L’oubliée de la force de frappe : la IVe République et l’avènement de l’atome français

Dans les débats qui animent la France contemporaine, alors que l’Europe s’interroge sur son destin stratégique en l’absence du parapluie américain, il est de bon ton d’évoquer Charles de Gaulle comme père fondateur de la dissuasion nucléaire française. Le verbe haut du Général, son entêtement souverain, son récit national si bien construit se prêtent avec aisance à cette lecture commode. Mais l’histoire, moins empressée de glorifier les figures tutélaires que d’enquêter sur les faits, révèle une réalité plus complexe et autrement plus précoce.

Dès avant la Seconde Guerre mondiale, la France, sous l’impulsion de ses savants, avait entrevu l’immense pouvoir de l’atome. Tandis que la politique internationale s’assombrissait et que la crainte d’un conflit majeur devenait une quasi-certitude, les autorités françaises accordaient en 1939 un budget à l’étude d’une munition nucléaire. Il s’agissait là d’une initiative pionnière, car nul autre pays – pas même les États-Unis ou l’Empire britannique – n’avait encore consenti un tel effort financier à cette fin. Hélas, la débâcle de juin 1940 mit un terme brutal à ces prémices.

Le destin de la science atomique française se joua alors en exil. Face à l’occupation, les chercheurs rallièrent Londres, puis, pour certains, le Canada et enfin les laboratoires du projet Manhattan, où leur expertise fut mise au service de la construction de la bombe américaine. Il n’est pas exagéré de dire que la contribution française – bien que méconnue – fut réelle et substantielle. Loin de se résumer à un rôle de figurants, nos scientifiques participèrent à la mise au point du procédé de séparation des isotopes de l’uranium et de la maîtrise du plutonium, cette matéria non grata à l’immense potentiel destructeur.

C’est donc forts d’un savoir de premier ordre qu’ils regagnèrent la France au sortir de la guerre, les mains vides, sans documentation, confisquée par les Américains. Et si la IVe République souffre dans la mémoire collective d’une réputation d’instabilité chronique, elle n’en fut pas moins le terreau d’une résolution sans faille dans la conquête de l’indépendance nucléaire. Sous son égide, le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) fondé en 1945, devint instrument essentiel du redéploiement scientifique et technique.

Ainsi, bien avant le retour du Général en 1958, la France s’était dotée des moyens de sa puissance atomique. Les travaux sur la fission furent menés tambour battant, les filières technologiques consolidées, et les essais en laboratoire réglés comme du papier à musique. C’est sous cette IVe République, tant honnie par les nostalgiques du césarisme, que fut prise la décision d’orienter les recherches vers une arme atomique proprement française. Lorsque de Gaulle revint aux affaires, il ne fit qu’hériter d’un élan déjà bien engagé.

La première bombe explosa en 1960, dans le ciel saharien, sanctifiant ainsi une ambition née bien des années auparavant. Si la figure de l’Homme du 18 Juin plane sur cette victoire scientifique et militaire, il est un devoir de justice de rappeler que la IVe République fut la matrice originelle de la force de frappe. La France, à rebours des mythologies commodes, n’a pas attendu les oracles d’un seul homme pour s’emparer du feu prométhéen de l’atome.

Balbino Katz

Crédit photo : Pixabay (cc)
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3 réponses à “L’oubliée de la force de frappe : la IVe République et l’avènement de l’atome français”

  1. Ronan dit :

    Demat, ok la quatrième république a permis l’atome mais De Gaulle a eu le courage et ce dès 1958 de propulser cette dissuasion nucléaire malgré l’opposition des américains et de permettre de développer l’énergie nucléaire souveraine grâce à la mise en place des 58 réacteurs (plan Mesmer)qui nous assure actuellement un prix de l’électricité inférieure aux autres nations sans émission de C02; il a de quoi aujourd’hui se retourner dans sa tombe ; on peut lui dire un grand merci à notre regretté Général et que Dieu vous garde. Kenavo.

  2. Noël Stassinet dit :

    Balbino Katz, de même pour « le France » mis sur cale a Saint Nazaire en 1957 soit un an avant le retour du grand Charles aux affaires qui récupère le plus grand et beau paquebot du monde abandonné par Giscaing des Stars, en juillet 1974 ; Concorde démarré sous De Gaulle et inauguré sous Georges Pompidou lequel avait lancé le chantier du TGV récupéré par Mitruand en 1981 !

  3. Eschyle 49 dit :

    N’oubliez jamais Ohrdruf: rappelez-vous qu’à trois semaines près, le Troisième Reich gagnait la seconde guerre mondiale. Vous doutez ?
    D’abord, lisez intégralement les 521 pages de ce livre: https://www.decitre.fr/livre-pod/la-bombe-de-hitler-9782702138441.html
    Ensuite, regardez ceci: https://www.jewishgen.org/ForgottenCamps/Witnesses/NickolsFr.html
    Le cliché illustrant cet article représente les trois principaux généraux de la seconde guerre mondiale, Eisenhower, Bradley et Patton, le 12 avril 1945, à Ohrdruf, tout premier camp libéré sur le front ouest, après celui libéré sur le front est (https://fr.wikipedia.org/wiki/Camp_de_Majdanek)
    Première explication, estampillée « politiquement correcte »: ils étaient là en touristes mélomanes (Jean-Sébastien Bach y a vécu de 1695 à 1700);
    Seconde explication, non estampillée « politiquement correcte »: de Colleville sur Mer à Ohrdruf, Eisenhower, Bradley et Patton avaient parcouru « in summa diligentia » 1.048 km, pour récupérer avant les russes la pièce manquante du Projet Manhattan (source: Général Patrick Jardin, conseiller nucléaire auprès de l’État-major des armées; les 60.000 pages de notes de Staline, déclassifiées sous Boris Eltsine; et les confidences que m’a faites Henri Borlant, seul survivant des 6.000 enfants juifs de France de moins de 16 ans déportés à Auschwitz en 1942), à savoir le détonateur atomique, expérimenté à Peenemunde en octobre 1944, puis sur le site souterrain de Crawinkel, dans la nuit du 3 au 4 mars 1945; le même détonateur qui resservira à Alamogorgo, Hiroshima et Nagasaki.

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