Sur la carte, c’était une émeute de lacets et de pourcentages, un décor de carte postale accroché aux collines rwandaises. Sur la route, ce fut un long bâillement sous un maillot arc-en-ciel : Tadej Pogacar a allumé la mèche à 104 kilomètres de l’arrivée – pourquoi pas 250 la prochaine fois ? – puis a laissé le monde discuter derrière lui. Les autres avaient des ambitions, lui avait un chronomètre.
Une édition qui promettait l’orage et n’a livré qu’un ciel bleu
L’UCI vendait « le parcours le plus difficile de l’histoire » : 267,5 km, 5 300 m de D+, Mont Kigali (5,9 km à 6,9 %), Mur de Kigali (400 m à 11 %). Le genre de menu qui habituellement met des idées noires dans les mollets et des rêves dans les échappées. On attendait un western, on a eu un monologue.
À 103–104 km du terme, Pogacar passe à la caisse, Ayuso et Del Toro glissent une pièce pour tenir sa roue quelques virages, puis le Slovène ferme la boutique : 66 km en solitaire, moyenne 42,089 km/h, et 1’28’’ d’avance sur Evenepoel, histoire de laisser au suspense le temps de se rhabiller.
Le garçon ne collectionne plus, il empile : doublé Mondiaux 2024–2025, doublé Tour de France – Mondiaux deux années d’affilée – une première –, saison garnie de Liège, Flandres, Strade Bianche, Flèche, Dauphiné… 17 victoires déjà, et un Lombardie encore en dessert. On cherche la clef du coffre ; il n’y a que Pogacar dedans.
Un peloton réduit à l’état de figurants
La chaleur et l’humidité ont fait l’inventaire : seulement 30 classés sur 165 partants, premier taux de désertion depuis 1995. Les Français s’en tirent avec trois rescapés (Paul Seixas 13e, Sivakov 15e, Paret-Peintre 28e). Evenepoel a connu la mécanique jalouse, a pesté, puis a réglé tout le monde… sauf celui de devant. Ben Healy complète le podium, témoin consentant d’un hold-up annoncé.
Pendant ce temps, la tête de course avait autrefois un parfum d’aventure – Julien Bernard s’était invité – mais l’ouverture a vite été confisquée par le Slovène. Le film de la journée ? Une bande-annonce prolongée.
La veille, les femmes avaient laissé la porte entrouverte aux miracles
Heureusement, la veille, le vélo avait rappelé qu’il sait encore renverser la table. Magdeleine Vallières, 24 ans, est devenue championne du monde devant Niamh Fisher-Black et Mavi Garcia au terme d’une course emballée par l’audace, piégeant les reines désignées. Là, il y eut des hésitations, des contres, des alliances – du roman, en somme.
Et chez les U23, d’autres scénarios à tiroirs ont rappelé que la jeunesse aime jouer avec les allumettes. Kigali savait donc faire vibrer. Il fallait juste choisir le bon jour.
Quand l’arc-en-ciel vire au monochrome
On connaît l’argument : « l’exploit tue le suspense », mais l’exploit reste l’exploit. Certes. Sauf que la beauté du cyclisme n’est pas qu’une addition de watts, c’est un désordre organisé : alliances de circonstance, trahisons en plein vent, pactes de vingt minutes et coups tordus dans un virage.
Dimanche, rien de tout cela : une partition à une seule portée. Pogacar a mis le peloton au congélateur, et nous avec. Les chiffres racontent la prouesse – 66 km seul, écart historique dans le top-6 des plus larges –, mais ils n’écrivent pas l’ivresse. On a admiré, on n’a pas tremblé.
Faut-il blâmer ceux de derrière ? Les machines ont surgi (Evenepoel victime d’un double pépin), la sélection par la chaleur a fait le ménage, les stratégies nationales se sont neutralisées. Chacun avait un plan jusqu’à ce que Pogacar propose le sien : vous courez, je gagne.
Le cyclisme moderne a des portes automatiques : si la star pousse, elles s’ouvrent, et tout le monde traverse en file indienne. On ne réclame pas l’anarchie, juste un peu de contradiction. Un champion est plus beau quand on voit l’ombre de son doute.
Les Mondiaux 2025 resteront dans les livres pour ce qu’ils ont d’inouï : la domination tranquille d’un cannibale en maillot irisé, deuxième service compris. Ils resteront aussi dans nos souvenirs pour ce qu’ils n’ont pas offert : ces secondes où l’on se surprend à serrer les poings devant l’écran, à compter les mètres, à croire qu’un groupe peut manger la lune.
Rendez-vous à Lombardie. Que quelqu’un bouscule la table, renverse un verre, dérègle le métronome. On sait le vélo capable de poésie – les féminines l’ont rappelé –, qu’il ose à nouveau écrire en ratures. Dimanche, Pogacar a tout corrigé au feutre indélébile.
YV
Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
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