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L’obligation bancale du mariage civil avant le mariage religieux : entrave désuète à la Liberté religieuse

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Tout Français sait qu’un mariage civil doit normalement précéder un mariage religieux. Mais, contrairement à la pensée répandue, il n’est pas interdit dans tous les cas de se marier religieusement avant de se marier civilement. Le droit actuel est plus subtil. Il sera dans quelques mois l’anniversaire des 30 ans de l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, code dont c’est l’article 433-21 qui régit cette obligation :

« Tout ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil sera puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »

La subtilité est dans le « de manière habituelle » qui fait appel au délit d’habitude caractérisé dès la seconde occurrence. En clair : un ministre d’un culte qui marie une unique fois sans mariage civil préalable peut le faire en toute légalité.

Il est à noter qu’un « ministre d’un culte » de nationalité étrangère coupable de ce délit d’habitude peut, depuis 2021, être interdit du territoire français, et même à titre définitif (art. 433-21-2). Enfin, les peines complémentaires pouvant également sanctionner ce délit d’habitude sont les suivantes (art. 433-22) :

Interdiction des droits civiques, civils et de famille (durée maximum de 5 ans cf. art. 131-26),

Interdiction d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle (sic) ou sociale (durée maximum de 5 ans cf. art. 131-27),

Affichage et/ou diffusion de la décision prononcée (à la charge du condamné, durée maximale de 2 mois, cf. art. 131-35).

Il est à noter que, depuis 1905, les « ministres d’un culte » ont été particulièrement respectueux de la règle d’antériorité du mariage civil, à tel point que les condamnations comptent à priori moins de 10 occurrences : 1906 (deux cas), 1907, 1923, 1934, 1972, 2008, et 2011 (relaxé au bénéfice du doute en appel en 2013). Depuis le nouveau code pénal de 1994, les deux seules condamnations relevées concernent des imams. Les amnisties à la suite des élections présidentielles de la Ve République (jusqu’en 2002) ont par ailleurs souvent couvert ces délits ainsi que tout ou partie de leurs sanctions, à l’exception toutefois des récidives visées par l’article 200 de l’ancien Code pénal.

Une obligation incohérente si l’on tient à se marier religieusement

Commençons tout d’abord par le devoir de se marier à deux reprises qu’impose cette obligation. En prenant un peu de recul, il est curieux de devoir s’engager dans le mariage à deux reprises avec la même personne pour que tout soit en ordre. D’aucuns diront qu’il s’agit d’un engagement devant la société pour le mariage civil, et un devant Dieu pour le mariage religieux. Cette interprétation me semble fallacieuse : dans le mariage religieux la société est bien présente au même titre qu’au mariage civil : les témoins et l’assemblée. Il s’agirait plutôt d’un mariage devant César, puis d’un mariage devant Dieu, selon la célèbre formule évangélique. Mais cela n’enlève rien répétition imposée de se marier deux fois…

Prenons ensuite l’exemple du dernier rituel du mariage catholique en langue française. Dans celui-ci, le célébrant dit lors du dialogue initial avec les futurs époux : « Vous allez vous engager l’un envers l’autre. Est-ce librement et sans contrainte ? ». En lisant textuellement, on comprend que l’Eglise catholique considère qu’ils ne sont pas engagés et leur demande s’ils sont bien libres. Il faut remonter à une traduction littérale de la version latine de référence (Editio typica de 1991) pour comprendre le sens véritable de la question : « Êtes-vous venus ici sans contrainte, mais avec un cœur libre et plein pour contracter mariage ? ». Cette question concerne en fait la liberté de volonté qu’ont des futurs époux de s’engager, qui est indispensable pour que le mariage catholique soit valide. Comment imaginer que le fait de s’être déjà engagés à la mairie n’a aucun impact sur la liberté de la volonté des futurs époux ? On peut noter que la cérémonie de mariage civil ne fait, elle, pas intervenir la notion de liberté de volonté des époux au moment où ils contractent le mariage, mais uniquement la notion de leur volonté à s’engager : « Voulez-vous prendre pour époux (épouse) monsieur (madame), ici présent (e) ? ». Il est ainsi logique de considérer que l’ordre ayant le plus de sens pour les deux cérémonies de mariage serait celui du mariage religieux avant le mariage civil.

Enfin, depuis le changement de définition et de nature du mariage civil avec le dit « mariage pour tous », de nombreuses personnes ne comprennent pas pourquoi il leur est obligatoire de procéder, avant leur mariage religieux, aux cérémonies de ce dit « mariage pour tous » heurtant leur liberté de conscience.

La France est isolée sur ce sujet de Liberté religieuse au sein du monde occidental

De très nombreux pays reconnaissent des effets civils à au moins certains mariages religieux : Australie, Canada, Croatie, Espagne, Etats-Unis, Irlande, Grande-Bretagne, Grèce, Italie, Macédoine, Malte, Nouvelle Zélande, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, les 4 pays scandinaves, les 3 pays baltes.

D’autres encore ne donnent pas d’effets civil au mariage religieux, mais n’imposent pas non plus l’antériorité du mariage civil : Albanie à priori, Allemagne (obligation d’antériorité supprimée en 2007), Autriche (obligation d’antériorité jugée inconstitutionnelle en 1955), Serbie (obligation d’antériorité supprimée en 1994), et des pays de l’ex-URSS (Biélorussie, Moldavie, Russie, Ukraine) à priori.

Enfin, en queue de peloton figurent, avec la France (art. 433-21 Code pénal), ceux qui imposent l’antériorité du mariage civil : Belgique (art. 21 Constitution), Liechtenstein (art. 3 loi de 1973 sur le mariage), Luxembourg (art. 267 Code Pénal), Pays-Bas (art. 449 du Code pénal), Suisse (art. 97 Code civil), des pays de l’ex-Bloc de l’Est (Bulgarie, Hongrie, Roumanie), et des pays de l’ex-Yougoslavie (Bosnie-Herzégovine, Monténégro à priori, Slovénie).

Une loi bancale

Il est curieux de noter que la notion de « ministre d’un culte » et de « cérémonie religieuse » n’est pas adaptée à toutes les religions. Comme le reconnaissait le ministre de l’Intérieur lui-même en répondant à la question écrite du député Mourrut l’interrogeant sur le sujet en 2007, le mariage religieux musulman est un engagement privé entre deux personnes qui ne donne pas nécessairement lieu à célébration religieuse par un imam. Ainsi, de nombreux mariages religieux musulmans célébrés en France échappent à cette loi bancale. Ils sont estimés à 40 000 par an. Et il est ahurissant que la « Loi séparatisme » de 2021, qui a pourtant retouché cet article 433-21 du Code pénal en alourdissant la sanction, n’a pas corrigé son aspect bancal. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, cette loi visait pourtant justement à empêcher quelques dérives de certains musulmans, notamment dans l’aspect du mariage avec les vices de consentements, la polygamie, etc.

Les autres parades utilisées pour échapper à cette obligation sont le mariage religieux à l’étranger où ils valent mariage civil (Maghreb, Israël, etc) et ensuite transcrits en toute légalité à l’Etat civil français. Selon l’INSEE, environ également 40 000 mariages, pas forcément uniquement religieux, célébrés à l’étranger sont transcrits chaque année à l’Etat civil français. Par contre pour un français non musulman qui souhaite avoir la liberté de se marier religieusement dans son pays avant le mariage civil, il n’existe aujourd’hui pas d’autre moyen légal que d’utiliser la première occurrence avant que le délit d’habitude ne puisse être caractérisé pour le « ministre d’un culte ».

Perspectives

L’objectif de l’Etat concernant le mariage religieux est à mon sens double : il convient à la fois de respecter la Liberté religieuse, mais également de prévenir les manquements potentiels à l’ordre public évoqués ci-dessus. En effet, la situation actuelle est bien différente de celle de 1905 du fait de la large présence sur le territoire de l’Islam, religion dont l’orthodoxie implique un autre système politico-culturel. La loi doit évidemment le prendre en compte.

Dans un souci de réalisme politique à court et moyen terme, je resterai ici dans le cadre actuel de la laïcité. Ainsi, même s’il serait évidemment souhaitable que l’Etat reconnaisse des effets civils au mariage religieux, cela semble inenvisageable sans toucher à la loi de 1905. Sans-doute faudrait-il pourtant y toucher, ne serait-ce que pour cadrer les excès religieux de certains musulmans rigoristes sans entraver toutes les autres religions. Néanmoins, il s’agit d’un sujet bien plus vaste et absent à ce stade du débat public. Je le laisse donc ici de côté. Restons donc dans un régime républicain laïc qui ne « reconnait aucun culte » et ne pourrait malheureusement ainsi, ni donner d’effets civils au mariage religieux, ni s’appuyer sur les ministres du culte pour s’assurer de l’absence de vice de consentement ou de l’absence de polygamie.

Prenons l’exemple d’un « ministre d’un culte » qui marierait religieusement la veille du mariage civil, tout en ayant eu la preuve formelle que le mariage civil était confirmé pour le lendemain. En quoi cette situation poserait objectivement problème à l’Etat ? Décomposons le mariage civil en :

L’autorisation administrative au mariage : constitution et vérification du dossier, publication des bans, entretien éventuel avec l’officier d’Etat civil, le tout couronné par la confirmation de la date du mariage civil

Puis l’engagement civil, formel et public, c’est à dire la cérémonie du mariage civil

Une fois l’étape d’autorisation administrative validée, quelles sont les raisons objectives et graves qui s’opposeraient à la Liberté religieuse de se marier religieusement avant l’engagement civil ? Les esprits chagrins pourraient dire que certains dans la population pourraient croire que leur mariage religieux a des effets civils. Tout d’abord nul n’est censé ignorer la loi. Ensuite, au moment de la remise de cette autorisation administrative, il pourrait être exigé des futurs époux de signer un document affirmant qu’ils ont bien connaissance que seul l’engagement civil a des effets sur leur Etat civil.

Par ailleurs, la loi prévoit déjà des cas d’obtention de cette autorisation administrative simple. En effet, les Français désirant se marier à l’étranger doivent obtenir un Certificat de Capacité à Mariage (CCM) (article 171-2 du Code civil) correspondant à l’autorisation administrative décrite.

Ainsi, on pourrait facilement améliorer la situation actuelle d’entrave à la Liberté religieuse en permettant aux ministres d’un culte de procéder au mariage religieux si les futurs mariés présentent ce CCM. Pour améliorer la cohérence de la loi, il conviendrait également d’élargir la mention de « ministre d’un culte » et de « cérémonie religieuse » pour couvrir effectivement les cas de mariages musulmans avec ou sans imam (voire de sanctionner éventuellement les mariés si personne ne dirige l’engagement).

Que faire si le couple ne se mariait pas ensuite civilement ? On pourrait les sanctionner, mais il conviendrait de vérifier précisément la constitutionnalité d’une telle mesure : pourquoi leur interdirait-on de se pacser ou bien de rester en concubinage avec ou sans contrat privé ? On peut considérer qu’il s’agirait d’une discrimination fondée sur la religion.

Comment faire que la loi respecte mieux la Liberté religieuse sur ce sujet ? Le plus simple serait sans-doute que des parlementaires se saisissent de ce sujet pour une proposition de loi. Sinon il faudrait attendre qu’une ou plusieurs Questions prioritaires de constitutionnalité soient posées lors d’une procédure judiciaire contre un « ministre d’un culte » au titre de l’article 433-21 du Code pénal. Etant donné la rareté de ces procédures, il est à craindre que l’attente soit dans ce cas longue. Elle le serait encore plus si le Conseil constitutionnel prenait une décision antireligieuse et que la procédure doive aller jusqu’en Cour européenne des droits de l’homme. En attendant, il est particulièrement ridicule que le « Pays des droits de l’homme » soit, dans le monde occidental, l’un de ceux qui entravent le plus la Liberté religieuse sur la question du mariage.

Joseph d’Astros

Pour aller plus loin :

De l’ordre des célébrations civile et religieuse du mariage (articles 199 et 200 du Code pénal), de Thierry Revet, dans La Semaine Juridique Edition Générale n° 49, décembre 1987, doctr. 3309.

La philosophie religieuse des révolutionnaires français, de Germain Sicard, Les Principes de 1789, A.F.I.P., éd. P.U. Aix-Marseille, 1990, pp. 563-583.

Etat et Institutions religieuses, d’Elsa Forey, Presses universitaires de Strasbourg, 2007, pp. 151-202.

Consentement libre et nullité de mariage dans l’Église catholique, de Françoise Payen, dans Dialogue 2010/1 n°187, pp. 21-31.

L’habitude en droit pénal, thèse de doctorat en Droit de Charlotte Claverie-Rousset, Bordeaux, 2011.

Et si on libérait le mariage religieux ?, de Gregor Puppinck, Directeur du Centre européen pour le Droit et la justice (ECLJ), dans L’Homme Nouveau, hors-série n°10, 2012.

Faut-il dépénaliser les célébrations religieuses effectuées sans mariage civil ?, de Christophe Eoche-Duval, Conseiller d’Etat, dans Recueil Dalloz 2012, p. 2615.

Imam et droit pénal : quelques infractions liées à l’exercice des cultes, de Vincente Fortier, Revue du droit des religions n° 8, 2019, pp. 119-134.

Covid 19 : Il est possible de se marier religieusement sans passer par la mairie, de Delphine Loiseau, Centre européen pour le Droit et la justice (ECLJ), 2020.

Le droit des couples à l’aune des rapports Eglise-Etat, thèse de doctorat en Droit d’Anne-Sophie Millard-Laffitte, Paris, 2021.

Crédit photo : Pixabay (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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10 réponses à “L’obligation bancale du mariage civil avant le mariage religieux : entrave désuète à la Liberté religieuse”

  1. Henry Renoul dit :

    Il est toléré pour la Petite Église de Vendée que le mariage religieux précède le mariage civil.

  2. Durandal dit :

    Bonjour,

    “Depuis le nouveau code pénal de 1994, les deux seules condamnations relevées concernent des imams.”
    C’est le signe du remplacement religieux. Plus personne ne comprend chez les catholiques que le mariage civil est devenu progressivement un mariage diabolique, qui incite par exemple à la séparation. A côté de cela, notre bonne république tolère la polygamie mohamétane… D’ailleurs qu’y peut-elle sauf à contrôler tous les actes copulatifs ? (il ne faut pas désespérer de notre administration en la matière…)
    En somme, pour vivre libre, il faut partir à l’étranger. L’état français est jaloux de Dieu.

    Spirituellement vôtre..

    M.D

  3. Henri dit :

    Alons plus loin : pourquoi diable l’État se mêle-t-il de la volonté de deux humains de s’unir ? Un simple contrat devant notaire ferait tout aussi bien l’affaire. Histoiriquement, le mariage civil a été instauré pour contrer le monopole religieux, et n’en est plus que le calque.

  4. Jean-Louis d'André dit :

    Sous la Révolution française, les catholiques fidèles ont vu d’un très bon œil le dédoublement mariage civil-mariage religieux qui leur évitait de devoir passer devant un prêtre jureur pour bénéficier des effets civils de leur mariage religieux. Nous étions d’ailleurs dans une situation similaire avant que le pape François n’officialise les mariages dans la FSSPX : auparavant, en l’absence de mariage civil, les fidèles auraient dû passer par les paroisses officielles, parfois très progressistes pour bénéficier des effets civils du mariage.
    Il reste qu’un mariage religieux en l’absence de mariage civil ne devrait pas être sanctionné. On ne sanctionne pas ceux qui divorcent alors qu’il sont mariés religieusement, or le résultat est exactement le même (mariage religieux en l’absence de mariage civil).

  5. Jean-Philippe Weicker dit :

    Cette antériorité a une raison d’être, il s’agit d’éviter que des personnes naïves se croient mariées alors qu’elles n’ont participé qu’à une cérémonie religieuse qui n’a aucune valeur en droit et qu’elle négligent de faire acter leur union avec toutes les conséquences dommageables que cela peut entraîner (en termes de droits de succession par exemple). Pour cette raison il est nécessaire de s’assurer que le mariage civil a bien eu lieu avant de le compléter éventuellement par une cérémonie au choix des époux.

  6. Eschyle 49 dit :

    Remplacez , dans le code civil , les mots ” se marier ” et ” mariage “, par les mots ” s’enregistrer ” et
    ” enregistrement “. Lisez , page 557 , lignes 3 à 5 , ” Un mariage dans le Haut-Forez en 1873 ” :
    ( https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1880_num_9_36_6549 )
    ( https://www.ebay.fr/itm/154920916812 )
    Depuis la révolution française , la cérémonie tenue à la mairie est tenue pour une formalité d’enregistrement.

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