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Nécrologie. Patrick Le Lay n’était pas « français »

Coup de chapeau à Patrick Le Lay qui vient de disparaître. On doit se souvenir de l’homme qui tenta de donner à la Bretagne une chaîne de télévision (TV Breizh) 100% bretonne. Ce grand patron aurait évidemment eu sa place dans l’Ordre de l’hermine…

En tête des Bretons « actifs »,

À chaque Breton puissant où ayant réussi dans les affaires, en politique ou ailleurs, la même question mériterait d’être posée : « Qu’avez-vous fait pour la Bretagne ? ». En tête des Bretons « actifs », Patrick Le Lay aurait peut-être occupé la première place. En tant que PDG de TF1 de 1988 à 2008, à chaque fois que l’occasion se présentait, il « braconnait », disait-il, avec la complicité de Patrick Poivre d’Arvor, pour apporter une touche bretonne aux programmes. C’est ainsi, par exemple, que l’on vit apparaître sur la première chaîne de télévision, en direct, la grande parade du Festival interceltique de Lorient.

L’aventure de TV Breizh

Mais le rêve de sa vie s’appelait TV Breizh. Une grande affaire au départ : siège à Lorient, quarante-cinq salariés, un capital social de 15,2 millions et un budget de fonctionnement annuel de 12 millions d’euros. Particularité de la chaîne : le doublage en breton des séries et des films. Mais elle souffre d’un handicap sérieux : « Pour être viable économiquement, il fallait nécessairement obtenir du Conseil supérieur de l’audiovisuel l’attribution de fréquences hertziennes en Bretagne : c’est simplement du bon sens, l’évidence même. Une chaîne régionale ne peut marcher que si elle est largement captée dans sa région. Or, nous n’étions diffusés que sur le satellite et le câble, et quand on sait qu’à l’époque seulement 10% de la population bretonne était abonnée à ces nouveaux moyens de diffusion, nous n’avions aucune chance », explique Rozenn Milin qui était à l’époque la directrice de TV Breizh (Bretons, n° 38, décembre 2008). Mais refus du CSA d’accorder une fréquence, refus tout aussi catégorique à une autre demande visant à obtenir une fréquence permettant d’émettre sur la région nantaise. Alors que la métropole nantaise, grâce à sa population, à ses entreprises et aux ressources publicitaires générées par ces dernières aurait permis la relance de TV Breizh. Mais il fallait compter avec François Fillon, alors président du conseil régional des Pays de la Loire, qui était par principe hostile à l’arrivée d’une chaîne bretonne à Nantes. À partir dejuin 2003, il était clair que la chaîne n’obtiendrait aucune fréquence hertzienne. L’échec était consommé et, aujourd’hui, TV Breizh n’a plus rien de breton… mais gagne de l’argent. « Exit la langue bretonne te l’information régionale. Place désormais à un flot continu et assumé de séries américaines et de feuilletons policiers français. TV Breizh doit aujourd’hui composer avec son statut de « mini chaîne généraliste ». Un robinet à images estampillé TF1 » (Bretons, id.).

Un patron breton « musclé »

Il faut reconnaître qu’avec Patrick Le Lay nous avions affaire à un patron breton « musclé » : « Je suis Breton dans l’âme », affirmait-il. Très direct, il allait même jusqu’à déclarer : « Je ne suis pas Français, je suis Breton. Je suis un étranger quand je suis en France ». Et tout y passe : « C’est un crime dans ce pays de ne pas être jacobin » ; « La culture bretonne n’a pas le droit d’exister » ; « Si dans une famille, vous ne parlez pas la langue de vos grands-parents, c’est bien qu’il y a eu des gens qui sont venus vous empêcher de la parler. Bon, mais on ne va pas refaire l’histoire de la façon dont la République s’est comportée vis-à-vis des langues minoritaires et notamment le breton » ; «  La France a procédé à un génocide culturel de la langue bretonne » (Bretons, n°2 , septembre 2005).

« Vous savez, je me sens d’abord Breton. »

Pour lancer TV Breizh, il fallait réussir un tour de table. Deux poids lourds de l’audiovisuel répondirent présent : Berlusconi et Murdoch. Mais aucun appui du côté des élus bretons : « Je me suis dit que cela allait intéresser les politiques. Mais alors, rien ! Ah si. Pour venir se montrer de temps en temps, ils sont là. Il n’y en a qu’un seul  qui m’a tout le temps aidé, qui a toujours été fidèle : Jean-Yves Le Drian. Quant au précédent conseil régional je peux vous dire… La droite ne veut pas de nous. Alors la gauche ! Non, c’est le service public et pas le privé ! (…) Mais enfin, le  néant à ce niveau là, ça confine quand même à l’exploit ! » (Bretons, id.). La politique est la politique : Josselin de Rohan (UMP), président du conseil régional de Bretagne, ne pouvait se permettre d’entrer en guerre avec François Fillon (UMP), président du conseil régional des Pays de la Loire. Et comme de Rohan n’avait pas la tripe bretonne, il ne risquait pas de se mouiller. Dommage que Patrick Le Lay n’ait pas eu l’occasion de balancer au duc de Rohan cette phrase dont il gratifia un jour François Bayrou, alors président de l’UDF : « Vous savez, je me sens d’abord Breton. Je n’ai jamais voté à aucune de vos (sic) élections nationales françaises. » Le Breton venait d’assurer au Béarnais qu’il était politiquement neutre (Le Nouvel Observateur, 21 septembre 2006) ; ce qui était plein de bon sens.

En perdant Patrick Le Lay, la Bretagne a perdu un militant convaincu qui ne se contentait pas de paroles et qui passait aux actes. En osant TV Breizh, il apportait un outil formidable à la cause bretonne. Mais les obstacles politiques furent les plus puissants.

Bernard Morvan

Crédit photo : DR
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