Le Conseil constitutionnel, du gardien de la loi au geôlier de la souveraineté

Ce samedi-là, au bar de l’Océan au Guilvinec, l’air saturé d’embruns se glissait entre les tables. Par les vitres, on apercevait le grand bâtiment de la criée, immobile dans sa masse de béton comme une forteresse du port, tandis qu’à l’arrière-plan on devinait l’agitation du quai. Un ancien haut fonctionnaire s’approcha de ma table, visage buriné par les ans et les campagnes administratives, pour me confier dans un souffle grave : « Voilà cinquante ans que le peuple a perdu sa souveraineté, et il ne s’en est même pas aperçu. » Par un heureux hasard, le Figaro posé à côté de ma tasse ouvrait, à la page dix-neuf, sur une chronique de Mathieu Bock-Côté, d’une vigueur peu commune, dénonçant le Conseil constitutionnel pour avoir troqué le rôle de gardien modeste de la loi contre celui, illégitime, de grand usurpateur.

Bock-Côté en décortiquait le mécanisme avec précision. L’institution, jadis cantonnée à vérifier la stricte conformité des lois au texte constitutionnel, s’autorise désormais à décider ce qui peut ou non faire loi, selon ses inclinations idéologiques. Les élus débattent, votent, s’affrontent, mais in fine, les « Sages » tranchent, non sur la forme mais sur le fond, corsetant l’action parlementaire. La souveraineté populaire, comme la souveraineté parlementaire, se voit ainsi mise sous tutelle, suspecte par essence aux yeux de cette haute magistrature.

Ce constat répond en écho à celui que Jean-Yves Le Gallou formule depuis des décennies. Ancien député européen, fondateur de Polémia, tenu à l’écart des grands médias, hormis l’hospitalité de TVLibertés, il n’a cessé de mettre en lumière la mainmise du pouvoir juridictionnel sur la décision politique. Là où Bock-Côté occupe la lumière des plateaux, Le Gallou œuvre en franc-tireur, accumulant livres et tribunes pour démontrer que nous avons basculé dans ce qu’il nomme une « dictature médiatico-judiciaire ». L’un frappe comme un orateur en pleine mêlée, l’autre travaille en sape, avec la patience d’un état-major qui prépare la reconquête.

Le Gallou souligne que la dérive ne se limite pas au Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État, juge administratif suprême, joue sa partie dans la même tonalité. Depuis des années, l’interprétation extensive de conventions internationales ou de principes généraux lui sert à neutraliser des décisions politiques. Ainsi, en 1979, lorsque Giscard tenta de restreindre le regroupement familial instauré trois ans plus tôt, c’est une décision du Conseil d’État, invoquant la Convention internationale des droits de l’enfant, qui annula cette orientation pourtant validée par le gouvernement et le Parlement. Depuis, le scénario se répète, en matière d’immigration, d’urbanisme, d’écologie ou de questions sociétales, le Conseil d’État agit en législateur occulte, drapé dans l’autorité du droit pour imposer la vision dominante.

La mécanique est huilée, Conseil constitutionnel, Conseil d’État et Cour européenne des droits de l’homme s’auto-alimentent, chacun puisant sa justification dans les « normes supérieures » de l’autre. Dans ce jeu de miroirs, le politique se trouve enfermé dans une cage de verre. L’« État de droit » devient l’État des juges, réduisant le peuple à un rôle d’intervenant intermittent, toléré seulement lorsque son suffrage coïncide avec la doctrine de la caste. Depuis 1971, le fameux « bloc de constitutionnalité » offre un prétexte commode pour censurer sur la base de textes vagues, préambule de 1946, Déclaration de 1789, chartes de tout acabit, qu’il suffit de plier à l’air du temps.

Les analyses publiées par Polémia, signées d’Éric Delcroix ou de Le Gallou, rappellent que le général de Gaulle s’était fermement opposé à ce que le Conseil constitutionnel juge sur le fond. Sa volonté était qu’il se borne à contrôler la conformité des lois aux articles précis de la Constitution, sans s’égarer dans les eaux troubles de principes généraux interprétables à l’infini. Le « coup d’État juridictionnel » de 1971, mené par Gaston Palewski, a renversé cette conception, ouvrant la voie à un gouvernement des juges qui, pour reprendre Louis Boudin, relève d’un véritable « despotisme judiciaire ».

Le Conseil d’État, quant à lui, s’est arrogé des prérogatives jumelles. Souvent, il ne se contente plus de contrôler la légalité, il refaçonne la politique publique. Les mesures d’expulsion de délinquants étrangers se heurtent à un enchaînement de recours où le moindre vice de procédure devient prétexte à annulation. On se souvient de la démolition partielle de la « jungle de Calais », stoppée par décision d’un juge administratif au nom de la préservation de cabanes qualifiées de « lieux de culte », symbole parfait d’une inversion des rôles, où le juge gouverne et l’exécutif se borne à exécuter.

En définitive, la plume incisive de Bock-Côté et le travail de longue haleine de Le Gallou aboutissent au même diagnostic, la France est tenue par un double clergé, judiciaire et médiatique, qui maintient le politique à distance. L’un formule l’alerte dans les colonnes prestigieuses, l’autre, exilé des salons officiels, tient la chronique lucide depuis les marges. La question n’est plus de savoir si l’ordre actuel est équitable, mais combien de temps il pourra se maintenir. Car tout régime qui, par réflexe, neutralise les préférences profondes de son peuple finit par se couper de lui, et, telle une digue qu’on laisse se lézarder, se condamne à être, tôt ou tard, submergé.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : DR
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