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Allemagne. Benedikt Kaiser : « Je défends le concept de triple appartenance : région – nation – Europe » [Interview]

Benedikt Kaiser est politologue, écrivain et auteur de best-sellers, dont “Die Konvergenz der Krisen” et “Solidarischer Patriotismus“. Il collabore à la rédaction de Freilich magazin, Eckart, Sezession, Kehre, Commentary, info-direkt et Tekos. C’est un homme actif et productif qui vise à sensibiliser la droite aux questions sociales et européennes et au développement d’un corpus idéologique exigeant et cohérent avec la réalité.

En tant que politologue, Benedikt Kaiser a toujours cherché à relier la pratique à la théorie. Dans son livre “Kie Konvergenz der Krisen”, il recherche une symbiose entre sofia et phronesis, car la doctrine doit être élaborée à la lumière de la réalité juridique, sociale et économique…

Un sujet qui lui tient particulièrement à cœur est la question sociale. La gauche rêve, mais la droite dort. La gauche est condamnée à suivre la chimère universaliste. La droite doit se réveiller et se mettre au travail. Dans le livre “Solidarischer patriotismus”, il décortique historiquement les leaders d’opinion et les concepts oubliés pour donner des pistes de réflexion.

Nous l’avons interrogé pour Breizh-info.com

Breizh-info.com : En 2011, vous avez écrit un livre sur Pierre Drieu la Rochelle. Pourquoi cet intellectuel est-il si proche de votre cœur ?

Benedikt Kaiser : Pierre Drieu la Rochelle est un inspirateur et une source d’inspiration. C’est pourquoi, lorsque nous avons créé notre maison d’édition Jungeuropa en 2016, nous avons décidé de commencer par un livre de Drieu : Gilles. Pour nous, c’est un européen de l’émotion et de la raison, un type ambivalent, avec des rebondissements et des transformations intéressantes, et bien sûr aussi des défauts, comment pourrait-il en être autrement ? Mais la personne de Drieu en elle-même – un champ de recherche passionnant ! C’est pourquoi nous avons également rassemblé en 2023 les récits de voyage de Drieu dans toutes sortes de journaux et de magazines français, de livres et d’anthologies, les avons traduits et publiés en allemand dans une édition bibliophile (Heimat Europa, Dresden 2023).

Breizh-info.com : Il y a une grande controverse en cours entre l’AfD, qui est en faveur de la remigration, et le RN, qui est en faveur de l’assimilation. Quelle est votre opinion sur ce débat ?

Benedikt Kaiser :Dans mon livre Solidarischer Patriotismus, je plaide pour une “relative homogénéité ethnoculturelle”. J’insiste sur le terme “relative”. Cela signifie que la migration, dans une certaine mesure, a toujours existé et qu’il n’y a aucune raison de la rendre artificiellement impossible. Mais je pense que la migration, dans la mesure où elle dépasse un certain niveau quantitatif, entraîne une érosion des rapports de confiance et de sécurité dans un pays. Dans ce cas, nous ne parlons plus d’assimilation : un pays risque alors de perdre son caractère original et son identité. Ce danger devrait conduire tant le RN que l’AfD à travailler ensemble à une politique migratoire européenne. Les problèmes des deux pays – l’Allemagne et la France – ne sont pas identiques, mais similaires.

Breizh-info.com : Que pensez-vous de Giorgia Meloni ? Finalement, une trahison de plus à droite ?

Benedikt Kaiser : J’ai écrit un essai sur Meloni et le danger de la “mélonisation” de l’AfD. On peut le lire ici : https://sezession.de/wp-content/uploads/2023/09/Sez115_Kaiser.pdf (gratuit). Il s’agit en bref de dire que Meloni, en tant que particularité, représente quelque chose de général. Partout où le “centre-droit” entre au parlement ou même au gouvernement, il s’agit de la quadrature du cercle : d’un côté, on veut être “contre” et s’opposer. On veut être une alternative au tout faux. Pour cela, on utilise le pied de biche du populisme. D’un autre côté, le besoin de reconnaissance par les forces hégémoniques du bloc au pouvoir est très fort ; il y a la référence aux “exigences” de la realpolitik et de l’économie ; et il y a la prétendue nécessité de signaler à l’adversaire que l’on n’est pas fondamentalement “contre”, mais que l’on souhaite seulement revenir sur les excès de la gauche.

L’opportuniste Meloni a succombé à la fatale “magie du centre” (Thomas Biebricher). On s’est volontiers engagé sur la voie de l’extrême droite vers ce centre, pour poursuivre dès lors la politique des élites politiques, économiques et sociales autrefois formellement combattues, sous une rhétorique de droite et en conservant une gestuelle culturellement conservatrice. Pendant des années, on a critiqué à mots couverts la partitocrazia, la communauté de proie des partis du cartel, pour agir – en toute responsabilité – de manière pas très différente de ces derniers ! C’est ce que j’appelle le piège Meloni : gagner les élections en menant une campagne électorale résolument à droite – pour présenter après la victoire un auto-dénigrement programmatique et gagner ainsi les faveurs des élites et des faiseurs d’opinion au lieu de les remplacer pas à pas – ce qui signifiait plus de patience et moins de glamour. Et surtout, plus de conviction idéologique !

Breizh-info.com : Dans l’ensemble du monde germanique, il existe un lien étroit entre la métapolitique et la politique électorale, comme en témoignent les diverses associations et fraternités, avez-vous un conseil à donner ?

Benedikt Kaiser : L’accès au pouvoir en Allemagne est bloqué pour le camp patriotique, les médias de référence (qu’ils soient privés ou proches de l’État) sont positionnés de manière opposée. La “marche à travers les institutions”, comme l’ont fait la gauche et les verts en République fédérale d’Allemagne, n’est plus guère possible. Ce dont nous avons besoin, c’est donc d’une interaction amicale, efficace et professionnelle entre un parti électoral patriotique – l’AfD – et son avant-garde extraparlementaire. C’est un “pré-carré” parce qu’il précède le parti, parce que ses champs d’activité précèdent le parlementarisme, parce que ses contenus précèdent les contenus de la politique du parti. Sans les multiples structures de l’avant-garde qui portent les positions et les concepts de son propre camp politique dans la société, il n’y aurait par exemple jamais eu – historiquement parlant – de social-démocratie allemande réussie : le schéma peut être utilisé de manière intemporelle.

Adapté à notre situation, cela signifie que la “realpolitik” (c’est-à-dire la politique parlementaire) et la “métapolitique” (c’est-à-dire de la politique des idées à la politique sociale) ne s’excluent pas, elles se complètent. Les parlementaires et les extraparlementaires doivent tirer la même corde. On devrait se connaître, s’estimer, se comprendre, se corriger, se compléter, enfin, se faire confiance. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut collaborer de manière constructive et fructueuse à long terme dans une “mosaïque patriotique”. A propos de mosaïque : pour mieux se rendre compte de la situation, il faut se représenter une telle mosaïque composée de nombreuses petites pierres qui, une fois assemblées, forment un ensemble respectable – prises individuellement, les pierres ne sont pas significatives. Cette mosaïque patriotique se présente comme suit : Elle se compose premièrement du parti en tant que formation électorale ayant un impact sur les masses et deuxièmement de son avant-plan naturel sous forme de projets idéalement apparentés. Le champ d’action d’un parti est son espace de protection, de soutien et de recrutement, en règle générale aussi son réservoir d’idées et son correctif situationnel.

Le pré-carré, aussi diversifié soit-il, s’occupe en général de l’espace non parlementaire (métapolitique), des maisons d’édition aux groupes de militants, le parti de l’espace parlementaire (realpolitik). Le parti doit être situé dans le cadre du champ électoral, c’est-à-dire dans le domaine où l’on se présente aux élections en tant que force organisée – que ce soit au niveau communal, régional, fédéral ou en ce qui concerne l’Europe de l’UE. A ces niveaux, le groupe organisé se bat avec d’autres groupes organisés pour obtenir des voix.

Le parti et le champ agissent donc à des niveaux différents, mais dans la même direction !

Breizh-info.com :  Quelle est votre vision de la politique électorale ?

