La fille aux cheveux bleus de Penmarc’h

J’approchais en ce lundi de la terrasse du bar de l’Océan, au Guilvinec, lorsque je remarquai, à une table ensoleillée mais ombrée de mélancolie, un jeune homme attablé devant un café. J’avais croisé son père au Lycée de Pont-l’Abbé quand j’y étudiais et je savais que son grand-père avait été sympathisant de l’Action française, une rareté dans ce pays. Sa mine sombre me frappa, et comme nous nous étions déjà croisés sans jamais nous parler, je me permis une remarque à la légère : « Ce n’est pas avec une mine pareille que vous allez nous ramener la chaleur et le ciel bleu. » Il esquissa un sourire, faible mais sincère, et m’invita d’un geste à m’asseoir. J’ordonnai un café, par simple courtoisie d’abord, puis, bientôt, par amitié naissante.

La conversation s’engagea sur les banalités coutumières, la pluie, le vent, l’été capricieux qui fait la Bretagne semblable à un vieil ermite, tantôt hospitalier, tantôt bourru. Puis je le pressai, intrigué par son silence pesant : « Pourquoi donc êtes-vous si triste, en plein mois d’août ? » Il soupira et me confia, d’une voix retenue : « Parce que je viens de rompre avec une très jolie femme. »

Alors, il se mit à raconter car il est souvent plus facile de se confier à un inconnu. Ses allées et venues professionnelles l’emmenaient souvent jusqu’à Rennes, et pour ne pas voyager seul il avait pris l’habitude de s’inscrire sur BlaBlaCar. C’est ainsi qu’un jour, à Pont-l’Abbé, monta dans sa voiture une jeune fille de Penmarc’h, étudiante en sociologie, vêtue à la manière de ces enfants de l’époque qui se croient insoumis parce qu’ils suivent fidèlement la mode idéologique : sarouel flottant comme un drapeau étranger, bijoux d’inspiration lointaine, tatouages dits « ethniques ». Elle incarnait, à s’y méprendre, cette jeunesse façonnée par les dogmes de la télévision et les consignes professorales. Pourtant, par un caprice du destin, un charme réciproque naquit, bousculant la raison des deux.

De fil en aiguille, ils s’invitèrent au cinéma de Pont-l’Abbé, puis dans quelques bistrots. L’étudiante, malgré son vernis idéologique, laissa transparaître son intérêt, peut-être même un début d’attachement. Le jeune homme, lui, sentit grandir l’ambiguïté. Après réflexion, il choisit le retrait, cessant de répondre aux messages, espérant que l’eau s’évapore d’elle-même. Mais l’eau s’attarde toujours dans les fissures du cœur. Par honnêteté, il accepta une dernière rencontre.

Autour de la table d’un petit café de Saint-Guénolé, il la regarda dans les yeux et prononça, avec une douceur grave : « Tu es une très jolie femme, je suis extrêmement attiré par toi, et la meilleure chose que je puisse faire est d’interrompre notre relation. » La jeune femme, étonnée, lui répondit : « Mais moi aussi je suis attirée par toi, tu es quelqu’un avec qui je pourrais construire une relation durable. » Alors il l’arrêta, d’une voix ferme : « Non. Tu es tout le contraire de moi. Toi, tu ouvres tes bras à la diversité, moi je m’en défie. Tu aimes l’étranger, quel qu’il soit, moi je préfère les miens. Tu parles de justice sociale, je me contente de la justice. Tu rejettes les hiérarchies, je les comprends. Tu cherches un sens, je le porte en moi. Tu critiques le capitalisme, mais tu vis à ses crochets. Tu considères la maternité comme un fardeau, je la vois comme le plus grand don de la nature à la féminité. »

Ces paroles tombèrent comme un couperet. Elle demeura muette, quelques larmes perlèrent au coin de ses yeux. Puis elle se leva, rassembla ses affaires et partit, sans un mot. Le jeune homme resta seul avec sa décision, soulagé d’un poids, mais meurtri par une tristesse qu’il ne parvenait pas à dissiper.

Je compris, en l’écoutant, que son histoire dépassait son seul chagrin. Elle illustre ce gouffre grandissant entre garçons et filles d’aujourd’hui, ce malentendu des générations qui cherchent encore l’amour véritable mais trébuchent sur les fractures idéologiques. Le dilemme demeure le même : trouver non pas une compagne pour un soir, mais une femme pour la vie entière.

Ainsi me fut contée, sur la terrasse du bar de l’Océan, l’histoire de la fille aux cheveux bleus de Penmarc’h. Une idylle brève, et pourtant une parabole des temps modernes.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : DR
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