Grande-Bretagne : la liberté bâillonnée, ou l’agonie d’un peuple jadis libre

Il fut un temps où l’Angleterre incarnait, aux yeux du continent, le bastion du libéralisme éclairé, la patrie d’Edmund Burke, de John Stuart Mill et de cette Magna Carta de 1215, qui, avant même nos cahiers de doléances, enseignait à la monarchie les bornes de son empire. Aujourd’hui, ce même pays semble s’acheminer, non point d’un pas militaire mais au fil de circulaires policières et de jurisprudences biaisées, vers une société où la parole est surveillée, la pensée encadrée, et la dissension criminalisée.

Dans une tribune courageuse publiée paradoxalement dans le Washington Post, le quotidien de référence de la gauche aux Etats-Unis, Andrew Doyle, penseur britannique et fondateur de la Free Speech Union, dresse un tableau proprement effrayant de l’état de la liberté d’expression au Royaume-Uni. En une série de constats froids, il révèle que la police anglaise enregistre désormais chaque année plus de 12 000 arrestations en vertu des lois dites contre les discours de haine. « Une moyenne de trente par jour », précise-t-il, « au titre de délits si flous qu’ils pourraient s’appliquer à tout propos un tant soit peu controversé sur les réseaux sociaux ». Le délit de trouble à la tranquillité publique s’y confond avec l’embarras suscité chez un collègue de bureau ou l’agacement d’un voisin devant un mot d’esprit mal compris. Un père et une mère ont été récemment arrêtés, chez eux, pour avoir exprimé par courriel leur désaccord avec la gestion de l’école maternelle de leur fille. Six policiers se sont déplacés.

Ce n’est point, ajoute Doyle, une dérive passagère, mais la logique d’un système. « La loi punit toute parole jugée  grossièrement offensante, un critère d’une subjectivité sans fond ». Pire : ce ne sont pas les tribunaux qui statuent, mais la police elle-même qui, par le biais de ce que l’on nomme non-crime hate incidents, compile des signalements d’actes non punissables mais jugés moralement suspects. Aucun délit n’est requis. Il suffit qu’un tiers se dise offensé, que sa perception soit entérinée comme preuve, et l’on vous inscrit sur une liste noire consultable dans les enquêtes de moralité exigées pour enseigner, soigner ou encadrer. « L’agent n’a pas à interroger la véracité de l’accusation », indique un rapport du Home Office, « ni à exiger un début de preuve. » Le soupçon seul fait foi. Orwell lui-même, en 1949, n’avait pas osé imaginer cela.

Il convient ici de rappeler que cette police n’agit pas en vertu d’un plan gouvernemental explicite. Le College of Policing, organe chargé de la formation des agents, a introduit cette pratique en 2014 à la suite du rapport Macpherson, lequel accusait les forces de l’ordre d’un racisme institutionnel dans l’enquête bâclée du meurtre de Stephen Lawrence en 1993. Depuis lors, pour expier leur passé, les policiers sont abreuvés de séminaires sur les micro-agressions, la diversité et l’intersectionnalité. Ils ne voient plus un citoyen mais une identité potentiellement offensée. La haine de soi est devenue dogme ; la répression, réflexe. Et comme le note Doyle, cette dérive s’est poursuivie, aggravée même, sous des gouvernements conservateurs, incapables de s’opposer à la dynamique bureaucratique.

Les effets sont tangibles. Doyle cite le cas de Joseph Kelly, condamné à des travaux d’intérêt général pour une plaisanterie sur un vétéran de guerre postée — puis retirée — en vingt minutes. Une adolescente nommée Chelsea Russell a écopé d’un couvre-feu judiciaire pour avoir cité sur Instagram les paroles d’un morceau de rap en hommage à un ami défunt. Plus récemment encore, une mère de famille, Lucy Connolly, bouleversée par le meurtre de trois fillettes à Southport, a publié un message furieux sur les réseaux, appelant à une expulsion de masse — propos ignobles certes, mais retirés quelques heures plus tard. Elle fut condamnée à trente et un mois de prison. Trente et un mois pour une phrase, un emportement. Doyle souligne qu’aux États-Unis, un tel verdict serait impensable, tant le Premier Amendement y protège la parole, fût-elle scandaleuse.

Cette vigilance serait légitime si elle s’appliquait avec égalité. Mais comme toujours en pareil régime, la main du gendarme se montre plus lourde envers le contribuable désarmé que contre les voyous organisés. La même police qui fouille les ordinateurs d’un vétéran royal pour une vidéo appelant à la protestation pacifique, se fait subitement aveugle devant les scandales de type grooming gangs, ces réseaux de jeunes filles blanches abusées durant des années par des bandes d’hommes issus des banlieues pakistanaises, sans que les autorités n’osent intervenir de peur d’être accusées de racisme. C’est là le cœur de la question : l’État est fort avec les faibles et faible avec les forts, surtout quand ces derniers sont protégés par l’idéologie du moment.

On pourrait croire à une exagération passagère, une fièvre d’époque. Mais non, avertit Doyle : « Il y a aujourd’hui un projet de loi surnommé banter banqui obligerait les tenanciers de pubs à expulser leurs clients si une parole entendue par un serveur le met mal à l’aise. » Cette législation — oui, législation — criminaliserait une opinion, même formulée à voix basse, si elle perturbe émotionnellement un employé. Tel est le degré d’absurdité que nous avons atteint.

Face à cela, il est bon de relire les lignes lucides de Doyle : « Le véritable danger ne vient pas d’une poignée d’excités qui profèrent des horreurs, mais de l’État qui s’arroge le droit de définir ce que chacun a le droit de penser, de dire, d’exprimer. » En effet, l’histoire nous l’a appris, mais nous ne savons plus l’entendre. Le silence est redevenu prudent. La vérité, quant à elle, vacille. Et le peuple anglais, si longtemps épris de liberté, marche à présent, la tête basse, sous la férule de sa propre police.

Balbino Katz

Crédit photo : DR

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4 réponses à “Grande-Bretagne : la liberté bâillonnée, ou l’agonie d’un peuple jadis libre”

  1. Poulbot dit :

    La grande Bretagne a l’instar de la Chine , de la Russie, de la Corée du nord est en train de devenir une dictature de la pensée , ou la surveillance de la populations ce généralise et s’amplifie.
    1984 est en train de devenir la réalité , Matrix n’est pas loin ou chaque être humain ce verra greffé une puce de contrôle dans le cerveau, cette puce contrôlera toutes nos pensées, nos actions , si il y a dérive ce sera tout de suite la correction.

  2. kaélig dit :

    c’est tellement ubuesque que je n’arrive pas à y croire.

  3. Hélène Joassin dit :

    …l’Etat s’arroge le droit de définir ce que chacun a le droit de penser, de dire, de s’exprimer ». En Europe, en France c’est un peu la même chose.
    Il s’agit de la mise en place du  » goulag électronique » défini dans un petit livre romantique « les corps indécents ». Les libertés sont bafouées et la surveillance de la population est exercée à travers l’électronique, iPhones et ordinateurs, avec en plus l’utilisation a outrance des caméras de surveillance.

  4. patphil dit :

    ça apprendra aux droites de s’unir et non de se diviser ce qui permet l’élection des travaillistes islamogauchistes

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