Boyard, Milei, la montre occultée et le président railleur

Je lisais La Nación ce matin, attablé face au port de Léchiagat, tandis que le vent d’ouest poussait des odeurs d’iode et de gasoil dans le bar des Brisants. L’article relatait une scène à la fois burlesque et révélatrice de notre temps : un président argentin et un député français, séparés par un océan et mille réalités, s’étaient accrochés sur X pour une banale histoire de montre. L’affaire, insignifiante en apparence, a pourtant tourné à la satire mondiale.

Louis Boyard, vingt-cinq ans, député de La France insoumise, avait ôté sa montre quelques secondes avant une interview télévisée. Geste banal, de ceux que font les politiciens nerveux, mais filmé, commenté, déformé, jusqu’à devenir une affaire d’État numérique. À l’écran, on le voit se tourner légèrement, glisser le bracelet dans sa poche. Il n’en fallait pas plus pour que la toile s’enflamme : « la lutte des classes se termine à la montre », raillait un internaute ; Jean Messiha y vit aussitôt « le petit traître rouge » qui cache son luxe avant de prêcher la misère.

Je me méfie toujours des indignations collectives. En vérité, ce geste est tout à fait naturel. Boyard a l’habitude de se débarrasser de ses accessoires avant les entretiens, parce qu’il parle avec les mains, frappe les tables, agite les bras. Il aurait pu ôter ses lunettes, son anneau ou sa cravate, que cela eût passé inaperçu. Le hasard, la caméra, et le climat d’hystérie morale ont fait le reste. À ce compte-là, tout mouvement devient suspect.

L’affaire aurait dû s’arrêter là. Mais voilà que Javier Milei, du haut de la Casa Rosada, se saisit du micro-événement et le transforme en parabole. Il republie la vidéo avec une phrase tranchante : « L’hypocrisie de la gauche. Fin. » C’est sa manière : lapidaire, sentencieuse, efficace. Boyard, ulcéré, lui répond en espagnol de collégien révolté : « Vos le estás vendiendo tu país a los yankees por menos que eso. Pedazo de perrito imperialista. » Le député français s’imagine torero, mais il n’a pas le taureau devant lui, seulement un écran.

L’épisode est à l’image du personnage. Boyard, qui se fit connaître en interrompant bruyamment des débats télévisés, en se querellant avec Cyril Hanouna ou en invectivant le gouvernement au mépris du protocole, a toujours mêlé le militantisme au spectacle. Il joue la colère comme d’autres la comédie. Milei, lui, est un acteur d’un autre théâtre, celui de la tragédie économique. Son pays est à genoux, mais il parle haut. Et leurs voix, portées par la même onde numérique, se rencontrent sans jamais se comprendre.

Le plus étrange dans tout cela, c’est que ces deux hommes, que tout sépare, ne se seraient jamais croisés dans la vie réelle. Les réseaux, ces agoras sans visage, ont fait d’eux des partenaires de danse involontaires. On s’invective d’un continent à l’autre, on s’apostrophe par-dessus les océans, et chacun croit exister un peu plus parce qu’il a répondu. Les siècles de diplomatie, de hiérarchie et de silence s’effacent sous la pulsion immédiate du commentaire.

On pourrait sourire, si cette légèreté ne révélait pas une époque où la politique s’est réduite à un théâtre d’instants. L’un enlève sa montre, l’autre en fait un manifeste. L’image tourne, les foules s’en amusent, et pendant ce temps, les vraies montres du monde, celles de la dette, du chômage, du déclin, continuent de tourner, indifférentes à leurs gesticulations.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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