Il est des simulacres que seule notre époque, malade de ses vertus, pouvait produire avec autant d’aplomb. Voici donc que l’ONG Care France, dans une de ces campagnes de communication que notre modernité affectionne tant, nous convie à contempler Julie, une adolescente au regard clair, lointainement issue de nos plaines normandes, et victime, apprend-on, d’une forme d’exclusion liée à ses règles menstruelles. Le propos, s’il était localisé, serait presque touchant. Le problème est qu’il ne l’est pas.

Car enfin, en Europe, et singulièrement en France, le « tabou des règles » n’est plus qu’un souvenir folklorique, au mieux un embarras discret de vestiaire. Ce que l’ONG feint d’ignorer, c’est que la discrimination menstruelle, réelle, brutale, parfois barbare, sévit non pas à Neuilly ou à Quimper, mais dans certaines sociétés traditionnelles d’Afrique ou d’Asie, où des jeunes filles sont tenues à l’écart de l’école, voire du foyer, durant leur cycle. Ces réalités, parce qu’elles sont exotiques, seraient-elles devenues indicibles ?

À force de vouloir universaliser le pathos, l’on finit par maquiller la réalité au point de la rendre méconnaissable. Ce procédé, aussi habile que cynique, est désormais monnaie courante dans les officines de communication dites « responsables ». Il consiste à illustrer des violences largement importées dans le corps social européen par des visages locaux, blancs, neutres, inoffensifs. Ainsi voit-on dans les campagnes contre le harcèlement de rue des jeunes hommes à la mâchoire bretonne et au prénom roman, accusés de sifflements intempestifs dans les couloirs du métro. À les voir, on dirait des figurants de la Comédie-Française.

Or les données, lorsqu’on accepte de les lire, ne disent pas cela. Selon les propres chiffres du ministère de l’Intérieur, plus de 60 % des violences sexuelles recensées dans les transports en commun d’Île-de-France sont le fait d’étrangers, souvent jeunes, souvent mineurs, majoritairement originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Les vols à la tire, les agressions physiques, les injures sexistes suivent une courbe semblable. Ces chiffres, bien sûr, sont imparfaits. Il faut le rappeler pour les âmes sensibles. Ils ne saisissent que ce qui est dénoncé, enregistré, qualifié juridiquement. Le reste, ce que les femmes taisent ou fuient, n’est pas quantifié. Il est pourtant réel.

Pourquoi, dans ces conditions, persister à fabriquer de toutes pièces des récits aussi lénifiants que mensongers ? Pourquoi faire porter à l’Européen sédentaire, silencieux, voire coupable d’inattention, le poids de comportements qui, statistiquement, ne sont pas les siens ? Il y a là un aveuglement voulu, une stratégie de l’évitement qui confine à l’absurde.

Ce travestissement ne relève pas d’un malentendu. Il s’inscrit dans une logique plus vaste : celle du « vivre ensemble » par précaution, fiction utile à l’équilibre apparent d’un pays qui redoute les mots autant que les faits. Il ne s’agit plus de comprendre les tensions, ni de dire le vrai. Il s’agit d’entretenir une illusion harmonieuse à coups d’images inoffensives et de récits aseptisés, pour éviter ce que l’on nomme désormais « la stigmatisation ». Le réel est une gêne qu’il faut évacuer.

Ce que ces campagnes appellent l’« universalité du message » n’est en réalité que la négation des particularités, l’abolition du discernement. En prétendant que tout le monde peut être victime et que tout le monde peut être bourreau, on efface les causes, les profils, les dynamiques culturelles. On transforme des phénomènes sociaux en fléaux abstraits, sans visages, sans racines, sans responsabilité. C’est la politique de l’ectoplasme.

Ce procédé, que Carl Schmitt aurait qualifié sans doute de neutralisation morale du politique, ne fait que fragiliser davantage les femmes qu’il prétend protéger. À vouloir tout euphémiser, on prive celles qui affrontent la peur réelle — dans un RER désert ou un autobus nocturne — de la lucidité nécessaire à leur sécurité. Il n’y a pas de dignité dans le mensonge, fût-il bienveillant. Il n’y a pas de courage dans l’omission calculée.

Ce travestissement, enfin, affaiblit le crédit des ONG et des institutions qui s’y livrent. Car le public, quoi qu’en pensent les stratèges en storytelling, n’est pas dupe indéfiniment. Le peuple français, même saturé de publicité, conserve l’instinct du tragique : une mémoire sensorielle du danger, une intelligence du réel qui s’exprime par le regard, la prudence, le retrait. Il sait reconnaître quand l’image ment.

La Bretagne, où j’écris ces lignes, est peuplée de femmes  qui ne s’en laissent pas conter. Elles voient bien qui, sur le quai de la gare ou dans les rues sombres, les suit d’un œil trop insistant. Elles n’ont pas besoin de statistiques pour le comprendre. Elles vivent cela, elles l’éprouvent. Et c’est en cela que ces campagnes leur manquent de respect. Heureusement que des groupes féministes comme Némésis existent pour rappeler la réalité biologique des agresseurs.

En prétendant protéger les femmes, on les infantilise. En prétendant dénoncer l’injustice, on la déplace. En voulant éviter les tensions, on les aggrave. Et au final, en croyant civiliser la société par le mensonge, on contribue à la désagréger un peu plus chaque jour.

Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

2 réponses à “Les campagnes du mensonge doux”

  1. marco dit :

    Quid de ce film sur les mariages forcés ,,Des catholiques amenaient quasi de force une tres jeune fille a la mairie pour la marier ,,Tous les intervennants etant d authentiques fds ,Film d il y a au moins 20ans ,,Les intermitents ,,des traitres ,je pense qu on doit les retrouver a la demande ,,micro trottoir ,reunions poly_tiques ,etc ,Ces gens la ,des mercenaires de l intox .Pas un « antifa « intermittent?

  2. Barbara dit :

    Finalement, c’est très bien ces campagnes de pub, des gens vont peu à peu finir par se rendre compte des réalités, le plus vite, le mieux.
    Je dis « des gens » car il y en aura toujours qui préfèrent rester aveugles, reconnaître la réalité risquant de les humilier.
    Quant aux 60% d’étrangers, ce sont ceux qui ne sont pas nés sur le sol français ? Si on compte en plus les « français », il y a peut-être plus « d’étrangers » à prendre en compte.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

A La Une, International

L’humiliation blanche, terreau de la révolte anglaise

Découvrir l'article

International

La farce des archives allemandes, ou la nouvelle liturgie du spectaculaire

Découvrir l'article

International

Chronique d’un mirage idéologique : Black Lives Matter, cinq ans après

Découvrir l'article

ST-MALO

Renaissance liturgique en terre bretonne : une messe dominicale à Saint-Malo

Découvrir l'article

International

Chronique d’un relèvement : quand l’Argentine délie ses chaînes de papier

Découvrir l'article

International

Trump, Ramaphosa et le spectre des Boers

Découvrir l'article

International

La charité à géométrie raciale : le cas révélateur des réfugiés boers d’Afrique du Sud

Découvrir l'article

Economie, International

Trump à Riyad : le crépuscule des néoconservateurs

Découvrir l'article

Culture, Culture & Patrimoine, Religion

Conclave. Sous les fresques immobiles du Jugement dernier : quand la fiction façonne le réel

Découvrir l'article

Politique

Sarah Knafo, l’invisible éclat d’une droite qui cogne

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky