La scène se déroule à Hanley (Stoke-on-Trent) lors des troubles du 3 août 2024 en réaction aux meurtres de Southport. Dans tout le nord de l’Angleterre, des manifestants descendent dans les rues pour dénoncer la politique folle d’immigration et la déliquance de certains immigrés. Nathan Poole, 32 ans, sort dans les rues lui aussi, pour manifester. Il ne frappe personne, ne lance pas de projectile, ne dégrade aucun bien.
Il filme, vocifère, se place en tête de cortège et lance des slogans, dont un visant l’islam ( « Who’s the fuck is Allah ? », littéralement, qui est ce p… d’Allah ?). Il fait face à des contre-manifestants, protégés par un cordon de policiers. Une légère bousculade suit.
Un an plus tard, le verdict tombe : 30 mois de prison pour violent disorder. Le juge retient une « hostilité envers l’islam » comme facteur aggravant. Le message envoyé par la justice britannique est limpide : la parole, lorsqu’elle déplaît et s’exprime au cœur d’une foule, peut désormais valoir plusieurs années de cellule.
Du maintien de l’ordre à la pénalisation de la parole
Au Royaume-Uni, l’infraction de violent disorder ne requiert ni coup porté, ni pierre lancée. Il suffit que, dans une foule, un comportement — cris, gestes, postures — contribue à créer une situation jugée dangereuse pour une « personne d’une fermeté raisonnable ». C’est précisément le raisonnement appliqué à Hanley : Poole n’est pas filmé en train de frapper ; il chauffe la foule, interpelle les contre-manifestants, provoque la police. Ce « rôle actif », martèle le juge, aurait « aggravé » un face-à-face où d’autres envoyaient des projectiles par-dessus les lignes de maintien de l’ordre.
On peut trouver ces slogans stupides, vulgaires, odieux . Mais la question politique, démocratique, est ailleurs : à partir de quand des paroles, si répugnantes soient-elles, justifient-elles une peine équivalente à celle infligée pour des violences physiques, dans un pays qui par ailleurs, vide ses prisons de certains délinquants lourds comme à l’été 2024 ? En Grande-Bretagne, la bascule est consommée : l’intention prêtée et la contribution supposée à un climat de tension suffisent à faire tomber la prison ferme.
La qualification violent disorder (article 2 du Public Order Act 1986) sanctionne les troubles commis par trois personnes ou plus lorsque leur conduite ferait craindre pour sa sécurité « à une personne d’une fermeté raisonnable ». L’infraction est jugée au Crown Court avec un plafond de cinq ans d’emprisonnement et un barème de peine allant du travail d’intérêt général jusqu’à 4 ans et 6 mois selon la gravité. Dans ce cadre, la religious hostility peut alourdir la sentence au titre des facteurs aggravants prévus par le Sentencing Code (section 66).
Depuis les émeutes de 2024, la doctrine est assumée : frapper vite et fort pour dissuader. Les tribunaux britanniques ont aligné des peines lourdes pour jets de projectiles, mais aussi — et c’est la nouveauté — pour des propos tenus en manifestation ou publiés en ligne, quand bien même l’auteur n’aurait pas participé directement aux violences. La liberté d’expression, pourtant protégée en principe, se voit resserrée dès qu’elle est prononcée au cœur d’une foule “volatile”. Le message aux manifestants est clair : la parole vous exposera comme l’acte, parfois davantage.
Cette fermeté, présentée comme « neutre », laisse un arrière-goût de géométrie variable. Les mêmes salles d’audience n’ont pas toujours montré une telle intransigeance face à d’autres cortèges au slogan plus « conformes » aux standards du moment. Ici, un homme est envoyé pour deux ans et demi derrière les barreaux sans preuve de violence matérielle ; ailleurs, des débordements comparables se soldent par de simples avertissements. À tout le moins, la perception d’un tri idéologique s’installe : ce que vous criez et contre qui vous le criez compterait autant que la réalité des faits.
Il y a quelques semaines par exemple, un conseiller municipal noir, Ricky Jones a été déclaré non coupable d’incitation à des troubles violents. En août 2024, lors d’un rassemblement à Walthamstow, à l’est de Londres, Ricky Jones avait déclaré, à propos des manifestants anti-immigration : « Ce sont tous des fascistes nazis répugnants. Nous devons tous leur trancher la gorge et nous débarrasser d’eux.Il avait donc été acquitté.
Quand la morale supplante le droit
Dans l’affaire Pool, le juge a souligné une « hostilité envers l’islam ». Là encore, nul ne défendra l’insulte religieuse. Mais l’on franchit une étape lorsque la réprobation morale — légitime — se mue en sur-pénalisation. En démocratie, la limite entre la protection de l’ordre public et la criminalisation d’un discours devrait rester épaisse. Elle devient poreuse. On n’instruit plus seulement un désordre ; on punit une intention politique et un contenu de slogans. Cette confusion des genres, une fois installée, ne se restreint jamais d’elle-même : elle s’étend.
Ce qui se joue de l’autre côté de la Manche n’est pas une curiosité exotique. Partout en Europe occidentale, la tentation est forte d’ériger en crime d’opinion de fait tout propos jugé « attisant » dans un contexte de rue. L’outil existe déjà : qualifications floues, appréciation subjective du climat, barèmes de peine « pédagogiques ». Le résultat, à terme, est connu : autocensure, manifestations aseptisées, défiance croissante envers des institutions qui se parent du droit pour policer la parole.
Qu’un trentenaire sans acte violent établi écope de 30 mois pour des slogans graveleux et une posture bravache en dit long sur la pente prise par la justice britannique. Ce n’est pas excuser ses cris. C’est refuser que le verbe, même imbécile, tombe sous un régime de terreur judiciaire. La liberté d’expression se mesure à ce qu’on accepte d’entendre de ceux qu’on exècre. Le Royaume-Uni a fait un autre choix : il éduque à coups de peines planchers. Et chacun sait qu’une fois la porte ouverte, le bâillon ne choisit plus ses cibles.
À Hanley, un homme paie de sa liberté un climat qu’il n’a pas créé à lui seul. Demain, qui paiera pour une pancarte au mauvais moment, un slogan maladroit, une image qui déplaît ? À force de confondre ordre public et ordre moral, on finit toujours par jeter l’un et l’autre aux orties.
Visiblement, les autorités britanniques n’ont toujours pas compris, après la manifestation monstre de samedi à Londres, que les choses allaient très mal se terminer pour elles si la tyrannie politique continuait ainsi.
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