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Pygmalion, le mythe patriarcal adapté en bande dessinée

Le mythe de Pygmalion célébrait la société grecque patriarcale. Une bande dessinée adapte ce mythe en modifiant son sens.

Sur l’île de Chypre. Un jeune homme, Pygmalion, ne connaît qu’une passion, la sculpture. Son père, le vieil Anthéos, notable de la cité d’Amathous, vient de seller l’accord de son mariage avec Agapé, la fille de son voisin Bolos. Agapé est effectivement éperdument amoureuse de Pygmalion. Mais celui-ci, insensible à son charme, n’a aucune envie de se marier. Il veut se vouer entièrement à la sculpture, sous les conseils avisés de son maître Copias. Pour tenter de le convaincre, Antheos entraîne Pygmalion en mer. Mais il provoque Brésie et ses Propétides, les prostituées sacrées de la cité, alors qu’elles célèbrent Poséidon, dieu des mers. Un monstre marin attaque alors l’embarcation. Après avoir broyé le navire et tué Anthéos, il laisse Pygmalion inconscient. Pendant trois jours, Pygmalion est soigné par Agapé. En rêve, il voit son père sur le Styx, la belle déesse Aphrodite payant son obole à Charon afin qu’il puisse entrer au pays des morts. À son réveil, Pygmalion est obsédé par l’idée de sculpter la plus belle des représentations d’Aphrodite. Il demande à Agapé de lui servir de modèle. Mais c’est un échec. Une nuit, Pygmalion fait un nouveau rêve. Aphrodite, la déesse de l’amour, lui envoie Eros, son messager. À son réveil, il sculpte Galatée, la vierge d’ivoire. Pygmalion en tombe amoureux. Et si Aphrodite pouvait rendre la statue Galatée vivante ? Agapé accepte alors le marché que lui propose la déesse afin de donner vie à la statue.

Au début des années 2000, le scénariste Serge Le Tendre (La Quête de l’oiseau du temps, L’oiseau noir…), sur un ton léger, avait déjà réalisé La gloire d’Era et Tiresias, avec Christian Rossi au dessin. Avec le dessinateur Frédéric Peynet, il nous offre Pygmalion, un nouvel épisode de la mythologie grecque.

Le scénariste s’écarte du mythe de Pygmalion, relaté par le poète Ovide dans ses Métamorphoses (Les métamorphoses d’Ovide (Livre X, Fable 6) : Pygmalion et Galatée). Dans le mythe est dénoncée l’indépendance de mœurs des Propétides (femmes de Chypre), à l’époque associée à la prostitution ou à la sorcellerie. Révolté contre le mariage à cause de la conduite répréhensible de ces femmes, Pygmalion préfère la fidélité d’une statue d’ivoire et se voue au célibat. Aphrodite donne alors vie à la statue : le dévouement et le talent du sculpteur Pygmalion sont récompensés par un amour absolu.

Voici un extrait du merveilleux texte d’Ovide : « Pygmalion, pour les avoir vues mener une existence vouée au crime, plein d’horreur pour les vices que la nature a prodigalement départis à la femme, vivait sans épouse, célibataire, et se passa longtemps d’une compagne partageant sa couche. Cependant, avec un art et un succès merveilleux, il sculpta dans l’ivoire à la bancheur de neige un corps auquel il donna une beauté qu’aucune femme ne peut tenir de la nature ; et il conçut de l’amour pour son oeuvre. Elle avait toute l’apparence d’une véritable vierge, que l’on eût crue vivante et, si la pudeur ne l’en empêchait, désireuse de se mouvoir : tant l’art se dissimule grâce à son art même. Pygmalion s’émerveille, et son coeur s’enflamme pour ce simulacre de corps. Souvent il palpe des mains son oeuvre pour se rendre compte si c’est de la chair ou de l’ivoire, et il ne s’avoue pas encore que c’est de l’ivoire. Il lui donne des baisers et s’imagine qu’ils lui sont rendus ; il lui parle, il la serre contre lui et croit sentir céder sous ses doigts la chair des membres qu’ils touchent ; la crainte le prit même que ces membres, sous la pression, ne gardassent une marque livide… Le jour de la fête de Vénus, que tout Cypre célébrait en foule, était venu ; les génisses au cou de neige, l’arc de leurs cornes tout revêtu d’or, étaient tombées sous le couteau, et l’encens fumait à cette occasion ; Pygmalion, les rites accomplis, se tint debout devant les autels et, d’un ton craintif : « S’il est vrai, ô dieux, que vous pouvez tout accorder, je forme le voeu que mon épouse soit – et comme il n’ose dire : la vierge d’ivoire – semblable à la vierge d’ivoire » dit-il. Vénus, qui assistait en personne, resplendissante d’or, aux fêtes données en son honneur, comprit ce que voulait dire ce souhait et, présage de l’amitié de la déesse, la flamme trois fois se raviva et une langue de feu en jaillit dans l’air. Rentré chez lui, Pygmalion se rend auprès de sa statue de jeune fille et, se penchant sur le lit, il lui donna des baisers. Il lui sembla que sa chair devenait tiède. Il approche de nouveau sa bouche ; de ses mains il tâte aussi la poitrine : au toucher, l’ivoire s’amollit, et, perdant sa dureté, il s’enfonce sous les doigts et cède, comme la cire de l’Hymette redevint molle au soleil et prend docilement sous le pouce qui la travaille toutes les formes, d’autant plus propre à l’usage qu’on use davantage d’elle. Frappé de stupeur, plein d’une joie mêlée d’appréhension et craignant de se tromper, l’amant palpe de nouveau de la main et repalpe encore l’objet de ses voeux. C’était un corps vivant : les veines battent au contact du pouce. Alors le héros de Paphos, en paroles débordantes de reconnaissance, rend grâce à Vénus et presse enfin de sa bouche une bouche qui n’est pas trompeuse. La vierge sentit les baisers qu’il lui donnait et rougit ; et, levant un regard timide vers la lumière, en même temps que le ciel, elle vit celui qui l’aimait… ».

Dans la série La Sagesse des Mythes de chez Glénat, le tome intitulé Narcisse & Pygmalion respectait le texte d’Ovide. Mais pour ce tome de la série Mythologies de chez Dargaud, le scénariste Serge Le Tendre fait un autre choix. Certes, il reprend la trame : un jeune artiste tombe amoureux de la statue qu’il a sculptée, avec la complicité de la déesse Aphrodite. Mais il place Agapé, amoureuse éconduite, au centre du récit. Il imagine que c’est l’esprit d’Agapé qui est entré dans la statue, par l’intervention d’Aphrodite. A l’inverse du mythe, Pygmalion dans la bande dessinée découvre l’amour auprès d’une femme, Agapé.

Par ses cadrages judicieux et son dessin classique et élégant, Frédéric Peynet nous offre de magnifiques tableaux de la Chypre antique. Pour dessiner la ville imaginaire d’Amathous, il s’est inspiré du port d’Heraklion. Il a modélisé cette ville en 3 D afin de rendre cohérents les dessins des lieux. L’expressivité du dessin rend les personnages particulièrement fouillés.

Le prochain album sera consacré à Astérios le Minotaure.

Kristol Séhec

Pygmalion et la vierge d’ivoire, 76 pages, 17 euros. Editions Dargaud.

Illustrations : DR
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