Il y a des jours où l’on aimerait qu’un grain de sable vienne gripper le mécanisme. Pas pour faire tomber la belle horloge, non, mais juste pour en faire entendre les rouages. Ce mardi à Rouen, la mécanique bien huilée du Tour a déroulé son scénario attendu comme un refrain d’été : Tadej Pogacar en a remis une, la centième, comme on débouche un champagne tiède pour célébrer une habitude.
La 4e étape entre Amiens et Rouen avait pourtant les atours d’un poème cycliste. Une échappée presque nostalgique, un final tout en tension et en virage, une rampe Saint-Hilaire qui promettait l’échappée belle. Mais le peloton, ce gros animal domestiqué par la science et les oreillettes, s’est contenté de jouer sa partition. Et quand Pogacar a jailli, avec l’assurance d’un homme qui connaît ses angles, il n’a manqué que la pancarte « Vous êtes ici » pour résumer la géographie du Tour depuis cinq ans.
Van der Poel, ce blond platine qu’on croirait sorti d’un clip des années 80, a bien tenté de garder le jaune. Il y est parvenu. Grâce à un jeu d’addition de places plus complexe qu’une équation d’énarque, il garde l’étoffe du leader, mais pas la lumière. C’est Pogacar qui l’emporte. Encore. Toujours. Cent fois. Comme une évidence lassante. Comme une chanson qu’on aimait au départ mais dont le disque saute.
Et Vingegaard, l’autre moitié du ciel, a fait ce qu’il fait le mieux : subir sans rompre. Un pas derrière, toujours dans le rétro, jamais décroché. Il a plié, oui, mais comme un roseau qui sait que l’orage ne dure qu’un temps. La guerre froide continue, sans effusion mais avec tension.
Et pendant ce temps-là, au fond du tableau, le jeune Romain Grégoire s’accroche, Vauquelin s’échine, Martinez grapille des pois comme un scout collectionne les badges. Le cyclisme français existe encore, dans les marges. À coups de top 10. Comme si l’Hexagone avait renoncé à ses grandes épopées et se contentait de respirer dans le peloton des anonymes.
Le Tour 2025 file à toute allure, mais c’est un manège dont on connaît le tourniquet. Pogacar, Vingegaard, Evenepoel. Un podium déjà griffonné dans les marges des carnets d’école. La seule incertitude, c’est l’ordre.
Ce mercredi, contre-la-montre à Caen. Une ligne droite, un vent de travers, un chrono où les watts comptent plus que les jambes. On nous promet du suspense. Mais au fond, la seule question est de savoir si Evenepoel gagnera avec panache… ou avec style. À force de voir les mêmes têtes, le Tour ressemble à un vieux film qu’on aime toujours mais dont on connaît toutes les répliques. Ce qui ne nous empêchera pas de le revoir, demain, après-demain, et tous les jours jusqu’aux Champs.
Car au fond, même un peu blasé, on reste amoureux.
YV
Crédit photo : © A.S.O / Billy Ceusters
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