Il est des victoires qui jaillissent comme une claque au bon sens, une gifle portée à l’horloge du temps. Ce dimanche, entre Brest et Quimper, Mavi Garcia, 41 ans, a montré aux jeunettes qu’on pouvait encore enfiler les kilomètres comme on avale une soupe chaude à l’entrée de l’automne : avec envie, méthode, et un peu de feu au fond du ventre.
Elle a surgi des bosses du Finistère comme une apparition ibérique, détachée de la pesanteur, indifférente aux pronostics, aux visages fermés des favorites et aux oreillettes trop prudentes. Une offensive sèche dans la côte de Trohéir, onze kilomètres encore à avaler, et la doyenne du peloton s’est lancée dans ce qui, pour beaucoup, relevait de la folie douce. Mais la folie, en Bretagne, ça s’arrose.
La Bretagne au balcon de son Tour
Parce qu’il faut le dire et le redire : la Bretagne était là, debout, massée, bruissante, fervente. Sur chaque talus, dans chaque virage, à chaque rond-point fleurant bon le goémon ou les galettes, les Bretons ont répondu présents. Les gosses portaient des maillots trop grands et les grands agitaient des drapeaux noir et blanc comme s’il s’agissait d’une libération. Le vélo chez nous, c’est une religion. Même quand c’est dimanche. Surtout quand c’est dimanche.
Passage des cyclistes de @LeTourFemmes à Locronan, sans doute un des plus beaux villages de Bretagne, dans une ambiance de liesse pic.twitter.com/UVGb5PjWHt
— Breizh-Info (@Breizh_Info) July 27, 2025
Et dans ce théâtre à ciel ouvert, Mavi Garcia a joué son rôle comme une tragédienne antique : stoïque, racée, un peu usée, mais toujours debout. Derrière, ça tergiverse. On regarde. On espère que ça rentre. Mais à force d’attendre que quelqu’un bouge, la vieille lionne a pris le large.
Trois secondes. C’est peu, à l’échelle d’un continent. C’est énorme, quand on a un peloton lancé aux fesses. L’Espagnole, rescapée d’une génération oubliée, devient la première de son pays à gagner une étape du Tour Femmes. Et surtout, la plus âgée à lever les bras. À Quimper, elle n’a pas seulement gagné une course. Elle a gagné un pari. Celui de la ténacité.
La relève aux aguets
Derrière elle, Lorena Wiebes (championne d’Europe) a réglé les comptes pour la deuxième place, talonnée par une météorite venue de l’océan Indien : Kim Le Court-Pienaar, Mauricienne de son état et désormais première Africaine à endosser le Maillot Jaune sur ce Tour. Une révolution douce, à l’image de sa course : constante, précise, opportuniste.
À égalité de temps avec Marianne Vos, elle devance la Néerlandaise au jeu des places. Vos, reine de la veille, a souri dans la défaite – c’est qu’elle en a vu d’autres. Pauline Ferrand-Prévot, huitième de l’étape, reste en embuscade, à six secondes du trône. Le Tour est encore jeune, comme ses héroïnes.
Lundi, on quitte la Bretagne
Lundi, la caravane quittera les terres d’Armor, le cœur un peu lourd sans doute. La Bretagne a offert au Tour Femmes plus que des routes : elle lui a offert une ferveur, une ambiance, une identité. Le Morbihan saluera le départ à La Gacilly, avant de filer vers Angers pour une étape plate, promise aux sprinteuses et aux équipiers appliqués.
Mais ce dimanche restera comme un moment suspendu : celui où une quadragénaire espagnole a défié la montre, le peloton, et les conventions, sous les applaudissements d’un peuple cycliste qui n’a jamais cessé d’aimer ses routes, qu’elles soient masculines ou féminines.
Et si un jour, les dieux du cyclisme devaient rendre justice aux panaches solitaires, qu’ils se souviennent de Mavi Garcia, lancée seule entre les églises de granit et les talus, dans un Finistère conquis au cœur. À cet instant, c’était elle, la patronne.
YV
Crédit photo : Breizh-info.com
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