Pendant plus de trente ans, la psychiatre britannique Gwen Adshead a côtoyé les auteurs de crimes les plus terribles, de Broadmoor à Grendon, deux établissements de haute sécurité. Son credo : comprendre la violence pour mieux la prévenir, sans jamais l’excuser. À l’heure où les prisons occidentales débordent et où les débats sur la réinsertion s’enlisent, sa voix tranche par sa lucidité.
« Disquieted, not frightened » — « troublée, mais pas effrayée » : c’est ainsi que le Dr Gwen Adshead décrit son rapport à ceux qu’elle écoute depuis trois décennies.
Psychiatre et psychothérapeute judiciaire, elle a travaillé dans les prisons et hôpitaux psychiatriques les plus fermés du Royaume-Uni, notamment à Broadmoor, l’institution où furent internés Peter Sutcliffe, le tueur du Yorkshire, ou Ronnie Kray, figure du grand banditisme londonien.
Son travail consiste à parler avec ceux que la société voudrait oublier. Pas pour les absoudre, mais pour comprendre ce qui conduit un être humain à basculer dans la cruauté. « Comprendre la violence n’est pas la justifier », répète-t-elle.
Le mal n’est pas inné
Dans son ouvrage Four Questions About Violence (Faber, 2025), Adshead s’interroge :
– La violence est-elle naturelle ?
– Existe-t-il vraiment quelque chose qu’on puisse appeler “le mal” ?
– Peut-on changer ?
– Et quel rôle joue le traumatisme dans tout cela ?
Sa réponse est dérangeante : « Je ne crois pas que les gens naissent mauvais. Mais je crois que chacun de nous peut, dans certaines circonstances, devenir cruel. La capacité au mal est en chacun de nous. »
C’est cette conviction, forgée au contact des criminels les plus dangereux, qui guide son approche. Lorsqu’un patient lui raconte sans émotion comment il a dû décapiter sa victime pour se débarrasser du corps, Adshead écoute, note, et cherche non pas à juger, mais à repérer ce que cela dit de la psyché humaine.
Elle raconte avoir croisé brièvement Sutcliffe au début de sa carrière : « Le choc, c’est qu’il n’y avait rien à voir. Ce n’était pas un monstre, juste un être humain. »
Une critique implacable du système carcéral britannique
À 65 ans, installée dans un village du Berkshire, Gwen Adshead dresse un constat sévère : le Royaume-Uni a laissé dépérir ses services de santé mentale. Selon elle, les politiques d’austérité et la privatisation rampante ont détruit des décennies de savoir-faire dans les prisons.
« On ne peut pas mettre les gens dans une cellule avec un seau et dire qu’on les déteste. Si on veut que les prisonniers changent, il faut leur donner une raison de le faire. »
Elle plaide pour des programmes éducatifs, des thérapies de groupe, et la réhabilitation comme finalité pénale. Chaque détenu coûte en moyenne 51 000 livres sterling par an au contribuable britannique. « Si on dépense autant, autant investir dans quelque chose qui les rende moins dangereux à leur sortie. »
Elle cite souvent la Norvège comme modèle : là-bas, la perte de liberté est la punition. Tout le reste — travail, éducation, dignité — fait partie du processus de réinsertion. « Les Norvégiens pensent que rendre la prison infernale ne sert à rien. Ils veulent que les détenus deviennent de meilleurs citoyens, pas de pires ennemis. »
Prévenir plutôt que punir
Adshead plaide pour une réforme radicale :
– Mettre fin à l’incarcération des délinquants non violents, souvent sans domicile.
– Investir dans les soins du trauma, pour les victimes comme pour les auteurs.
– Former davantage de thérapeutes spécialisés pour travailler avec les jeunes hommes fascinés par la violence.
Elle observe : « Il existe des centaines de jeunes repérés par les services sociaux ou les programmes de déradicalisation, obsédés par la violence, mais qui ne passeront jamais à l’acte. Le problème, c’est qu’on ne sait pas aider ceux qui pourraient franchir la ligne. »
Pour Adshead, la clé réside dans la justice restaurative, qui confronte le criminel à la souffrance qu’il a causée. Elle cite le cas de Jacob Dunne, condamné pour homicide après une rixe. En prison, il se percevait comme victime, jusqu’à ce que les parents de l’homme tué acceptent de le rencontrer. Ce dialogue transforma sa vie. « Être enfermé n’avait rien changé, mais parler à la famille de la victime, comprendre ce qu’il avait fait, a tout bouleversé. »
Comment ne pas être hantée après des décennies à écouter les pires confessions ?
Adshead répond avec calme : « C’est mon travail. J’ai été formée pour aller là où les gens sont très perturbés. Quand j’entends des choses terribles, je me dis simplement : c’est pour cela que je suis là. »
Pas de fascination morbide, pas de compassion aveugle. Juste une conviction tenace : la violence n’est pas une fatalité, mais un miroir. Et face à ce miroir, dit-elle, « nous avons tous la capacité du mal » — ce qui, paradoxalement, rend la bonté encore plus précieuse.
Four Questions About Violence: Insights from a Forensic Psychiatrist, par Gwen Adshead.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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