Directeur des opérations de SOS Chrétiens d’Orient, François-Xavier Gicquel revient pour Breizh-info sur la situation dramatique des communautés chrétiennes en Terre sainte et au Proche-Orient. Entre persécutions du Hamas, vexations israéliennes, crises politiques et violences sectaires, il alerte sur le risque d’un effacement progressif des chrétiens de leurs terres ancestrales. Face à cette réalité, il appelle les Européens à une diplomatie enracinée dans l’héritage chrétien et à un engagement concret aux côtés de ces communautés en danger.1.1) Pourriezvous vous présenter à nos lecteurs ?
SOS Chrétiens d’Orient est une ONG fondée en 2013, qui opère aujourd’hui dans 8 pays, en Irak, en Syrie, au Liban, en Jordanie, au Pakistan, en Éthiopie et en Arménie, et qui a pour vocation d’aider les communautés chrétiennes à rester vivre sur leur terre, sur la terre de leurs pères.
Breizh-info.com : Pouvez-vous nous décrire la présence actuelle de SOS Chrétiens d’Orient en Terre sainte, et en particulier dans les territoires affectés par le conflit israélopalestinien ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) : SOS Chrétiens d’Orient ne travaille pas en Terre sainte, a envoyé une aide ponctuelle à l’église grecque orthodoxe de Gaza et également a participé à un convoi du Croissant Rouge égyptien vers Rafah. Mais ce sont les deux seules actions que SOS Chrétiens d’Orient a menées jusqu’à présent en Terre sainte.
Breizh-info.com : Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les populations chrétiennes dans cette région aujourd’hui ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) :Dans cette région, ça dépend de quoi on parle. Si on parle de la Terre sainte en particulier, il est clair que les populations chrétiennes ont deux problèmes majoritaires. Le premier, si on prend Gaza par exemple, c’est évidemment les persécutions conduites par le Hamas, puisqu’on sait que le nombre de chrétiens a quasiment été divisé par dix depuis l’accession du Hamas au pouvoir et les persécutions quotidiennes, mais également, évidemment, les persécutions par les autorités israéliennes. Puisqu’en tant qu’habitants palestiniens, les chrétiens de Terre sainte sont considérés comme des Arabes, et donc subissent les mêmes vexations, les mêmes humiliations, les mêmes difficultés économiques, sociales, etc. au quotidien que le reste des Palestiniens.
Si on parle du reste de la zone, la zone proche et moyenne orientale, là, ça dépend des pays, il faudrait des heures pour pouvoir en parler, mais au Liban, on connaît la triste et terrible crise économique, crise politique dans un premier temps, puis crise économique, puis l’explosion du port de Beyrouth, et crise militaire, enfin, qui a dernièrement touché le pays. En Irak, on parle de violences sectaires, puisqu’à la suite de la chute de Saddam Hussein, la guerre civile ne s’est jamais terminée. Tout d’abord, les sunnites et les chiites se sont affrontés pendant 10 ans, ce qui a mené lieu à la création de groupes mafieux, qui, évidemment, ont frappé les plus faibles, à savoir les chrétiens, qui sont les plus isolés, par des kidnappings, des demandes de rançons, des vols de propriétés terriennes, des humiliations au quotidien, etc. Mais ensuite, par l’arrivée de l’État islamique, qui s’inscrit dans une même logique et une même dynamique, et aujourd’hui, des tensions qui restent sousjacentes, même si la situation s’est un petit peu améliorée, ces groupes mafieux perdurent et pourrissent la vie du pays, notamment pour les minorités.
En Syrie, on connaît la situation. Après les années de fer de Bachar alAssad, les anciens d’AlQaïda sont arrivés au pouvoir en décembre dernier, et aujourd’hui, on sait qu’il y a déjà eu des exactions qui ont été commises contre les alawites, tout d’abord, puis ensuite contre les druzes, des attaques terroristes contre des églises. Estce que c’est le fait du gouvernement ? C’est impossible de le dire aujourd’hui. Je ne sonde pas les reins et les cœurs, mais ce qui est certain, c’est que c’est commis par des groupes qui sont proches du gouvernement et qui les soutenaient à une certaine période. La question qui se pose est la capacité et la volonté de ce gouvernement à endiguer ces violences. C’est de ça que dépendra le futur des chrétiens de Syrie.
En Jordanie, on a une situation qui est relativement bonne pour les chrétiens, mais qui est tendue à la fois par la situation géopolitique et à la fois par des minorités radicales qui font vivre certaines humiliations ou discriminations visàvis des chrétiens. C’est pour les pays limitrophes, pour les pays de la zone.
Breizh-info.com : Comment ce conflit affecte-t-il concrètement les communautés chrétiennes de Gaza, de Cisjordanie ou de Jérusalem ? Et comment vivent-elles leurs relations avec les communautés juives et musulmanes ?
Alors encore une fois, je ne suis jamais allé à Gaza, donc je n’ai pas une expérience de première main sur place. Mais en tout cas, pour ce qui est des populations de Gaza ou de Cisjordanie, les chrétiens sont des Palestiniens comme les autres. Donc, à partir de là, ils subissent les mêmes bombardements, les mêmes attaques. On voit malheureusement très régulièrement de l’actualité des églises qui se font frapper par les bombardements israéliens, des chrétiens qui se font tirer dessus par les soldats israéliens, et donc ils subissent la même chose que le reste des autres Gazaouis et des autres habitants de Cisjordanie.
J’étais moi même en déplacement dans le sud du Liban il y a peu, et j’ai pu constater beaucoup de villages du sud étaient rasés, notamment les villages chrétiens, et des villages 100 % chrétiens qui ne comportaient pas de présence chiite, donc qui n’étaient pas forcément suspectés d’abriter des combattants du Hezbollah, ont été totalement rasés. Donc on voit que la politique d’Israël est indiscriminée visàvis des populations qui vivent sur ces territoires.
Ensuite, pour les habitants de Jérusalem, on sait que cette guerre, même si ce sont des tensions qui existent depuis longtemps, a nourri encore plus de tensions, ou a réveillé des tensions, a exacerbé des tensions, et que maintenant la vie pour les Arabes de Jérusalem est devenue très difficile. Les tensions existent, des discriminations existent, et du coup les chrétiens subissent ces mêmes discriminations, sans parler évidemment d’attaques par des groupes extrémistes, de juifs extrémistes. On le voit tous les ans : des crachats, des injures, sur des processions chrétiennes, sur des bâtiments chrétiens, des taxes dont les chrétiens étaient exemptés, qui reviennent sur des bâtiments et des terrains religieux, etc. Voilà globalement la situation des chrétiens en Terre sainte.
Breizh-info.com : Un risque de disparition pure et simple des chrétiens en Terre sainte existe-t-il ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) :Disparition, je ne sais pas, parce que les chrétiens vivent là depuis toujours. On ne parle pas simplement de la religion, mais du peuple, aujourd’hui, chrétien, mais qui habite sur ces terres depuis des millénaires. Estce qu’ils vont disparaître ? Je ne sais pas. Je pense que beaucoup font preuve d’une fidélité à toute épreuve.
Maintenant, est-ce que leur nombre risque de diminuer ? Oui, ça c’est certain. Est-ce qu’il risque de diminuer drastiquement ? Je pense aussi, malheureusement, qu’il y a un fort risque. On voit, c’est un peu la dynamique dans tous les pays de la région. Et le fait que ça se produise également en Terre sainte nous prouve que ce n’est pas simplement le fait d’une religion qui serait l’islam, mais que c’est une dynamique, en fait, de réduction au statut de minorité. Et ça, c’est extrêmement triste, parce que les chrétiens n’ont pas vocation à être une minorité dans leur propre pays et n’ont pas vocation à être autre chose qu’une des composantes de la grande mosaïque nationale dans ces pays.
En Syrie, les chrétiens sont une composante de la Syrie. Ils sont syriens de confession chrétienne. C’est la même chose en Irak où la majorité des chrétiens sont d’origine assyrienne, l’origine même des habitants de ce pays. Ils ont beau être en minorité numériquement, ils sont une composante à part entière. Ce sont des Irakiens de confession chrétienne. Et, en fait, aujourd’hui, on essaye vraiment de diviser ces populations pour les réduire au statut de minorité et, de là, restreindre leurs droits, restreindre leur visibilité, restreindre leur représentativité. Et c’est cet élément particulier qui fait qu’il est très difficile aujourd’hui, pour un chrétien, de défendre ses droits, d’imaginer un futur sur sa terre ou même d’être tout simplement considéré comme un citoyen à part entière de ces territoires qui sont pourtant leur pays depuis toujours.
Breizh-info.com : Avez-vous des contacts directs avec les Églises locales ? Quel est leur message aujourd’hui ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) : Pour les autres pays de la zone, de la région, en Irak, en Syrie, au Liban, en Jordanie, oui, nous avons des contacts avec toutes les Églises catholiques , orthodoxes et orthodoxes orientales sur place. Nous discutons avec les patriarches, nous discutons avec les évêques, et directement, au quotidien, nous sommes au contact des prêtres, puisque justement, en fait, c’est ça qui fait notre spécificité : nous, nous travaillons, nos bureaux sont implantés sur le terrain et nous vivons avec eux. Et donc, là où il est plus difficile pour d’autres œuvres de donner des conseils depuis leur bureau à Paris, nous qui vivons avec eux, nous comprenons un peu leurs désarrois, et nous sentons vraiment sensiblement leur peine.
Mais voilà, en fait, il est important de leur dire qu’ils ont un rôle qui est fondamental : un rôle de témoignage, un rôle culturel, un rôle spirituel. Et en fait, aussi bien leurs frères et sœurs que le monde comptent sur eux, puisque c’est le Christ qui nous a demandé de témoigner de son message. Il faut rester fort, même face aux épreuves, et ne jamais perdre espoir. C’est pour ça que, plus qu’un encouragement, plus que de vains mots, nous avons fait le choix, encore une fois, de vivre au milieu d’eux, et de leur montrer qu’on ne les abandonnera pas et qu’on sera toujours avec eux tout au long du chemin, et qu’on essaiera de les accompagner du mieux qu’on peut pour leur permettre de continuer à porter le message du Christ.
Breizh-info.com : « ONG chrétiennes = logique de croisade » : que répondez-vous ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) : Nous faisons l’extrême inverse de ce que ces gens nous reprochent, puisque nous veillons vraiment, prioritairement, à renforcer la cohésion nationale. Nous ne voyons pas les chrétiens comme la minorité dans une majorité, ou comme une bulle à part dans un ProcheOrient à domination culturelle arabe. Pour nous, les chrétiens sont les habitants originels de ces pays — qui sont majoritairement musulmans ou juifs, si on parle d’Israël, aujourd’hui — et, en fait, ils ont toute leur place dans ces pays.
Non pas une place de minorité qui doit survivre au milieu de ces gens, ou qui doit mener une lutte d’influence visàvis de ces gens. En fait, ce sont des composantes d’un pays qui doivent prendre toute leur place dans cette mosaïque que sont devenus ces pays aujourd’hui. Quel que soit le positionnement que l’un ou l’autre peut avoir en Occident, c’est une réalité, et c’est une réalité qui est là pour durer.
Donc, on n’est pas là pour changer le paysage politique dans ces pays. On n’est pas là pour changer le paysage démographique dans ces pays. On est là pour permettre aux chrétiens de vivre auprès de leurs frères et sœurs irakiens, syriens, jordaniens, libanais, israéliens, palestiniens, en paix. Et surtout pas dans une logique d’affrontement mais de construction commune.
Breizh-info.com : Votre lecture du rôle des puissances occidentales — et notamment de l’Europe — dans la (non)gestion du conflit ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) : Déjà en France, ce qui me choque, c’est que la France ne réussit pas à se positionner sur ce conflit, et ça dénote beaucoup de choses. La France a toujours eu une politique arabe très claire, avec des positions pondérées et équilibrées. Et depuis le 7 octobre, on voit des revirements constants. Cela dénote à la fois des problèmes de perception et un manque de connaissance de la région, et également un manque de courage politique, qui fait que les autorités françaises succombent à la pression de la rue et de l’opinion, au lieu de se placer dans nos intérêts géopolitiques de long terme et la recherche du bien commun.
Par ailleurs, la position américaine est étonnante : on savait Donald Trump fervent défenseur d’Israël, et même lui se retrouve pris de court par la radicalité de l’État israélien et de M. Netanyahou. Cela marque à la fois la faiblesse de l’Occident et la radicalité d’Israël, qui prend de court un Occident non préparé à une escalade aussi brutale.
