons
La Bretagne perdra peu à peu ses talus

La France décide que la Bretagne fera des cochons. Elle fait des cochons. La Bretagne doit pêcher plus. Elle vide les océans et construit de criées partout. La France doit faire des dindes à grande échelle. On lui envoie Père Dodu et il apporte avec lui des wagons d’immigrés turcs qui coûtent ENCORE MOINS CHER que les journaliers Bretons. C’est que les patrons français en Bretagne sont face à un paradoxe. Ils veulent de la main-d’œuvre bon marché, et ils s’attendent à en trouver à foison parmi ces sauvages celtiques, mais ils ont la surprise de se retrouver face à la population la plus éduquée de France. Les petits Bretons, et spécialement ceux qui bénéficient d’une éducation bilingue, forment les plus forts bataillons des étudiants des grandes écoles françaises. Dès les années 30, les académies de Rennes et de Nantes ont enregistré les meilleurs scores au Baccalauréat. Leurs élèves ont trusté les meilleures places au Concours Général. Les normaliens bretons sont légions. Qu’il reste une main-d’œuvre rurale corvéable, à merci bien sûr, mais il devient vite indispensable de la mettre en concurrence avec une immigration massive qui fera baisser le coût du travail… Et les Bretons retrouvent la voie de l’exode rural.

Puis arrive la « deuxième gauche » sous la forme du PSU. Le parti de Rocard c’est une bande de chevelus, moitié hippies-moitié identitaires, dont le slogan « Vivre et travailler au pays » serait aujourd’hui considéré comme quasiment nazi… Ils s’émeuvent de l’exode des jeunes vers les villes et les usines, vers Paris loin de leurs provinces. En Bretagne, ils découvrent un champ de ruine, une société qui a perdu sa langue en deux générations, qu’on bétonne à toute allure, et qu’on humilie quotidiennement, qui se folklorise. Dans leur sillage renaissent le fest-noz, la veillée, la collecte de poésie et de chants populaires. On crée des écoles en langue bretonne pour sauver la dernière langue celtique continentale. Ils sont les seuls à s’intéresser au pays. Et par un mouvement d’une ampleur et d’une soudaineté unique dans la politique française, la Bretagne qui se trouve enfin des défenseurs, pour lui dire qu’elle est belle, et qu’elle vaut plus que le prix de la tonne à l’hectare bascule à gauche. Mais d’une gauche dont aujourd’hui on dirait qu’elle est sociologiquement à droite.

Arrive 1981. François Mitterrand est évidemment soutenu par le PSU. Il promet d’ailleurs aux Bretons de réunifier leur territoire, de donner un statut officiel à leur langue, de préserver la place des Bretons chez eux, tout juste s’il ne promet pas le TGV jusqu’à Ouessant et le Gwenn-Ha-Du sur l’Elysée… Évidemment il n’en fait rien. Ses deux mandats se solderont pas un statut-quo complet en Bretagne. Il a capté à gauche les votes des Bretons grâce à Rocard, et va dans la foulée détruire la « deuxième gauche ». Le PSU disparaît en avril 1990, alors que la gauche de gouvernement a rejoint la droite sur toutes ses options économiques. Les Bretons, dégoûtés par Paris, deviennent massivement pro-européens, convaincus que Bruxelles va leur rendre ce qu’ils ont le sentiment de se faire voler par Paris. Il faut dire que la Bretagne donne en impôt 41 fois ce que la France lui renvoie, tous budgets confondus… Ça s’appelle un retour sur impôt exceptionnel. Bien sûr la voie européenne est elle aussi une escroquerie. Comment imaginer qu’en choisissant un pouvoir de plus en plus lointain on verra ses revendications locales satisfaites ? Les maux dont souffrent la Bretagne ne s’apaisent pas sous Bruxelles. Ils s’aggravent même en grande partie. La Bretagne au tournant des années 2000 réalise doucement qu’elle se désindustrialise et que son agroalimentaire piloté par Paris et Bruxelles a des concurrents déloyaux. On fracasse sa pêche sur l’impératif d’une diminution de la flotte. Alors que la pêche artisanale bretonne était riche de petits bateaux, respectueux de la ressource, parce que sélectifs, on encourage la destruction des unités de taille modérée et on subventionne la fabrication d’unités de plus en plus grosses et de moins en moins respectueuses de la ressource. Le modèle agricole breton avait réussi à maintenir des exploitations familiales basées sur la polyculture. La PAC les assassine.

PAC
La PAC impose en Bretagne une agriculture ultra-intensive qui détruit ses sols

Dans le même temps, la Bretagne, insensiblement, connaît une nouvelle colonisation. Le TGV permet à des cadres français de venir acheter à bas prix des maisons et une qualité de vie. Si dans un premier temps, le mouvement n’affole personne, aujourd’hui des villes comme Rennes et Nantes, sont devenues françaises dans leur presque totalité, et reprocher aux Bretons la couleur de leur vote n’a plus aucun sens. Il suffit de regarder les listes électorales pour voir que mêmes des villes moyennes ne comptent plus parfois qu’un tiers de patronymes bretons. Le même phénomène existe depuis vingt ans en zone littorale. Le Morbihan est un village de vacances, le Finistère c’est quasiment fini… Les Bretons, en outre, quand ils votent, ne votent plus sincèrement pour ce en quoi ils croient, ils votent à front renversé et à contre courant des Français. Le processus que je viens de décrire l’explique assez bien. On leur a assez répété pendant trois siècles qu’ils n’étaient Français que de devoirs et jamais de droit pour qu’ils ne se sentent pas obligés de voter pour le bien de la France. Depuis les années 50 ils voient leur langue crever, et tandis que la dernière langue celtique continentale n’a aucun espace officiel, les administrations françaises ont installé l’arabe à tous leurs guichets, et il est possible à tous les enfants immigrés ou non d’avoir des cours d’arabe et de turc au collège tandis que 80 % des demandes d’inscription en filière bilingue breton restent insatisfaites… Traité chez soi moins bien qu’un immigré de fraîche date. Moins bien qu’un retraité français. Moins bien que n’importe qui, en somme

On pourrait, avec le très soudain déferlement d’une immigration extraeuropéenne qui touche -enfin dirait-on- la Bretagne, imaginer une explosion des votes protestataires de gauche ou de droite. On pourrait imaginer voir autour de Rennes et Nantes ravagées par les migrants, devenues des haut-lieux du viol et du crime crapuleux, le RN faire des scores phénoménaux. Pourtant il n’en est rien. Pourquoi ? Parce que le RN ne parle jamais aux Bretons. Et quand il leur parle c’est pour les insulter. Il faudrait un jour faire un florilège des déclarations de Marine Le Pen sur son projet en Bretagne : interdiction des écoles en langue bretonne, fermeture des filières bilingues, décrochage des panneaux routiers en breton (une urgence), interdiction des subventions pour les associations culturelles (toujours cette manie de fusiller des sonneurs de cornemuse)… Quant au représentant de son parti au Conseil Régional, Monsieur Pénelle, il a de la pleine à cacher qu’il hait finalement les migrants un peu moins qu’il ne hait les Bretons, cette racaille rouge…

Gilles Pennelle
Gilles Pennelle, du RN, n’aime pas la Bretagne et il le fait savoir

Les Bretons devraient se prendre en main politiquement me direz-vous. Oui. Il, existe des partis bretons. De toutes les tendances et avec tous les projets. Des nationalistes purs et durs, anti-immigrationnistes et anti-européens, des réformistes chics, centristes en tout, façon SNP écossais, des paléo-socialistes, des gauchistes absolus, antifas de 60kg. Tout, il y a tout. À eux tous ils ne pèsent rien. Pourquoi ? Parce qu’ils sont invisibles. Les médias en Bretagne sont entre les mains de la France. Tous. Les trois quotidiens qui se partagent la Bretagne, Ouest-France, Le Télégramme et Presse-Océan, et qui sont tous les trois exactement sur la même ligne politique, reçoivent à eux trois annuellement la bagatelle de sept millions d’euros d’aide publiques. On conçoit qu’une presse tellement libre du joug de l’état ne se sente en rien redevable… Aussi, il peut se produire n’importe quoi à l’initiative des partis dits Bretons quels qu’ils soient, il n’en est JAMAIS fait écho. Manifestation, réunion publique, distribution de tracts ne rencontrent au mieux qu’un entrefilet légèrement méprisant. Si en revanche un militant d’un de ces partis se méconduit, ou qu’une action à la limite de la légalité se produit, si par exemple des autocars sont tagués à Nantes pour réclamer la réunification, il faut lire les pamphlets courroucés à l’unisson dans les trois organes. Trois adolescents chevelus jouent de la bombe de peinture et c’est la démocratie et la paix civile qui sont menacés. Le nazisme est à Penhoët et le Bezen Perrot va vous rafler à Landerneau…

La Bretagne comme entité politique, son autonomie possible, ses revendications culturelles et économiques ne sont plus un sujet nulle part. Depuis que le mouvement clandestin a été éradiqué par les manipulations politiques et les barbouzeries de Chevênement, il n’y a, semble-t-il, plus d’espoir. Il reste régulièrement un soubresaut. Les Bonnets Rouges, prototype local et généralement ouvertement indépendantiste des Gilets Jaunes, ont montré le potentiel de violence de la société bretonne. Hélas. La densité de Bretons au mètre carré dans les cinq départements laisse peu d’indices pour imaginer une insurrection.

