Manifestement, Patrick Le Lay en avait gros sur la patate quand il a accordé une interview à Bretons en 2005. Il avait lancé TV Breizh en septembre 2000. Vingt ans plus tard, le magazine Bretons s’est souvenu d’un Breton qui avait tenté une aventure formidable.
Le magazine Bretons vient donc de sortir le numéro 221 – c’est-à-dire que ce mensuel existe depuis vingt ans. Coup de chapeau à son créateur Didier Le Corre qui est parvenu à concevoir un produit de bonne qualité qui s’adresse à tous ceux qui s’intéressent à la Bretagne. On peut parler d’une réussite journalistique puisque tous les Bretons (nes) qui jouent un rôle y ont leur place : cuisine, cinéma, sport, affaires, culture, show business, langue bretonne, littérature, université, mer, politique, etc. Dans ce numéro 221, deux pages regroupent une sélection de vingt phrases prononcées par des personnages qui ont été interviewés par le magazine. L’une d’elles continue à étonner : « Je ne suis pas Français, je suis Breton. Je suis un étranger quand je suis en France. » On la doit à Patrick Le Lay qui était alors PDG de TF1 (Bretons, n°2, septembre 2005).
Le long entretien accordé par Patrick Le Lay mérite qu’on s’y attarde davantage, car d’autres phrases percutent ; on peut relever plusieurs passages. L’univers breton : « Dès le départ, j’ai commencé à collectionner des livres. Aujourd’hui, j’en ai plus de cinq mille. Je suis Breton dans l’âme. » L’ami François Pinault : « Il y a quand même un décalage entre Paris et la province. Quand vous n’avez pas été élevé et nourri dans le sérail, vous vous intégrez plus ou moins bien. C’est une société bien différente. Je pense que François Pinault, qui est quand même un très bel exemple de réussite et que je connais quand même très bien, vous dira la même chose que moi. » Un crime qui ne se pardonne pas : « Ensuite, il y a le fait que je ne suis pas jacobin, voilà. C’est un crime dans ce pays de ne pas être jacobin. » La création de TV Breizh : « D’abord, mon domaine de compétence, c’est la télévision. C’est donc là où je pouvais réaliser quelque chose. Mais j’ai vite compris que l’administration française ne donnerait jamais d’autorisation pour faire une télévision en Bretagne. Je me suis dit : prenons le taureau par les cornes. Créons une chaîne de télévision et on verra bien ce que ça donnera. Et comme le satellite permettait de développer cela, on a créé TV Breizh. » L’aide des politiques bretons – à l’époque le président du conseil régional s’appelait Josselin de Rohan (RPR) : « Pour venir se montrer de temps en temps, ils sont là. Il n’y en a qu’un qui m’a tout le temps aidé, qui a toujours été fidèle : Jean-Yves Le Drian. Quant au précédent conseil régional, je peux vous dire… La droite ne veut pas de nous. Alors, la gauche ! Non, c’est le service public et pas le privé ! Je n’ai pas eu beaucoup de soutien. Je m’en fiche d’ailleurs. Je ne leur demande rien aux politiques bretons. Rien ! Mais enfin, le néant à ce niveau-là, ça confine quand même à l’exploit. »
François Fillon ne voulait pas entendre parler de TV Breizh
La langue bretonne : « Mon grand-père était de Loctudy. C’est pas vieux un grand-père. Il ne parlait pas français. Mon grand-père était mousse pendant la guerre 14-18. Et il a appris le français à la guerre, pas à la maison mais à la guerre. Donc, je ne parle pas la langue de mon grand-père et pourtant je n’ai pas quitté mon pays. Si vous ne considérez pas là qu’il y a eu un terrorisme intellectuel, il faudra m’expliquer. Si dans une famille vous ne parlez pas la langue de vos grands-parents, c’est qu’il y a bien eu des gens qui sont venus vous empêcher de la parler. Bon, mais on ne va pas refaire l’histoire de la façon dont la République s’est comportée vis-à-vis des langues minoritaires et notamment le breton. »
Bien entendu, d’autres passages mériteraient d’être repris, tant Patrick Le Lay vide son sac avec ardeur. Malheureusement, faute d’avoir réussi à faire admettre TV Breizh sur la TNT, il fut contraint de se contenter du satellite (CanalSatellite et TPS) – ce qui conduisait à une audience très limitée. Sans téléspectateurs, pas d’annonceurs, et une télé privée est condamnée à mort.
A cette époque-là, Patrick Le Lay était un homme puissant ; il figurait parmi « les 200, qui tiennent la France ». Il peut se permettre de dire ce qu’il pense : « l’audience de TF1, qui rassemble un tiers des Français en moyenne, est telle qu’aucun homme politique aucun artiste ne lui a jamais résisté longtemps » (Le Nouvel Observateur, 16 juin 2005). Pourtant, un certain François Fillon a tout fait pour empêcher la réussite de TV Breizh, d’abord en tant que président du conseil régional des Pays de la Loire, ensuite en tant que Premier ministre de Nicolas Sarkozy (2007-2012). Pour lui, il était impensable qu’une télé bretonne arrose la Loire-Atlantique et y diffuse des programmes “bretons“. Tout ce qui pouvait aller dans le sens de la réunification était à combattre.
On sait que Ouest-France a obtenu de l’Arcom une fréquence sur la TNT pour lancer une chaîne de télévision qui n’aura rien de bretonne ; mais l’affaire se présente mal : « Le groupe Ouest-France recherche toujours 15 millions d’euros pour boucler le budget de sa chaîne de télévision Novo19 d’ici à septembre. » (Challenges, 19 juin 2025).
Bernard Morvan
Crédit photo : DR
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2 réponses à “2005 : Patrick Le Lay ne se sentait pas français”
Moi non plus, je ne me reconnais pas dans la culture française. La langue? Il faut distinguer les patois français et le Breton qui est une langue plutot indo- européenne comme nos racines celtes. La confusion aide à la détruire. Ces gens qui déferlent aujourd’hui sur la Bretagne, justement parce quelle a gardé une parcelle d’honneur et de préservation de la parole, du collectif et d’autres, viennent en fait saborder ce qui reste d’identité. Marins d’eau douce en short et casquettes roses ils exigent dans les fest noz des danses d’ailleurs au nom de l’évolution et de l’ouverture..ILs affichent l’anglais dans les restaurants. ILs exigent l’ouverture de notre musique à la diversité arabe ou africaine. Rares sont ceux qui sont encore élevés dans la culture bretonne avec ses valeurs et son esprit.
Attention, coquille dans le titre : ne se sentait pas … avec un T et non un S