La célèbre série Les Pionniers du Nouveau Monde raconte, en Amérique du Nord et principalement en Nouvelle-France (Québec), les guerres franco-anglaises du XVIIIe siècle. Le dernier tome sorti dénonce les manœuvres des révolutionnaires français.
En 1755, Anglais et Français se disputent le territoire de la Nouvelle-France. Afin d’éviter la faillite de la Compagnie de la Nouvelle-France, Monsieur de La Valette charge son fidèle assistant, le trappeur Billy le Nantais, de retrouver un convoi de fourrures. Billy entraîne avec lui dans cette expédition Benjamin Graindal, neveu de La Valette. Ils portent secours à Louise Dieudonné, dont le village a été attaqué par des indiens, mais sont faits prisonniers par les Anglais. Dans une place forte anglaise édifiée d’un côté des chutes du Niagara, Benjamin attend son exécution du haut d’un pilori. De l’autre côté, dans un fort français, le colonel s’apprête à donner l’assaut du camp anglais pour délivrer Louise, sa fille. Après l’attaque française, Benjamin se réfugie à New-York et Billy et Louise en Acadie. Mais les acadiens, d’origine française et catholiques, subissent un « nettoyage ethnique » de la part des Anglais. Les colons français d’Acadie parmi lesquels se trouvent Louise, Benjamin et Billy, se réfugient en Louisiane.
En 1760, alors que la Nouvelle-France est sous le joug britannique, Billy mène le parfait amour avec l’indienne « Petite Natte » et son fils. Benjamin s’est installé dans les Highlands écossaises et vient d’épouser en grandes noces la belle Lisa, du clan des Mac Tavish. Le jeune marié est rapidement chargé par le Duc de Choisel de retourner au Nouveau Monde afin d’inciter les autochtones à lutter contre l’occupant anglais. Mais son épouse y décède. Dans la Vallée Bleue, Louise et Billy construisent une factorerie en bonne entente avec les peuplades autochtones. Louise, affaiblie par une blessure récente, tombe amoureuse de Sha-Kah-Tew, un guerrier Cree. Après sa mission pour de Choiseul, Benjamin quitte la Louisiane et participe au projet de création d’un nouveau comptoir de traite, à Saint-Louis. En 1775, vingt ans après leur séparation, Benjamin retrouve Louise dans la Vallée Bleue.
Sorti en 2024, le tome 22 se déroule en 1785. Dans le port de Nantes, un jeune couple, Baptiste et Agnès, assiste à l’arrivée du navire Saint-Rémy, de retour du Nouveau Monde. Baptiste a envie d’émigrer, comme l’avait fait jadis son grand-père. Ses souvenirs d’acadien sont gravés dans la mémoire familiale. Mais son père s’y oppose. Le grand-père raconte que les colons vivaient harmonieusement avec les autochtones Micmacs, jusqu’à ce que les Anglais convoitent leurs terres. Ils furent emprisonnés et rapatriés en Angleterre, leurs enfants mourant de malnutrition, puis transportés jusqu’à Saint-Malo et Nantes. Mais le grand-père considère qu’il doit être possible d’émigrer en Louisiane, appartenant maintenant aux espagnols, des catholiques. Pendant ce temps, dans la région des grands lacs, Benjamin et Louise accompagnent une délégation indienne pour entamer des pourparlers avec les shawnees.
