Alors que les trois religions monothéistes — judaïsme, christianisme et islam — condamnent unanimement l’euthanasie, la situation est plutôt différente si l’on plonge dans les profondeurs mythologiques et culturelles des peuples préchrétiens d’Europe. Celtes, Germains, Grecs ou encore Romains avaient une approche bien plus diverse, souvent brutale, parfois poétique, de la mort choisie ou imposée. À l’heure où le débat français sur l’euthanasie (poliment appelée « aide à mourir », les mots étant de plus en plus dévoyés) fracture les consciences, il est éclairant de se pencher sur les représentations anciennes de la « bonne mort » dans les sociétés européennes païennes.
L’Ättestupa scandinave : mythe ou mémoire d’un monde rude ?
L’image est saisissante : un vieil homme debout sur une falaise, acclamé par les siens, qui saute dans le vide pour ne pas être un fardeau. Ce geste, nommé ättestupa en Suède, fait partie des mythes nordiques les plus tenaces. Pourtant, il n’est probablement qu’une fiction née d’un malentendu littéraire.
La Gautreks saga, unique source ancienne mentionnant le mot, évoque cette pratique de manière légendaire : les anciens, devenus inutiles au clan, s’y jetaient volontairement. Aucun témoignage historique ne confirme une telle coutume, mais son pouvoir symbolique est intact : mourir pour ne pas gêner. La modernité l’a récupérée pour dénoncer la précarité des retraités — preuve que ce vieux mythe a encore du mordant.
Les Grecs : entre hédonisme, euthanasie choisie et rejet des inutiles
Les Grecs anciens, eux, avaient une vision bien plus structurée de la fin de vie. La « euthanasia » (εὐθανασία) désignait originellement une mort paisible, acceptée, survenant naturellement ou facilitée par les dieux. Dans les îles bénies des Hyperboréens, disait-on, les anciens se jetaient en mer quand leur temps était venu. Polybe louait cette mort douce comme le couronnement d’une vie vertueuse.
Chez les habitants de Kéa, en mer Égée, il existait une pratique rituelle : les vieillards buvaient la ciguë lors de banquets festifs, préférant une mort digne à l’indignité du déclin. Socrate, condamné à mort, a lui-même bu ce poison calmement, dans un dernier hommage à la philosophie.
Mais cette vision n’était pas pure compassion. Platon, dans La République, recommandait de laisser mourir les malades incurables et d’abandonner les difformes. La cité, selon lui, devait tendre à l’harmonie, quitte à sacrifier ses membres les plus faibles. À Sparte, les enfants malformés étaient exposés dans le ravin du Keadas. Le respect de la vie était conditionné à l’utilité sociale.
Rome et les stoïciens : mourir libre, mais en bon citoyen
Chez les Romains, le suicide, loin d’être tabou, pouvait être un acte noble. Sénèque, stoïcien, le voyait comme un droit ultime de l’homme libre. Mourir dans la dignité était préférable à une vie d’humiliation ou de douleur. La souffrance n’était pas valorisée, mais la maîtrise de soi, oui.
Mais Rome n’était pas Sparte. Le mos maiorum (les mœurs des anciens) imposait de ne pas fuir ses devoirs. La mort choisie devait être un acte réfléchi, jamais une fuite lâche. Et si la liberté de mourir était tolérée, la pitié pour les faibles restait une vertu honorée dans certaines pratiques funéraires ou familiales.
Les Celtes : cycle, sacrifice et retour
Les peuples celtiques n’ont laissé que peu de traces écrites, mais leur vision de la mort, transmise par les druides et les légendes, reposait sur l’idée de cycle. Mourir, c’était retourner à la terre ou renaître ailleurs. La mort n’était pas une fin, mais un passage. Cela relativise la peur de la fin.
Des récits évoquent des sacrifices humains, y compris de vieillards ou d’invalides, pour régénérer la communauté. Chez les Gaulois, selon les Romains, les prisonniers et parfois les faibles étaient livrés aux dieux. Mais ici encore, la distinction entre légende noire et réalité est floue.
Dans ces cultures préchrétiennes, la vie humaine n’est pas inviolable. Elle est précieuse, certes, mais surtout si elle sert — à la famille, à la cité, aux dieux. L’inutilité, la souffrance chronique, la difformité ou le poids sur le groupe pouvaient justifier la mort, soit imposée, soit rituelle, soit choisie.
Mais cette logique n’est pas cynique : elle repose sur une anthropologie radicalement différente. Là où les religions abrahamiques placent la personne humaine au cœur d’un dessein divin, unique et sacré, les païens voyaient l’homme comme un fragment du monde, soumis à ses lois — dont la mort, utile ou non, faisait partie intégrante.
La résurgence de ces mythes et récits dans nos imaginaires modernes (de Midsommar à Norsemen) témoigne d’une certaine pensée européenne. Dans une société où la performance est reine et la dépendance perçue comme indigne, vaut-il mieux mourir debout que vivre à genoux ? À chacun de juger (mais pas à un Etat républicain, à une création politique artificielle qui ne reconnait ni identité, ni peuples, ni religions, ni cultures). Une chose est sûre : nos ancêtres européens avaient sur la mort une familiarité que nous avons perdue. Et peut-être est-ce cela, plus que la mort elle-même, qui nous effraie tant aujourd’hui.
YV
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine