Irlande. Enoch Burke, le Christ et le cachot : quand l’État punit les consciences

Je marchais récemment dans les rues de Quimper et mes pas, conduits par cette géographie intérieure qui nous mène toujours là où l’on ne pensait pas aller, m’amenèrent du côté de l’ancienne prison de Mesgloaguen. L’endroit ne dit plus rien aux passants, mais pour qui prête attention aux pierres, il demeure chargé de cette lourde respiration des lieux où l’autorité jadis enfermait les hommes. Et comme il arrive souvent, une association d’idées surgit, rapide comme le vol oblique d’une sterne au dessus de l’Odet. Je me rappelai un post de Breizh-Info sur X relayant Tommy Robinson qui évoquait le nouvel emprisonnement de l’évangéliste irlandais Enoch Burke. Je pensais aussi à un papier d’Andrew Doyle, paru dans UnHerd, qui s’interrogeait sur les méthodes de combat de ce jeune homme, étrange figure qui oscille entre la grâce du martyr et la fougue de l’agitateur, selon l’œil de celui qui regarde.

L’article de Doyle, précis comme un scalpel, décrivait Burke comme un martyr imparfait de la liberté d’expression. Un enseignant chrétien, suspendu pour avoir refusé d’utiliser des pronoms imposés, renvoyé en prison pour outrage à tribunal, et pressuré d’amendes qu’il ne pourra jamais payer. Doyle soulignait, avec sa manière sobre et britannique, que l’affaire illustrait la tension des démocraties libérales modernes lorsqu’un citoyen conteste un ordre jugé injuste, notamment lorsque cet ordre impose un langage enjambant le domaine du vrai et du faux pour entrer dans celui du credo obligatoire. En cela, Burke n’est pas seulement un opposant, il devient le révélateur d’une idéologie qui exige obéissance avant même d’être comprise.

Je partageais certains accents de l’analyse de Doyle, tout en y ajoutant une nuance. Officiellement, l’emprisonnement illimité de ce jeune homme n’est pas lié à l’irruption de l’idéologie trans dans une école chrétienne, mais à son refus obstiné de respecter un ordre judiciaire lui interdisant de pénétrer sur le terrain de l’école. C’est la version administrative, propre, hygiénique, lisse comme un rapport de préfecture. Toutefois, cette justification n’existerait jamais sans l’idéologie qui l’a engendrée. L’ordre judiciaire est l’enfant légitime d’une contrainte doctrinale. Il n’a de sens que par le choc intérieur d’une école chrétienne sommée de renier ce qu’elle enseigne pour adopter une nouvelle liturgie sociale. Comment combat on alors cette intronisation d’un dogme d’Etat dans une institution chrétienne, sinon en la révélant publiquement. Dans une société où l’on n’existe que par l’écho médiatique, le geste de Burke, irritant pour les juges, possède sa cohérence.

Face à lui, la justice irlandaise se trouve comme prise dans une souricière. Elle a devant elle un jeune homme sans biens, sans fortune, sans attaches familiales lourdes, rien qui permette les pressions habituelles. On peut multiplier les amendes, mais il n’a rien à perdre. On peut l’enfermer, mais ses convictions sont taillées dans cette épaisseur de granit que l’on reconnaît chez certains croyants d’Irlande, forgés par une histoire de résistances anciennes. Rien ne semble pouvoir le faire renoncer. Il appartient à cette catégorie d’hommes dont Guillaume Faye disait qu’ils étaient imperméables à l’intimidation moderne parce qu’ils n’avaient pas intégré l’idéologie du confort obligatoire. Ce sont des âmes inactuelles, comme les appelait Jünger, qui portent en eux cette étincelle dangereuse pour les systèmes bureaucratiques, l’étincelle de la vérité dite calmement, sans haine, mais sans reniement.

La situation en devient presque comique si elle n’était tragique. Le même système judiciaire qui ne sait pas comment traiter les islamistes radicalisés se trouve désormais face à un chrétien radicalisé, mais d’un radicalisme strictement moral. Il ne commet aucune violence. Il n’incendie pas de bâtiments, ne poignarde personne, ne fomente aucun complot. Il se contente de dire ce que le système refuse d’entendre, à savoir que l’idéologie imposée ne repose sur rien d’autre que sur l’autorité nue d’une classe dirigeante persuadée de son omniscience. L’Etat se trouve alors réduit à l’enfermer, non pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il signifie. Et il prétend lui offrir une sortie simple, presque aimable, renoncez à entrer dans l’école et tout s’arrête. Ce qui revient à lui demander de renoncer à sa conscience. L’exigence est d’une brutalité feutrée, que connaissent bien ceux qui ont vécu dans les systèmes où la vérité devait plier.

Alors que va t il advenir de ce jeune homme. Va t il demeurer en prison toute sa vie, comme certains objecteurs de conscience du siècle dernier. Va t il devenir un symbole embarrassant pour la justice irlandaise à mesure que les milieux judiciaires américains, déjà en éveil sur les libertés civiles européennes, se saisiront du dossier. Va t il demeurer ce grain de sable qui enraie la mécanique idéologique d’un pays qui croyait encore être une démocratie libérale classique. Je ne sais. Je regarde les pierres de Mesgloaguen et je me dis que chaque époque produit ses prisonniers. Les régimes les plus sûrs d’eux mêmes enferment rarement ceux qui menacent la sécurité, ils enferment ceux qui mettent leur idéologie en échec. Ce jeune homme n’a pas choisi la violence, il a choisi la vérité. Et notre siècle n’aime pas ceux qui refusent de changer les mots.

En quittant Quimper, il me sembla que le vent redoublait et que l’Odet charriait sous son eau sombre les vieilles histoires de Bretagne, où l’on savait que la liberté ne tient parfois qu’à un refus. Les sociétés qui renoncent à entendre ce refus finissent toujours par emprisonner ceux qui parlent encore au nom de quelque chose de plus vaste qu’elles.

Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
[email protected].

Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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