Le tome 23 vient de sortir. Il commence à l’automne 1787, au Canada. Les produits de la factorerie de Louise ne peuvent plus être acheminés vers le Québec. En effet, depuis l’indépendance des colonies anglaises, la rivalité entre Anglais et Américains pour le monopole des routes s’est durci. Benjamin va ainsi passer par le Mississipi pour rejoindre Saint-Louis, ville sous gouvernement espagnol. Il s’apprête à retourner auprès de Louise, lorsqu’on lui propose d’escorter un convoi vers la Nouvelle Orléans. Mais celui-ci est attaqué par des indiens Choctaws. Intrigué, le gouverneur espagnol de la Nouvelle Orléans demande alors à Benjamin de mener une enquête. Au même moment, des bourgeois préparent la Révolution française, en France comme dans le Nouveau Monde, en distribuant des pamphlets. Lun d’eux, qui tente de convaincre Billy d’aider les révolutionnaires à renverser le pouvoir monarchique espagnol en Louisiane, se prend une belle fessée ! Pour se venger des esprits encore monarchistes en Louisiane, les révolutionnaires déclenchent un incendie qui ravage la Nouvelle Orléans…
La série Les Pionniers du Nouveau Monde, entamée en 1982, est la seule créée par la Collection Vécu de Glénat encore en cours. Comptant plus de 1 100 planches, elle décrit l’histoire de la Nouvelle-France au XVIIIe siècle.
Pendant près d’un demi-siècle, l’équipe des scénaristes et dessinateurs n’a que peu été modifiée. Pour le premier tome, le scénario est de Jan Bucquoy et le dessin de Jean-François Charles. À partir du deuxième tome, Jean-François Charles devient le scénariste à la place de Jan Bucquoy qui se consacre à la série Jaunes. À partir du septième tome, surchargé de travail par la série Fox, Jean-François Charles confie le dessin des Pionniers du Nouveau Monde à Ersel. Il assure toujours les couvertures des nouveaux albums, réalisées en peinture à l’huile. À partir du treizième tome, Maryse Charles se joint à son époux, Jean-François, pour écrire les scénarios, et Ersel réalise à son tour les couvertures.
Jean-François Charles, dessinateur puis scénariste de cette série, est né en 1952 à Pont-à-Celles (Belgique). Se rendant compte qu’il est particulièrement doué en dessin, son père lui offre une table à dessin à l’âge de 12 ans. En 1967, il s’inscrit à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles, où il suit pendant deux ans des cours de dessin et de gravure. Il commence sa carrière en 1971 dans le dessin de presse, en publiant des caricatures dans La Libre Belgique sous le pseudonyme de BOF. Se réorientant vers la bande dessinée dans le Journal de Spirou, il dessine des Belles Histoires de l’oncle Paul (1975) qui ne furent jamais publiées. Ses premières bandes dessinées sont Les Chevaliers du Pavé (1977) et Le Bal du rat mort (1980). Il épouse Maryse Nouwens, rencontrée lorsqu’ils avaient seize ans. Scénariste belge de bande dessinée, celle-ci écrira sans son mari Claymore (1999-2002) et Les Derniers Jours de la Géhenne (2001-2008). Le couple, qui aura trois enfants, les premiers lecteurs des albums de leurs parents, part sept semaines au Canada et aux USA, pour se changer les idées. Jean-François Charles a alors envie de dessiner ces grands espaces. Sa visite du Fort Michilimackinac, au Michigan, lui fournit des idées de scenario. Ainsi naît en 1982, grâce à la documentation rassemblée avec l’aide de Maryse, Les Pionniers du Nouveau Monde. Suite à un grand voyage en Égypte en 1989, il débute en 1990, avec le scénariste Jean Dufaux, la série Fox. En 1995, il réalise un nouveau voyage aux indes. Il dessine et coécrit avec son épouse India Dreams (10 tomes de 2002 à 2016) et War and Dreams (4 tomes de 2007 à 2009). Encore avec son épouse, il écrit le scenario des séries Les Mystères d’Osiris (4 tomes de 2006 à 2011), Rebelles (avec des albums sur Che Guevara, Kennedy, Massoud), Ella Mahé (4 tomes de 2010 à 2012), et Africa Dreams, qui porte sur l’histoire du Congo belge (4 tomes de 2010 à 2016, avec le dessin de Frédéric Bihel). En 2016, le couple Charles écrit un roman graphique, L’Herbe folle, inspiré de leur jeunesse, dans lequel ils évoquent la période hippie où a commencé leur histoire d’amour et de bande dessinée. Puis il dessine et coécrit avec son épouse, de 2018 à 2023, la série China Li (4 tomes de 2018 à 2023), et en 2025, Au cœur du désert, une adaptation libre sous la forme d’un western d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad.
