Jean-Gilles Malliarakis s’est éteint le 7 décembre 2025, à l’âge de 81 ans. Avec lui disparaît une figure singulière de la vie intellectuelle et militante française, un homme que l’on ne comprenait pas toujours, que l’on suivait parfois de loin, mais dont le parcours ne laissait jamais indifférent. Tribun, éditeur, animateur radio, militant aux engagements multiples et souvent déroutants, Malliarakis aura traversé plus d’un demi-siècle de combats politiques avec une constance rare : celle de n’obéir qu’à sa propre logique.
Pour ses amis, il était “Yani”. Pour ses camarades, “Mallia”. Pour ses adversaires, une figure encombrante, inclassable, parfois caricaturée. Pour tous, un homme de caractère, porté par une énergie peu commune et une fidélité presque obsessionnelle aux siens.
Une disparition brutale, malgré la maladie
Affaibli depuis plusieurs mois, Jean-Gilles Malliarakis continuait pourtant à recevoir, à écrire, à débattre. Quelques jours avant son décès, il invitait encore des amis à partager un verre chez lui, entre deux séjours à l’hôpital. La maladie semblait contenue, sous contrôle. Mais finalement elle a eu raison d’un homme que beaucoup n’imaginaient pas vulnérable.
Il repose désormais à Cluny, dans la sépulture familiale, auprès de son père, le peintre Mayo, figure du surréalisme grec et ami de Jacques Prévert et d’Albert Camus. Un symbole, presque un paradoxe, tant le fils a emprunté des chemins idéologiques éloignés de ceux de son milieu d’origine.
Jean-Gilles Malliarakis avait l’âme d’un chef. Très tôt, il se distingue par son goût de l’action, du verbe, de l’organisation. Étudiant à Sciences Po après avoir renoncé aux mathématiques, il s’impose rapidement comme un meneur, un orateur redoutable, un agitateur d’idées. Ceux qui l’ont côtoyé dans les années 1960 et 1970 se souviennent d’un homme toujours en première ligne, prêt à prendre des risques, à assumer les conséquences.
Cette propension à l’action lui vaudra plusieurs passages par les geôles de la République, au fil d’une époque où la violence politique était omniprésente, à droite comme à gauche. Il ne s’en est jamais plaint. Chez lui, la défiance envers la République était ancienne, presque instinctive, et assumée.
Des chapelles multiples, une logique intime
Rarement fidèle à une structure, souvent fidèle à des hommes, Malliarakis a traversé de nombreux courants sans jamais s’y dissoudre. Action française, Jeune Nation, Occident, Ordre nouveau, GAJ, MNR, Troisième Voie… Les sigles défilent, mais l’homme reste.
Il faut comprendre son itinéraire non comme une errance, mais comme une quête. Celle d’une “troisième voie”, ni libérale au sens classique, ni marxiste, ni strictement réactionnaire. Une synthèse personnelle, parfois contradictoire, mais toujours cohérente à ses propres yeux. Ceux qui tentaient de le faire entrer dans une case se heurtaient à son indépendance farouche.
Même ses virages les plus surprenants – sa défense des petits commerçants, sa conversion au christianisme orthodoxe grec, puis son rapprochement avec le libéralisme économique dans les années 1990 – obéissaient à une logique interne, souvent déroutante pour ses proches eux-mêmes.
Un intellectuel avant tout
On aurait tort de réduire Jean-Gilles Malliarakis à l’activisme. Il était aussi, et peut-être d’abord, un intellectuel. Un homme de livres, d’histoire, de doctrines. Il aimait comprendre, transmettre, publier. La reprise de la Librairie française, rue de l’Abbé-Grégoire, fut à cet égard un acte fondateur. Lieu de diffusion d’idées dissidentes, souvent attaqué, parfois vandalisé, la librairie devint un point de passage obligé pour plusieurs générations de militants.
Avec les Éditions du Trident, qu’il fonde ensuite, il poursuivra ce travail éditorial exigeant, publiant des essais historiques, politiques, économiques, et ses propres ouvrages. De Yalta et la naissance des blocs à Ni trust ni soviets, de La Droite la plus suicidaire du monde à La Faucille et le Croissant, son œuvre témoigne d’une curiosité intellectuelle constante, nourrie par l’histoire longue et la méfiance envers les idéologies dominantes.
Sa voix, reconnaissable entre toutes, résonnera longtemps sur les ondes de Radio Courtoisie, où il fut chroniqueur puis animateur. Là encore, il refusa les compromis. En désaccord avec l’évolution de la station, il la quitta publiquement, préférant l’exil médiatique à la concession.
Il poursuivit alors son travail par d’autres canaux : émissions en ligne, interventions ponctuelles, et surtout son blog, L’Insolent, qu’il alimentera jusqu’à ses derniers jours. Le ton y était libre, souvent ironique, parfois provocateur, mais toujours informé.
Ceux qui l’ont connu retiennent avant tout sa fidélité. Fidélité aux morts, aux camarades, aux combats passés, même lorsqu’il s’en était éloigné idéologiquement. Il assistait aux obsèques par devoir, par honneur, par reconnaissance. Il ne reniait pas les amitiés anciennes, même lorsque les chemins avaient divergé.
Il y avait chez lui une nostalgie assumée. Celle d’une jeunesse militante, d’un monde révolu, d’une époque où les idées se vivaient comme des engagements totaux. Une nostalgie lucide, parfois mélancolique, mais jamais paralysante.
Jean-Gilles Malliarakis ne se résume ni aux portraits à charge, ni aux hommages aveugles. Il fut tout à la fois excessif et réfléchi, provocateur et cultivé, autoritaire et profondément loyal. Son parcours épouse les fractures, les errements et les passions de la droite radicale française sur un demi-siècle.
Il laisse derrière lui des livres, des idées, des souvenirs, et une trace durable dans l’histoire des courants dissidents. Qu’on l’ait suivi ou combattu, il fut de ceux qui ne trichent pas avec ce qu’ils sont.
Et pour ceux qui l’ont connu, il restera surtout un ami, dont l’absence ravive une forme de nostalgie. Celle d’un temps où l’on croyait encore que les idées valaient qu’on y consacre une vie entière.
Armand LG
Illustration : DR
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