Benedikt Kaiser : Nous avons besoin de connaissances, de connaissances, de connaissances. Et bien sûr, des personnes sympathiques qui transmettent ensuite ce savoir au plus grand nombre. Le fait est que : Les succès électoraux ne marquent pas à eux seuls un “tournant”. Ils ne sont pas la cause d’un tel changement, mais plutôt son aboutissement. L’hégémonie, c’est-à-dire la domination politique dans une société, n’est pas établie par les résultats électoraux. Les résultats électoraux sont la conséquence de l’hégémonie !

Regardons par exemple en Hongrie, où ce ne sont pas les Verts, comme en RFA, qui ont intériorisé ces idées, mais leur antipode conservateur Viktor Orbán. Celui-ci a gouverné Budapest de 1998 à 2002, mais il a remarqué qu’il était difficile de gouverner contre une hégémonie médiatique libérale de gauche. L’émergence de la société civile déjà mentionnée (des journaux aux fondations), associée à d’autres processus politiques, a contraint Orbán à rentrer dans les rangs de l’opposition en 2002. Orbán en a tiré les leçons. Qu’a-t-il fait ? Ce qu’il fallait faire. Il est revenu dans l’arène politique avec l’intention de relier le Fidesz à une nouvelle “société civile” de droite, de conquérir l’espace pré-politique, etc. Orbán a découvert que la responsabilité gouvernementale ne peut pas garantir que le pays sera façonné selon ses propres idées. Les nœuds du pouvoir ne se trouvent pas seulement au Parlement, mais aussi dans la société civile. Orbán a assimilé cette idée. Pendant huit ans, il s’est consacré à un travail d’opposition varié. Entre 2002 et 2010, il n’a pas seulement misé sur son parti. Il a misé sur les journaux, les maisons d’édition, les associations nationales, les fondations et les jeunes “métapoliticiens”. La victoire électorale qu’il a logiquement obtenue en 2010 a marqué le début de l’ère Orbán, qui se poursuit encore aujourd’hui ! Donc : même si l’on peut et doit naturellement formuler des critiques à l’égard de la Hongrie contemporaine … Voilà à quoi peut ressembler la politique de parti !

Breizh-info.com :   En termes concrets, la montée en puissance massive de la droite nationale en Europe, sans aucun changement politique radical, ne plongera-t-elle pas les gens dans un plus grand désespoir ? Comment rester purs tout en gagnant du pouvoir ?

Benedikt Kaiser : Oui, le danger est imminent. C’est pourquoi, dans les différents pays, il faut se détourner du populisme pur et dur pour se tourner vers un type de politicien de droite enraciné dans une vision du monde. La rapidité avec laquelle les gouvernements de droite se vendent eux-mêmes est une question de volonté, d’organisation, de caractère et également de vision du monde des acteurs centraux. Pour cette dernière, pour la consolidation de la vision du monde, il faut des groupes de pression de droite et des penseurs de droite qui agissent sur le parti. L'”intellectuel” de droite ne doit pas rester à l’écart. Il doit se jeter dans la mêlée de la lutte politique pour l’opinion et l’orientation en tant que passeur d’idées. Pour ce faire, il doit forger des concepts, enseigner des connaissances, injecter des idées et former ou éduquer d’autres acteurs ! Dans le meilleur des cas, il accompagne activement les groupes politiques – sans se réfugier dans sa tour d’ivoire. Charles Maurras l’a formulé ainsi dans ses “Pensées politiques” : “Pour changer ce qui existe, il faut avoir en tête autre chose que le décret d’un gouvernement provisoire et un appel au peuple. Les conceptions incohérentes et mal développées ne mènent jamais à l’action. Au moins dans l’imagination, l’homme veut quelque chose de fixe et de précis”. Ce solide et ce précis doivent être fournis par des associations et des auteurs de droite en amont. Et ensuite – dans le meilleur des cas – être mis en œuvre par les politiciens de droite intelligents existants. Dans la mesure du possible. Nous devons rendre les “politiciens organiques” plus forts, contre les carriéristes et les opportunistes, contre les “machines à phrases” vides de sens (Antonio Gramsci).