Appréciant les grands voyages, cinéphile, Jean-François Charles travaille en musique pour s’imprégner de l’atmosphère d’une histoire. Chez le couple Charles, à la campagne, chacun a son bureau. Ils discutent du scenario le matin et le soir. Le meilleur moment pour creuser un récit, c’est en voiture, lorsqu’ils vont au festival d’Angoulême, pendant les 11 heures de trajet !
Dans la série Les pionniers du nouveau monde, le premier cycle, composé de six albums, reste sans doute le plus intéressant. Grâce à son importante documentation, Jean-François Charles nous dévoile le conflit franco-britannique. Il se focalise sur les généraux Wolfe (camp anglais) et Montcalm (camp français). La suite est moins intéressante sur le plan historique, mais la longévité d’une série permet de faire vieillir les personnages et de s’y attacher.
L’intérêt principal de cette série est de retracer la fin de l’aventure française en Amérique du nord. Cette série raconte l’histoire de l’Acadie, colonie de la Nouvelle-France fondée en 1604 et notamment peuplée de français originaires de l’Ouest de la France. Conquise en 1713 par la Grande-Bretagne, elle subit le Grand Dérangement. Ainsi sont déportés les Acadiens, de 1755 à 1763. Leurs maisons et leurs fermes sont incendiées, les familles séparées. De nombreux Acadiens, alors détenus en Angleterre, sont envoyés en France, espérant avant tout repartir pour le Nouveau Monde. A la suite de la défaite de la guerre de Sept Ans, la France cède en 1762 la Louisiane à l’Espagne par le traité de Fontainebleau et, en même temps, elle abandonne le Canada à l’Angleterre. Dès lors, de nombreux acadiens réfugiés en Bretagne espèrent retourner dans le Nouveau Monde. Dans l’attente d’un embarquement pour la Louisiane, beaucoup patientent à Chantenay, à proximité immédiate du port de Nantes (ce qui est montré dans le tome 22). Certains s’y fixent même définitivement.
Le nouvel album dénonce les méfaits des révolutionnaires en Louisiane en 1788. Les scénaristes imaginent même que ce sont eux qui ont déclenché, le 21 mars 1788, le grand incendie du Vendredi Saint, qui s’est déclaré au domicile du trésorier de l’armée, Don Vincente Jose Nuñez.
Par un dessin réaliste, Jean-François Charles, amateur de grands espaces, reconstitue les immenses territoires vierges du Canada. Le dessinateur Ersel prend la suite à partir du septième tome. Erwin Sels, dit Ersel, né en 1963 à Anvers, est le fils du dessinateur belge Frank Sels, collaborateur de Willy Vandersteen. Après des études d’économie, il supervise les réimpressions de l’œuvre de son père. Tout en travaillant dans une banque, il réalise des illustrations. Il se spécialise dans le dessin réaliste et historique. Avec un scenario de Jan Bucquoy, il dessine l’album Une épopée française Indochine, puis une adaptation du Dernier des Mohicans. En 1994, il reprend ainsi le dessin des Pionniers du Nouveau Monde, série créée par Jean-François Charles. Puis il dessine, avec des scenarios de Maryse Charles, les séries Claymore et Les Derniers Jours de la Géhenne, et, avec Ferry van Vosselen, Le Gardien de la Lance. Son dessin réaliste et minutieux s’inscrit dans la lignée de celui de Jean-François Charles.
On se doute que les prochains albums raconteront pourquoi l’Espagne a restitué en 1800 la Louisiane à la France, et comment, en 1803, le Premier Consul de la République française Napoléon Bonaparte la vendit aux États-Unis…
Les pionniers du nouveau monde, tome 22, Jours d’orage, et tome 23, Les Révoltés du Mississippi. 48 pages chacun, 12 euros chacun. Editions Glénat.
Kristol Séhec.
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