Quand l’Europe sanctionne les idées et s’indigne d’être sanctionnée

Je suis dans ma cuisine, un matin de vent et de pluie fine, ce temps breton qui invite à la lenteur et aux plats qui prennent leur temps. Sur la table, un flanchet de bœuf soigneusement paré attend son destin. En Argentine, on l’appelle matambre, ce nom rude et tendre à la fois, tuer la faim, qui dit bien ce qu’il est, un plat de patience, roulé sur lui-même, farci de légumes simples, carottes, poivrons, œufs durs, herbes fraîches, puis serré comme un manuscrit ancien avant d’être confié au frémissement d’un court-bouillon. La cuisine, comme la politique, apprend la durée. Rien de bon ne sort de la précipitation.

Pendant que je dispose la farce et que je roule la viande avec le soin d’un relieur, l’ordinateur est ouvert sur le plan de travail. Je lis un article du Washington Post. Il y est question de la réaction indignée de l’Union européenne et du Royaume-Uni après l’annonce de sanctions américaines visant cinq individus, résidents en Europe, accusés d’avoir joué un rôle actif dans des politiques de censure touchant des citoyens américains, notamment des propriétaires ou des acteurs majeurs des réseaux sociaux. Les communiqués officiels parlent d’atteinte à la souveraineté, d’ingérence inadmissible, de précédent dangereux. Le ton est outré, presque offensé.

Je souris en nouant la ficelle autour du rôti. L’indignation européenne a parfois la mémoire courte. Ceux qui se posent aujourd’hui en victimes sont les mêmes qui, depuis des années, pratiquent une censure idéologique systématique, non seulement contre leurs propres ressortissants, mais aussi contre des étrangers jugés infréquentables. Il suffit d’observer les réseaux sociaux, les interdictions de conférences, les refus de visas, pour constater une constante, la plupart des personnes sanctionnées se situent à droite, hors du cercle des opinions autorisées.

L’exemple de Jared Taylor, fondateur d’American Renaissance, me revient à l’esprit tandis que l’eau commence à frémir dans la marmite. Il fut interdit d’entrée dans l’espace Schengen pour des raisons exclusivement idéologiques, empêché de participer à une conférence, non parce qu’il aurait commis un délit sur le sol européen, mais parce que ses idées étaient jugées inacceptables. Le même mécanisme a frappé Renaud Camus, interdit d’entrée au Royaume-Uni, non pour un trouble à l’ordre public matériel, mais pour ce que les autorités appellent pudiquement le bien public, cette notion élastique qui permet de sanctionner sans avoir à démontrer.

Ces décisions, prises au nom de la lutte contre la haine, ne relèvent pas du maintien de l’ordre, mais de la protection d’un ordre symbolique. Elles ne visent pas des actes, elles visent des paroles, des livres, des conférences, parfois même des intentions supposées. Elles disent clairement que certaines idées ne doivent pas circuler, même paisiblement, même dans le cadre d’un débat. Et ce sont précisément ces mêmes autorités qui crient aujourd’hui à l’injustice lorsque les États-Unis décident, à leur tour, de sanctionner des acteurs européens impliqués dans la censure de citoyens américains.

Je baisse le feu sous la marmite. Le matambre doit cuire lentement, sans bouillir, sous peine de se durcir. L’image me paraît presque trop évidente. L’Union européenne et le Royaume-Uni découvrent soudain ce qu’ils infligent depuis des années, des mesures politiques déguisées en décisions administratives, des exclusions fondées sur l’idéologie, non sur le droit commun. Leur indignation est d’autant plus malvenue qu’ils ont souvent justifié leurs propres interdictions par des arguments identiques à ceux qu’ils dénoncent aujourd’hui.

Je l’écris sans détour, je ne regrette qu’une chose, c’est que les États-Unis n’aient sanctionné que cinq personnes. L’arsenal de la censure européenne est autrement plus vaste, et ses responsables autrement plus nombreux. Je le dis avec d’autant plus de détachement que moi-même, sans tambour ni trompette, j’ai été interdit d’accès aux États-Unis par l’administration de Joe Biden. J’ai appris cette décision comme on apprend une contrariété bureaucratique de plus, sans colère, mais sans illusion. La liberté d’expression n’est jamais acquise, même chez ceux qui prétendent l’incarner.

Lorsque je ferme la marmite et que je laisse le plat poursuivre sa lente transformation, je pense à ce paradoxe de notre temps. L’Europe, qui se veut le continent des droits et des libertés, pratique une police des idées de plus en plus tatillonne. Les États-Unis, qui sanctionnent aujourd’hui, ont eux-mêmes leurs angles morts et leurs exclusions. Partout, le réel gêne. Partout, on préfère faire taire ceux qui le nomment plutôt que de s’y confronter.

Le matambre sera prêt dans quelques heures. Il se mangera froid, en tranches nettes, révélant la patience du geste initial. La politique, elle, continue de se nourrir de précipitation et d’hypocrisie. Entre deux tours de ficelle et un regard sur l’écran, je me dis que cuisiner reste l’un des rares actes où l’on peut encore respecter le temps long, sans décret, sans censure, sans indignation feinte.

Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
[email protected]

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Article relu et corrigé par ChatGPT. Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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