Les décès liés à la lidocaïne, anesthésique local très utilisé, ont presque triplé en dix ans aux États-Unis. Une banalisation dangereuse, notamment en dehors du cadre hospitalier.
Censée calmer la douleur, elle en provoque de plus en plus. Selon une étude publiée dans la revue Regional Anesthesia & Pain Medicine, les intoxications mortelles à la lidocaïne – un anesthésique local réputé inoffensif – ont connu une hausse spectaculaire outre-Atlantique : +50 % entre 2016 et 2021, avec une mortalité multipliée par trois en dix ans.
Longtemps présentée comme un produit sans danger, disponible en pharmacie sous forme de crèmes, gels, patchs ou sprays à 4 ou 5 %, la lidocaïne est désormais en cause dans 82 % des décès imputés aux anesthésiques locaux. En 2010, ce chiffre n’était que de 67 %.
Un usage détourné, mal encadré, souvent à domicile
Le problème n’est pas tant le produit que l’usage qui en est fait. De plus en plus d’intoxications surviennent loin des structures médicales : à domicile, en cabinet, ou dans des centres de soins ambulatoires où la formation à l’anesthésie est parfois sommaire.
Un exemple glaçant cité par les auteurs de l’étude : un septuagénaire victime d’un arrêt cardiaque après avoir reçu une perfusion de lidocaïne à la place du liquide de rinçage lors d’un simple examen IRM. Autre cas : un patient inconscient après avoir inhalé de la poudre de lidocaïne achetée en ligne pour soigner ses brûlures d’estomac.
Une toxicité méconnue, mais bien réelle
Injectée ou absorbée à forte dose, la lidocaïne peut provoquer une toxicité systémique grave, affectant le système nerveux central et le cœur. Les symptômes : convulsions, troubles du rythme, voire arrêt cardiaque.
Selon le Dr Michael Fettiplace, principal auteur de l’étude et professeur à l’Université de l’Illinois à Chicago, « la lidocaïne n’est pas aussi sûre qu’on le pense ». La facilité d’accès – y compris en vente libre – entretient une fausse impression de sécurité. Certains flacons médicaux contiennent jusqu’à 2000 mg de lidocaïne, alors que la dose maximale recommandée pour un adulte est de 300 mg.
Autre phénomène inquiétant : la multiplication des actes médicaux hors hôpital, notamment en chirurgie esthétique ou en dermatologie, où des doses importantes sont administrées sans surveillance adaptée. Or la toxicité de la lidocaïne peut se manifester de manière différée, et la prise en charge d’urgence est rarement possible en l’absence de matériel spécialisé.
Un antidote existe, encore faut-il l’avoir sous la main
Le traitement d’un surdosage en lidocaïne repose sur la « thérapie d’émulsion lipidique » (lipid rescue), une injection intraveineuse de lipides permettant de neutraliser la substance toxique. Mais là encore, encore faut-il que le personnel sache reconnaître les signes de surdosage… et dispose du matériel.
L’étude conclut à une sous-estimation massive du nombre réel d’accidents, nombreux étant ceux attribués à d’autres causes. Ce n’est pas la première fois : dans les années 1970-80, déjà, la lidocaïne utilisée contre les arythmies cardiaques avait été suspectée d’avoir contribué à de nombreux décès… sans qu’on en mesure l’ampleur réelle.
La popularité de la lidocaïne – y compris dans les trousses à pharmacie des particuliers – repose sur une réputation de fiabilité qui ne correspond plus à la réalité actuelle. En France, ce type de médicament est également en vente libre sous diverses formes, sans mise en garde particulière sur les risques systémiques en cas de mauvaise utilisation.
À l’heure où les soins ambulatoires explosent et où la médecine se fait parfois à domicile, cette affaire relance la question de la sécurité des produits en apparence anodins.
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