Le Figaro daté du 7 juin salue avec une révérence contenue, sous la plume toujours circonspecte de Jean-Marie Guénois, le succès retentissant du pèlerinage de Chartres. Près de vingt mille jeunes, en ces jours de Pentecôte — vingt mille, oui, dans cette France réputée postchrétienne, où les clochers sont plus souvent silencieux que sonnants —, se sont mis en marche. Trois jours durant, ils ont foulé les chemins poudreux de Beauce, chanté, prié, fléchi le genou, communié, communié encore, puis dormi à même l’herbe, livrés aux éléments comme au mystère. Dans un monde qui ne jure que par le confort, le relâchement et l’autodérision, cette austérité volontaire a quelque chose de presque insurrectionnel. On serait tenté, avec Guénois, d’y voir les prémices d’un renouveau. C’est méconnaître le fond des choses.

Non, ce n’est pas là événement picrocholinesque. L’ampleur du phénomène, sa discipline, sa ferveur, sa jeunesse, son latin même — tout cela fait de Chartres un objet pastoral non identifié dans la grisaille spirituelle de notre temps. La catholicité conservatrice, de Varsovie à Houston, y voit un prodige. Les réseaux sociaux en bruissent comme d’un miracle renouvelé. Mais à Rome, tout cela fait à peine frissonner quelque prélat besogneux du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie. Le Vatican universel, bercé par les songes synodaux, regarde ce tumulte d’un œil de commis : amusé, agacé, indifférent. L’enthousiasme de la base n’émeut plus la croupe fatiguée de la curie.

Chartres, pour la Rome d’aujourd’hui, n’est ni un modèle ni une menace, mais un rappel : celui que le rite tridentin, qu’on croyait domestiqué, demeure, dans la sandale de Rome, ce scrupule ancien que l’aggiornamento n’a su ôter et dont la jeunesse de Chartres se fait l’écho ardent. Ce rite, porté par des prêtres jeunes, des fidèles fervents, des chants de plain-chant, persiste à hanter l’Église issue de Vatican II. On a voulu le reléguer, il ressurgit. On l’a contenu, il enfle. Il est la mémoire d’un ordre ancien que la modernité catholique peine à effacer.

Et c’est cela, la véritable nouvelle. Car pendant que l’ensemble du corps social glisse, tel un grand corps sans vie, vers l’indifférence religieuse, une fraction s’embrase. Et cette fraction n’est pas stérile. Elle se marie, elle procrée, elle scolarise, elle catéchise. Elle n’est pas un reste, elle est une semence, un levain. Ces vingt mille ne sont pas les derniers feux d’un monde disparu, mais peut-être, déjà, les avant-coureurs d’un monde revenu. On y trouve des enfants d’athées, des convertis d’adolescence, des fils prodigues revenus à l’autel. Ce n’est pas une reconquête, c’est une germination.

La presse, lorsqu’elle ne traite pas l’événement en folklore scouto-réactionnaire, regarde sans comprendre. Le clergé diocésain, lui, hésite, oscillant entre admiration inquiète de cette activité laïque sans contrôle et suspicion jalouse. Quant aux mitrés issus d’un autre âge, ils reculent. À l’exemple de Mgr Christory, évêque de Chartres, qui, après avoir tenté d’imposer sans dialogue une orthodoxie conciliaire abrupte, dut, devant l’insistance sereine des organisateurs, procéder à ce que l’on nomme désormais dans les cercles bien informés de la Conférence des évêques de France, un rétropédalage de mitré. La cathédrale fut ouverte à contre-cœur par une curie diocésaine dansant encore à la mélodie du pipeau du pape François. La nouvelle Rome n’aurait guère goûté un excès de zèle contre une jeunesse pieuse, surtout en ce début de pontificat de Léon XIV, dont les signaux demeurent, pour l’heure, aussi difficiles à interpréter que les entrailles d’un oiseau offertes au regard scrutateur d’un augure sénescent.

Mais que cette éclaircie ne fasse pas illusion. Le jardin de l’Église de France connaît peut-être un printemps, mais c’est un printemps localisé, minuscule, comme une pousse timide au pied d’un mur lépreux. Le reste du clos est en friche même si le jardinier s’autorise un timide sourire en voyant des touches de vert un peu partout, le premier depuis longtemps.

Si on détourne le regard de Chartres, que voit-on ? Séminaires vides, diocèses exsangues, messes désertées, confiées à des prêtres  fidei donum venus des entrailles de l’Afrique, catéchèses réduites à des animations pastorales sans dogme ni beauté. Mais je dois à la vérité de dire que si ce tableau reste le reflet de la réalité, on perçoit aussi dans l’Eglise conciliaire une évolution positive. Dans des diocèses comme celui de Toulon, de Vannes ou de Rennes il existe une Eglise vivante novus ordo qui a su trouver une manière de remonter la pente en syntonie avec la majorité des fidèles, pas seulement avec le coeur ardent des tradis.

En vérité, Chartres ne marque pas le réveil d’un peuple catholique : il atteste seulement que le noyau fidèle, incandescent, persiste à rayonner dans les ténèbres croissantes. C’est peu. C’est déjà beaucoup.

Il serait irresponsable de ne pas voir l’autre versant de cette réalité : la montée continue, tranquille et déterminée d’un islam qui ne dissimule plus ni sa doctrine ni sa volonté d’emprise. À la faveur de l’atonie ecclésiale, il avance. Et les jeunes pèlerins de Chartres, eux, ne sont pas dupes. Ils ont vu, autour d’eux, les signes d’un affrontement culturel et religieux désormais quotidien. Ils savent qu’on ne défend pas une civilisation à coups de clowns liturgiques ou de simagrées synodales. Leur retour au latin, au silence, à la verticalité, n’est pas passéisme : c’est un réflexe immunitaire. Et il est sain.

Chartres n’est pas l’Église entière. Ce n’est peut-être même pas son avenir. Mais c’en est une part vivante, vibrante, ardente. Et cela suffit, pour l’instant, à maintenir l’espérance. Dans un siècle où l’Occident semble décidé à se suicider en chantonnant, il est encore des jeunes qui marchent vers l’autel comme on monte à l’assaut. Cela mérite d’être salué. Et médité.

Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —

Crédit photo : DR
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