Les guerres civiles qu’on raconte, et celle qui approche sans oser dire son nom

Ce dimanche de pluie m’a retenu chez moi, dans cette immobilité humide qui enveloppe les villages de la côte lorsque les vents s’acharnent à brouiller l’horizon. Je n’ai pas eu le cœur de descendre au marché du Guilvinec, je n’ai pas même trouvé refuge au café des Brisants à Lechiagat, cet abri de verre où la buée des vitres ressemble souvent à une écriture de sel. J’ai préféré demeurer à mon bureau, avec les journaux du matin et quelques évocations de la mer dans les oreilles, tout en regardant les émissions de TV Libertés, comme je le fais presque quotidiennement.

Il est singulier de noter à quel point TV Libertés est devenue l’un des rares espaces où des voix libres s’affrontent sans que pèsent les chaînes invisibles du système médiatique. Ailleurs, les cadres idéologiques sont si étroits qu’ils écrasent la pensée avant qu’elle n’éclose. Ici, dans cette petite maison d’images bâtie à la force du poignet, on peut encore entendre un débat réel, une confrontation authentique, une parole dotée de cette vigueur ancienne que les salons feutrés ont chassée depuis longtemps. Je mesure chaque jour le privilège que représente cette respiration dans un paysage saturé d’opinions convenues.

J’ai donc écouté en entier le Zoom que Martial Bild consacre au livre de Jean-Christophe Buisson et Jean Sévillia : Les guerres civiles de la Renaissance à nos jours. Les deux comparses appartiennent à cette bourgeoisie parisienne qui raconte l’histoire avec élégance, avec précision, mais aussi avec la prudence de leur milieu social qui agit comme un frein sur leurs pas. Ils offraient un panorama riche, foisonnant, nourri de références et d’érudition. Pourtant quelque chose manquait, comme si l’essentiel se trouvait à portée de main sans jamais être brandi.

Et cet essentiel, je le connais, je l’ai porté sur ma peau. J’avais onze ans lorsque j’ai quitté Buenos Aires en 1969, âge idéal pour comprendre sans comprendre, pour sentir avant de penser. L’Argentine vivait alors les premières convulsions d’une guerre civile que personne n’osait nommer. Non pas une guerre de frontières, non pas un choc entre peuples distincts, mais une guerre à l’intérieur même du corps national, entre enfants d’un même pays. D’un côté, les Montoneros et l’ERP, convaincus de faire accoucher l’histoire par la violence révolutionnaire, de l’autre, la majorité de la population et des appareils de sécurité de plus en plus brutalisés et brutalisants. Les attaques à main armée de la guerrilla, les enlèvements devinrent une monnaie courante, les bombes une ponctuation dans les nuits, les rafles un bruit de fond. Les rues de Buenos Aires étaient traversées par des clartés d’angoisse, comme si une main de fer, invisible, secouait la ville tout entière, telle que l’on secoue un destin trop lourd.

C’est précisément cette expérience, inscrite en moi comme un parfum noir de jeunesse, qui me permet aujourd’hui de mesurer la différence avec le drame français. Ici, le risque n’est pas celui d’une guerre civile, au sens où deux fractions d’un même peuple se disputeraient le destin commun. Ici se prépare une guerre intérieure, plus grave encore, un affrontement entre peuples différents occupant un même territoire sans partager le même socle symbolique, la même mémoire, la même définition du monde. La France ne se fissure pas comme l’Argentine se fissura. Elle se scinde, et parfois se dédouble, en zones hétérogènes qui ne reconnaissent plus la même loi, la même autorité, la même tradition. Les guerres civiles sont terribles, je le sais pour en avoir vu naître une, mais les guerres intérieures le sont davantage encore, car elles accompagnent la fin d’un cycle historique, comme l’écrivirent Moeller van den Bruck et Spengler lorsque l’Europe entamait son lent crépuscule.

Quand j’écoute Buisson et Sévillia évoquer la Yougoslavie, les guerres de Religion ou la Vendée avec le soin d’historiens consciencieux, je mesure l’écart entre leur prudence conceptuelle et ce que j’ai appris très tôt de la violence politique. Ils expliquent, mais sans entrer dans la forge brûlante où l’histoire se fait encore. Ils décrivent l’étincelle mais jamais l’explosion. Ils installent le décor, puis s’arrêtent. Peut-être est-ce la loi du milieu dans lequel ils vivent, ce milieu où l’audace demeure suspecte, où l’analyse doit demeurer dans un cadre préapprouvé par les organes de presse pour lesquels ils écrivent.

Ce décalage explique mon sentiment mitigé. Le livre est riche, il est utile, il est soigné. Toutefois il esquive la question que les Français se posent en silence, souvent le soir, souvent seuls. Serons-nous demain confrontés à une guerre intérieure. Non pas une guerre civile, car les guerres civiles déchirent un même peuple. La blessure française est d’une autre nature. Les fractures ethno-culturelles, religieuses et territoriales ne relèvent pas de la simple opposition politique. Elles évoquent davantage ce que certains auteurs de la Révolution conservatrice allemande, comme Moeller van den Bruck ou Jünger, avaient anticipé. Non une rupture entre frères, mais une cohabitation impossible entre deux conceptions de la vie, de la loi, du sacré.

Martial Bild, avec cette intuition de soldat politique acquise dans sa jeunesse, tentait de les pousser à explorer cette voie. Il les relançait, reformulait, insistait. TV Libertés permet ce genre de moment, unique dans l’audiovisuel français. Ailleurs, l’entretien se serait refermé comme un piège. Ici, il demeurait ouvert, délié, respirant. Pourtant Buisson et Sévillia restaient à distance. Ils parlaient de signaux faibles, de fractures, de brutalisation sociale. Ils évoquaient l’ombre d’un abîme sans jamais en décrire les contours.

Je comprends leur prudence. Ils écrivent dans un monde où la vérité doit être présentée avec des gants de velours. Toutefois je demeure convaincu que les Français attendent autre chose qu’une politesse narrative. Ils attendent cette lucidité que Spengler décrivait comme une responsabilité de fin de cycle. Ils attendent ce ton grave, direct, tranchant, qui tranche comme la lame d’un couteau de pêche posé sur une table de bois.

Je refermais l’émission alors que la nuit tombait déjà sur la côte. La mer respirait dans le noir profond, comme un animal ancien qui garde ses secrets. Je pensais à ces années argentines où la violence naissait d’une ombre trop familière. Je pensais surtout à la France, à ce territoire splendide et fatigué, qui avance peut-être vers un point de rupture. Les livres de Buisson et Sévillia éclairent le passé. Il reste à écrire celui qui dira la vérité de notre avenir. Une vérité que seuls les lieux de liberté comme TV Libertés acceptent encore d’approcher sans trembler.

Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
[email protected].

Crédit photo : DR
[cc] Article relu et corrigé par ChatGPT. Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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