J’ai longtemps observé, non sans perplexité, cette étrange constance avec laquelle notre voisin, la France, s’attarde en Afrique, non plus par les armes mais par les bons sentiments. Le sabre s’est mué en seringue, la croix en cahier d’écolier, l’uniforme en tee-shirt d’ONG. Mais le geste est le même : intervenir, donner, sauver, parler au nom de l’autre. Ce qu’on nommait hier colonisation se nomme aujourd’hui aide au développement, charité. Il s’agit pourtant toujours de la même posture, paternaliste et intrusive.

Parmi les formes modernes de cette persistance coloniale, le parrainage d’enfants tient une place particulière. Il est la version sucrée de l’ancienne domination : on y donne sans y être invité, on choisit son protégé comme on coche une case, on échange lettres et sourires – à sens unique bien souvent – persuadé de faire œuvre utile. Mais à quel prix ? Ce commerce sentimental dissimule mal une dynamique malsaine : celle où l’adulte riche du Nord se pose en sauveur d’un enfant pauvre du Sud. On dira que c’est pour le bien de l’enfant. Mais ce « bien » est défini ailleurs, depuis des bureaux climatisés, par des gens qui s’émancipent ainsi de leur mauvaise conscience.

Car il faut bien le dire : toute cette philanthropie repose sur un regard oblique, celui que l’Occident porte sur un monde qu’il considère encore comme en retard. Ce regard, la gauche comme la droite l’ont adopté, chacune à sa manière. La droite y voit parfois une Afrique figée, incapable de se développer sans la main ferme de l’ancien colon. La gauche y projette l’image d’un enfant perpétuel, victime éternelle, irresponsable par essence. Dans les deux cas, l’Africain est privé d’âge adulte, on parle pour lui, on agit à sa place.

Pourtant, l’heure est venue de traiter l’Afrique comme une égale, non comme une pupille. Cela commence par des gestes simples et radicaux : fermer les lycées français d’Afrique, cesser le parrainage infantilisant, restituer – sans marchandage – toutes les œuvres d’art africaines. Non pas pour se retirer en claquant la porte, mais pour reconnaître, enfin, qu’un continent n’a pas besoin de béquilles éternelles. C’est en renonçant à cette tutelle affective que l’Europe gagnera le droit moral de tourner la page.

Ce départ, bien sûr, suscite des résistances. L’émotion sincère des parrains, le lien épistolaire avec un enfant à l’autre bout du monde, tout cela semble beau, même noble. Mais la beauté d’un geste ne suffit pas à en justifier les conséquences. Une étude récente souligne le malaise de nombreux enfants africains : certains, n’ayant jamais reçu de réponse à leurs lettres, se sont sentis rejetés. D’autres, contraints de sourire sur commande pour plaire à leur sponsor, ont compris que leur dignité était devenue un produit d’appel. Est-ce ainsi que l’on honore la jeunesse d’un continent ?

Des chiffres montrent pourtant que certains enfants parrainés réussissent mieux que leurs camarades. Soit. Mais la réussite d’un tel système se juge aussi à sa symbolique. On ne bâtit pas l’égalité sur une relation de dépendance personnalisée. Le mérite d’une vraie aide est de se faire oublier. Or le parrainage met l’enfant sous vitrine. Il est « choisi », parfois en fonction de ses traits. Ce n’est pas de la solidarité, c’est du marketing compassionnel.

La vérité est que ce système, s’il perdure, ne sert pas l’Afrique, mais apaise les consciences européennes. Il permet à des classes moyennes du Nord, déracinées mais woke, de renouer avec une forme d’autorité morale douce. On se donne bonne figure en jouant à l’oncle d’Afrique, à distance. Et l’on perpétue ainsi, sans le vouloir peut-être, une forme d’emprise.

Je vis en Bretagne, loin des tropiques et des volontaires des ONG. J’observe. Et j’en conclus que la plus grande marque de respect qu’on puisse offrir à l’Afrique, c’est le silence. Le retrait. L’oubli bienveillant. Car enfin, un peuple adulte n’a pas besoin qu’on lui dise comment marcher. Il a besoin qu’on lui fiche la paix.