Pourtant, la Bretagne est aussi peuplée que le Danemark ou la Norvège… Sans parler de la Macédoine et du Monténégro… Quant à son potentiel économique, on oublie souvent que son agroalimentaire et l’industrie de la Basse Loire en font une terre qui serait économiquement TRÈS prospère si elle n’était pillée fiscalement. La désindustrialisation, fruit de plans concoctés à Paris, et le massacre de sa flotte de pêche n’auraient sans doute pas eu lieu si les Bretons avaient eu leur sort entre leurs mains. Aussi, il serait non seulement plaisant mais logique de cesser de nous demander ce que nous deviendrions privés de la tutelle française, en nous supposant réduits à manger « nos choux et nos patates »…

Bonnets rouges
Quand les Bretons ne se laissent pas faire …

Voilà environ quarante ans que je préviens mes amis français que ce qui aura servi de caution morale à notre éradication culturelle servira aussi à la leur. L’universalisme républicain, et ses avatars post-modernes, idéologie diversitaire, indigénisme et islamo-gauchisme intersectionnel ont commencé leur travail de destruction de ce qui fait la culture, l’histoire et la langue française. Je pourrais, goguenard, m’en réjouir, et regarder de ma fenêtre passer la dépouille du pays occupant en riant jaune. Je n’y arrive pas. La perte de ce qui a fait la France reste une perte. J’aimerais simplement que les Français qui en souffrent et s’en émeuvent regardent que ce Grand Remplacement qu’ils connaissent, nous l’avons connu avant eux. Ils nous l’ont imposé, et ont bien souvent ricané à nos revendications de ploucs, à nos biniouseries, à ce qu’ils voyaient comme un folklore. Demain, le folklore, ça pourrait bien être vous. Dès ce soir peut-être.

L’histoire Ô combien résumée que je viens de vous conter devrait au moins vous conduire à cesser d’injurier ceux que vous avez mis en position de vous devancer dans la disparition.

« J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis. »

Erig, via le blog Barr-Avel

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5 réponses à “Elections. Comment expliquer le vote breton ?”

  1. Pschitt dit :

    En prenant en compte systématiquement les points de vue “bretons”, au risque d’apparaître comme partisan et de mauvaise foi, vous illustrez en creux un fait classique : l’histoire est écrite par les vainqueurs. Vous la réécrivez avec le regard des vaincus, et du coup vous ne paraissez pas crédible aux yeux des crédules ! Le fait est que salauds et héros auraient échangé leurs places si le sort des armes avait été différent.
    Cela dit, les réalités humaines sont quand même plus complexes. Par exemple, les Bretons n’ont pas partout pris parti massivement contre la République en 1793. Ou encore, beaucoup des FTP de 1944 étaient de franches canailles (…et néanmoins bretons), mais certains, loyalement fidèles à leur engagement politique, désiraient sincèrement servir les intérêts de l’URSS.
    Par ailleurs, votre recensement oublie l’une des pires mauvaises manières faites par la France à la Bretagne : le blocus continental.

  2. Droal dit :

    Magnifique article.

    C’est le sentiment profond de ceux, et au premier chef les Bretons, qui aiment la Bretagne.

    Un Breton Bigouden Pierre Jakez Hélias,(un “chinois” comme disaient les Quimpérois), affirmait de la langue bretonne : “Le breton a prouvé sa force et sa nécessité en durant, c’est tout.”

    On peut l’appliquer au Bretons: “Le peuple breton a prouvé sa force et sa nécessité en durant, c’est TOUT”

    Et dans l’ordre temporel, le GRANIT , ça dure.

  3. Breurec dit :

    Il ne manque pas un cliché et pas une légende dans votre récit de l’histoire de la Bretagne. Un geignement victimaire … Les 240000 poilus – qui furent 130000, le pauvre abbé Perrot … les malheureux paysans victimes de la politique agricole comme s’ils n’ y avaient pas trouvé leur intérêt … Et le parallèle avec le Grand Remplacement ! Quant aux partis politiques bretons “À eux tous ils ne pèsent rien. Pourquoi ? Parce qu’ils sont invisibles.” Non, mais parce que les Bretons ne se sentent pas représentés par ces partis. Tu m’étonnes …

  4. patphil dit :

    la région de nantes capitale d’anne de bretagne)est encore détachée du reste de la bretagne depuis pétain !

  5. Celtica dit :

    Magnifique. Merci. J’ai beaucoup appris en vous lisant.
    Ce que j’avais compris par le vécu familial et l’observation, et quelques bribes d’histoire, seulement des bribes, puisque nous les bretons, avons été dépouillés de notre histoire par la République scélérate, vous le développez à merveille.
    Et que dire de nous, les bretons exilés, chassés par la misère de notre terre, parfois depuis 2 ou 3 génération et dont le cœur continue de battre pour notre Bretagne perdue et notre peuple en souffrance…

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