Breizh-info.com : L’AfD en Allemagne prend un tournant plus neutre. La droite française devrait-elle suivre ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) : Non. Ces tournants des partis souverainistes/nationalistes relèvent soit de la dédiabolisation (non viable à long terme), soit d’une méconnaissance du sujet et d’une réaction épidermique à court terme. On ne réagit pas à un conflit international sans prendre en compte l’histoire, nos intérêts et le bien commun. La prudence s’impose et il ne faut pas s’aligner aveuglément derrière un camp.
Ce qui doit guider : la recherche du bien commun et la défense absolue de la dignité humaine et de le prix de la vie humaine (cf. le cardinal Pizzaballa, patriarcat latin de Jérusalem). Les atteintes à la vie humaine existent à la fois du côté du Hamas et du côté des autorités israéliennes et il faut une approche pondérée et juste.
Breizh-info.com : Les « racines judéochrétiennes » justifien-t-elles un soutien sans faille à Israël ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) : Je ne crois pas à l’expression « racines judéochrétiennes » comme fondement de l’Europe. L’Europe est d’abord hellénochrétienne, héritière des mondes hellénique et romain, avec des apports germaniques et celtes, et profondément façonnée par la chrétienté. Les Juifs ont eu une place importante et féconde, mais cela relève d’une co-construction, pas d’un fondement identitaire.
En politique étrangère, deux boussoles : nos intérêts (difficile de voir l’intérêt européen dans la destruction de Gaza/Cisjordanie et ses conséquences migratoires) et la recherche du bien commun, qui implique la proportionnalité de la « guerre juste » (SaintAugustin). En tant qu’Européens, on ne peut soutenir une guerre qui n’est pas juste.
Il n y a pas de solution militaire dans ce conflit. En revanche, il faut amplifier les restrictions d’armements à destination d’Israël pour s’assurer qu’aucun matériel européen ne contribue à ce que l’ONU a qualifié de génocide ; exiger la fin du conflit et lancer une phase de reconstruction permettant le retour des Palestiniens chez eux, afin d’écarter toute tentation de relocalisation forcée.
Breizh-info.com : La diplomatie européenne doit-elle être enracinée dans l’héritage chrétien ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) : Oui. L’héritage chrétien ne dicte pas un camp, il dicte des principes : présence, service du bien commun, témoignage, et « guerre juste » (proportion, dignité humaine). S’insurger contre toute atteinte à la dignité et à la vie, où qu’elle se produise.
Un chrétien ne doit jamais tolérer l’injustice : la Terre sainte est l’un de nos berceaux spirituels et une clé de la stabilité méditerranéenne. Ce sujet a été accaparé par la gauche ; la droite doit s’en saisir aussi, exiger une paix immédiate et durable — c’est dans l’intérêt européen à moyen et long terme.
Breizh-info : quelles sont vos missions actuelles de volontariat ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) : Nous avons des départs ouverts vers l’Irak, le Liban, la Jordanie, l’Éthiopie, l’Arménie, l’Égypte. La Syrie est suspendue jusqu’à clarification de la situation, mais reprendra dès que possible. Le volontariat est au cœur de notre action : présence, reconstruction, projets du quotidien, partage des joies et des peines. Invitation aux jeunes Européens : construire une fraternité concrète et vivre une expérience humaine et spirituelle forte aux côtés des communautés orientales.
Breizh-info.com : Où puisez-vous l’espérance ? Comment agir concrètement ?
François-Xavier Gicquel (SOS Chrétiens d’Orient) : Dans le Christ, d’abord : nous ne sommes jamais seuls. Et dans onze ans d’action dont nous constatons les fruits : de la famille au quartier, du village à la communauté. L’alliance du spirituel et du matériel fonde notre détermination à poursuivre.
Deux axes : 1) Soutenir les œuvres au service des chrétiens d’Orient — prière, engagement volontaire, dons pour leur permettre d’envisager un avenir sur leur terre. 2) Politique : se former (géopolitique et doctrine chrétienne), s’engager, interpeller les élus pour une politique européenne engagée et pondérée au ProcheOrient, garantissant stabilité, paix et prospérité durables.
Propos recueillis par Matisse Royer
Matisse Royer né en 2001, est étudiant en médecine et fondateur de Voxeuropa, une organisation patriotique à l’échelle européenne, qui combine médias, think thank et réseau. Son initiative vise à créer un espace européen afin de renforcer la coopération entre les décideurs politiques du continent.
Illustration : SOS Chrétiens d’Orient
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