Il en résulte que nous devons successivement nous éloigner de la politique populiste affective – sinon nous vivrons encore de nombreux moments Meloni dans toute l’Europe, qui laisseront ensuite beaucoup de gens se résigner définitivement !

Breizh-info.com :  Yann Fouéré a milité pour une Europe populaire, mais une Europe fédérale n’est-elle pas le bon niveau pour défendre à la fois nos nations et la nation européenne ?

Benedikt Kaiser : L’Europe aux 100 drapeaux” a une résonance sympathique, car elle place la spécificité régionale au-dessus de la rigidité nationale. Mais personnellement, je défends plutôt le concept de triple appartenance : région – nation – Europe. Je pense qu’il existe naturellement des régions qui jouent un rôle de “pont” entre les nations en Europe. Je pense ici à la Haute-Silésie ou à l’Alsace. Ces régions à l’histoire mouvementée ont été pendant de nombreuses années le symbole du chauvinisme entre les peuples européens. Dans “notre” Europe, elles doivent alors symboliser la cohabitation constructive et communautaire des peuples européens !

Breizh-info.com :  Votre vision et celle du RN semblent se rapprocher sur le thème du patriotisme social. Toutefois le RN semble s’être largement modéré sur le thème de l’immigration et ne soutient pas les militants identitaires, ou si peu. Qu’en pensez-vous ?

Benedikt Kaiser : Je n’ai pas la prétention, en tant qu’Allemand, d’évaluer la politique du RN ! Mais bien sûr, en tant qu’observateur, on regarde toujours l’Hexagone et concrètement aussi le RN. Que Marine Le Pen veuille enfin gouverner, je peux le comprendre après tant d’années d’opposition. Mais est-ce que l’abandon de la politique migratoire est le bon moyen d’y parvenir ? Les Français sont mieux placés pour le savoir. Pour l’Allemagne en tout cas, la critique de l’immigration est le “Unique Selling Point”, l’argument de vente unique de l’AfD. L’abandonner mettrait son existence en danger. Mais il y a ici aussi des forces qui exigent précisément cela, dans le cadre d’une “dé-diabolisation” à l’instar du RN … En ce qui concerne le thème du “pré-carré”, je dois dire que lors de visites en France – par exemple à l’Institut Iliade – je remarque toujours que beaucoup de gens là-bas misent davantage sur Zemmour que sur Le Pen. J’en prends acte, mais je crains que le partenariat de Zemmour avec Meloni ne soit pas le fruit du hasard. (…) Une politique bourgeoise anti-migratoire sans grand positionnement idéologique et sans ancrage socio-patriotique me semble personnellement insuffisante. Mais nous verrons bien comment tout cela évoluera. La France est en tout cas un laboratoire politique passionnant, en particulier pour la droite politique !

Breizh-info.com :  Avez-vous été influencé par la stratégie du RN ? Et quelles ont été les influences intellectuelles sur votre réflexion sur les interactions entre les différents acteurs politiques ?

Benedikt Kaiser : Je suis la politique et la métapolitique française depuis une vingtaine d’années. Notamment via éléments, Nouvelle École et Krisis, mais aussi pendant un temps via d’autres médias comme présent. Plus importants que le RN, que j’observe bien sûr avec une grande curiosité, sont pour moi les auteurs français qui ont influencé de manière décisive ma pensée et ma manière de penser. Alain de Benoist est bien sûr au-dessus de tout pour moi, mais j’ai aussi étudié avec un grand intérêt cognitif Pierre Drieu la Rochelle, Dominique Venner, Lucien Rebatet, Charles Maurras, Georges Sorel, Marcel Mauss, Jean-Claude Michéa et quelques autres. La France est le centre intellectuel incontournable du non-conformisme politique !

Propos recueillis par Matisse Royer

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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Une réponse à “Allemagne. Benedikt Kaiser : « Je défends le concept de triple appartenance : région – nation – Europe » [Interview]”

  1. Gaï de ROPRAZ dit :

    Tres interessant ! Et Benedikt Kaiser gagne à être connu !

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