Balbino Katz

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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8 réponses à “Sortir d’Afrique, enfin”

  1. Bernard Plouvier dit :

    « Traiter l’Afrique en égale »… dans quelques siècles, peut-être !
    Pour l’instant, ce continent énorme au sol et au sous-sol fabuleusement riches, est un Boulet économique (et même le Boulet N°1 de la planète)
    L’afrique est le continent des arriérés, avec une criminalité sexuelle (donc des maladies sexuellement transmissibles) monstrueuse, une démographie absurde de primitifs, une mentalité d’assistés perpétuels et, pour les mâles jeunes, une arrogance et une violence de psychopathes (ceux qui veulent tout et tout de suite, sans effort)
    C’est un continent qui ne produit même pas 20% de ce que ses autochtones consomment, c’est un continent dont les « chefs élus » détournent une énorme partie du Bien Commun et des énormes sommes envoyées à totre humanitaire d’Europe, d’Amérique du Nord ou des pays riches d’Asie
    C’est un continent de grands causeurs, de chanteurs et de danseurs avec très peu de véritable élite intellectuelle ou manuelle
    Les Africains doivent comprendre que l’ère du crétin blanc plein de compassion est TERMINÉE. Désormais, ce sera du commerce et non plus de l’aide humanitaire
    Clinton, un jour qu’il n’était pas sous l’emprise de l’alcool + cocaïne, a dit très justement : TRADE NOT AID » (Commercer et non plus aider)… trente ans plus tard, il serait temps pour les pays évolués de comprendre cette réalité et de laisser les Africains s’en sortir par eux-mêmes

  2. Dude dit :

    Tout à fait

  3. jjakm dit :

    triste regard sur les personnes africaines (et d’ailleurs) ; un pauvre a besoin d’aide, il faut le laisser dans son malheur… quel racisme!

  4. Poulbot dit :

    Si la France part définitivement de ce continent ce sont , les Russes, les Chinois, les Américains qui prendront notre place (cela commence d’ailleurs) et pas pour développé ces pays mais belle et bien en pillés la totalité des ressources et imposer leurs idéos politique, notamment les russes.

  5. Jean-Louis Taffarelli dit :

    Je serais volontiers d’accord. Malheureusement, l’exemple de l’Afrique du Sud n’est guère encourageant

  6. Caution dit :

    Imaginons un instant que les ex  »colonisateurs » stoppent immédiatement  »l’aide au développement » tout ce qui est déversé en Afrique en termes de fric,de céréales, de médicaments (Quinine),enfin, de tout ce qui permet de vivre, tout ceci à titre gratuit,et en conséquence se retire de toutes exploitations industrielles créatrices de profits, en quelques mois l’Afrique retourne à ce qu’elle était au 18e siècle;je n’ose pas évoquer le héro Africain de JJ Rousseau. Le sous sol Africain est peut-être le plus riche du monde. Imaginons encore que le monde occidental qui exploite ces richesses s’en aille, le pétrole, les métaux rares, l’or, le platine etc. resteront enfouis, les Africains sont incapables d’exploiter ces richesses. N’oublions pas qu’un Africain vit aujourd’hui avec moins de 2 € par jour pour se nourrir, se soigner etc. Et bien sur en corolaire, tous les Africains émigrés en Europe ou ailleurs retournent chez eux ! Finis les bons sentiments !

  7. Christian ALBRIEUX dit :

    Le peuple Français est aussi considéré comme un enfant.Pour preuve toutes les campagnes publicitaires sur le comportemental,l’alimentation et la santé .Ce sont les politiques et les citoyens qui les suivent qui se comportent ainsi et penser que l’Afrique est la seule victime me fait penser qu’il y a un vieux relent de colonialisme dans nos pensées

  8. VORONINE dit :

    « Dans quelques siècles…peut etre » c’est faire preuve d’un optimisme exagéré! il faut avoir vécu au milieu d’eux pour comprendre que , mème avec les africains formés , on n’est jamais au bout de ses surprises…L’impression curieuse parfois que tous les fils ne sont pas branchés .Il y a une trentaine d’années , l’un d’eux m’a dit: » -vous, les français , vous etes restés combien de temps chez nous ?-80 ans ?…vous auriez du rester d’avantage , vous nous avez mal décolonisés »….et un autre : »-Dis moi, patron , c’est quand que ça finitl’indépendance ? »

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