Ici, en Bretagne où le vent de l’océan porte jusqu’à nos landes l’écho des tempêtes du vaste monde, nous contemplons d’un œil amusé les frémissements qui agitent nos voisins. Depuis la Bavière jusqu’aux plaines du Middle West américain, une rumeur grandit : celle du cardinal Robert Sarah, élevé presque à la dignité d’icône par une droite catholique qui rêve encore d’un improbable grand soir.
À lire les gazettes que distille le vent numérique, l’on croirait que l’élection prochaine du 267ᵉ successeur de Pierre pourrait rendre au monde la pureté de ses premiers baptistères. Les partisans du cardinal, nombreux parmi les traditionalistes et les conservateurs de tous horizons, tressent des couronnes d’espérance à son front noir d’Afrique, y voyant la promesse d’un retour au rigorisme doctrinal, d’un sursaut de la foi dans une Église qu’ils jugent en pleine déréliction.
Gilbert Collard, Vincent Bolloré, Jean Messiha et tant d’autres chantres d’une droite à vif, en France comme aux États-Unis ou en Pologne, s’emploient à bâtir autour de lui une légende vive. Sur les réseaux sociaux, une pluie d’ave Maria numériques s’abat quotidiennement pour hâter l’avènement de ce « Moïse de Conakry » qui, selon eux, purifierait l’Église de ses scories modernes. CNews le cite à l’envi, Boulevard Voltaire s’en émeut, les tribunes et les cantiques mêlent leurs voix pour faire monter l’encensoir d’une candidature que pourtant bien peu, dans les couloirs vaticans, prennent au sérieux.
Car la réalité, souvent plus prosaïque que le rêve, s’impose. Sur les 135 cardinaux appelés à se rassembler sous les voûtes antiques de la chapelle Sixtine, la majorité doit leur chapeau rouge à l’œuvre patiente du pape François. Ils sont, pour beaucoup, plus sensibles à l’idée d’une Église hospitalière qu’à celle d’un bastion doctrinal assiégé. Nos amis catholiques l’oublient trop souvent : le cardinalat aujourd’hui n’est plus ce qu’il fut au temps de Léon XIII, et les habits de pourpre se taillent désormais dans un tissu plus souple que les lourdes draperies antiques.
Ainsi, le petit nombre des conservateurs au conclave ne saurait, au mieux, que faire obstacle à l’élection d’un ultra-progressiste. Ils pourront freiner, bloquer, infléchir peut-être ; ils ne pourront imposer. Seule une conjonction rare – la puissance d’un orateur, la clarté d’une vision prophétique, l’aide mystérieuse du Saint-Esprit – pourrait hisser un candidat hors du lot des présumés favoris. Et pourquoi, dès lors, exclure tout à fait le nom de Sarah ?
À Rome, les cardinaux se découvrent ces jours-ci, dans l’anonymat feutré des congrégations générales, ce préalable indispensable où, loin des regards du monde, les électeurs tissent des réseaux d’affinité. Les provinces asiatiques parlent à l’Amérique du Sud, l’Afrique répond à l’Europe. Derrière les badges fraîchement arborés se cache une Église éclatée, mosaïque encore inachevée. Là se forge, au détour d’un discours ou d’un entretien furtif, l’ébauche d’une convergence, d’une sympathie, d’un élan vers l’inattendu.
C’est dans cet espace liminaire que pourrait surgir un destin hors du commun. Le cardinal Sarah, par sa piété sévère, son verbe clair, et son enracinement africain, possède ces qualités qui, dans un contexte d’incertitude et de défiance, séduisent certains esprits en quête de solidité. Ses amis rêvent qu’un jour, dans le bruissement sacré du vote, son nom surgisse comme un chant profond émané des catacombes.
Pourtant, il convient de tempérer l’ardeur de ses zélateurs. Le poids du réel est un lest que ni la ferveur numérique, ni les spéculations médiatiques ne sauraient dissiper. L’Église universelle, telle un navire fatigué par les tempêtes, aspire moins à la croisade qu’à la réparation. L’esprit de réforme, impulsé par François, continue d’irriguer les esprits, même chez ceux qui regrettent les fastes liturgiques d’antan.
Quant aux rumeurs de manœuvres politiques, elles doivent être regardées pour ce qu’elles sont : les dernières convulsions d’un monde révolu. Tribune Chrétienne et autres relais d’opinion avancent que notre président Macron, dans un sursaut de gallicanisme tardif, aurait cherché à peser sur les cardinaux français pour entraver la marche du Guinéen. La chose est possible, certes, tant l’immixtion politique fut naguère monnaie courante. Mais à Rome, depuis la chute des trônes d’Europe, l’Église s’est émancipée des injonctions des princes. La fumée blanche appartient désormais au seul mystère de l’Esprit, et non aux ambitions des palais.
Que conclure, sinon que l’espérance, même naïve, demeure le sel de toute communauté croyante ? En vérité, que Robert Sarah soit ou non élu, l’ardeur de ses soutiens rappelle que l’Église, comme le monde, n’est jamais morte tant qu’elle suscite des passions. Humbles témoins d’une époque chancelante, nous ne pouvons qu’observer ce ballet antique avec la bienveillance détachée de ceux qui, n’étant point fils de la grande maison catholique et française, contemplent le tumulte de ses enfants avec l’œil tranquille de l’étranger.
Par Balbino Katz
Crédit photo : DR
[cc]Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine