Il pleuvait sur la Slovénie comme il pleut parfois sur les désillusions. Des gouttes amères tombant du ciel pour souligner la gravité d’un Giro qui refuse la monotonie et préfère saborder les certitudes. Ce samedi 24 mai, la 14e étape – annoncée comme une ritournelle pour sprinteurs – s’est muée en tragédie grecque sur roues fines, où le destin, chaussé de pneus lisses, a distribué les chutes comme des sentences.
Asgreen, le prince danois du chaos
195 kilomètres entre Trévise et Nova Gorica. Un profil quasiment tout plat, presque soporifique. Le genre d’étape où l’on aurait pu s’endormir en pédalant si les jambes ne criaient pas à la fatigue. Quatre hommes à l’avant, dont un certain Kasper Asgreen, exécuteur discret, visage impassible sous les rafales. Dans leur sillage, les gros bras contrôlaient l’allure, avec cette arrogance douce qu’ont les sprinteurs avant d’être humiliés.
Puis, soudain, à vingt kilomètres du salut, le Giro s’est souvenu qu’il était italien dans son goût pour le drame : les pavés de Nova Gorica ont fait choir les équilibristes. Chute collective, panique, coude-à-coude dans le chaos. Pedersen a perdu ses ambitions pour l’étape, Ciccone a laissé un genou et ses espoirs sur l’autel glissant du Giro. Ayuso, Roglic, Tiberi ? À la dérive, ballotés par le sort comme autant d’Ulysse sans Pénélope.
Et pendant ce temps, Asgreen, lui, filait droit, seul. Une attaque sans manières, presque polie. Il a salué ses anciens compagnons d’échappée, les a plantés sans un regard, puis s’est arraché comme on quitte une mauvaise soirée allant s’imposant comme il sait le faire depuis toujours, lui l’ancien pensionnaire du Wolf Pack. Loin derrière, Kaden Groves réglait le sprint des déçus. Isaac Del Toro, le maillot rose impassible, avait flairé le piège et franchissait la ligne avec la suffisance tranquille des très grands.
Verona, le survivant d’Asiago
Le lendemain, on repartait pour Asiago, et les visages, eux, avaient changé. Celui de la Lidl-Trek portait les stigmates de la douleur : Giulio Ciccone, étoile nationale, avait rangé ses rêves dans une valise à roulettes. Mais voilà que le soleil d’Italie, parfois, fait germer des héros. Carlos Verona, oublié du grand livre du cyclisme, s’est souvenu qu’il avait des jambes et une histoire à écrire. Offensif durant 200 bornes, puis parti seul à 42 kilomètres de l’arrivée, il a pris les devants comme on s’évade d’un quotidien trop bruyant.
L’étape fut tout sauf calme. Les Ineos, pyromanes élégants influencés par « l’intelligence de course » des Movistar, ont encore tenté d’embraser la montagne. Bernal et Arensman jouaient les éclaireurs, avec l’énergie désespérée de ceux qui veulent croire que le Giro peut encore se gagner dans les cols. Del Toro les suivait, sans la moindre trace de fatigue (un peu comme son mentor Poggy) comme on suit son destin. Dans leur ombre, Carapaz tentait, espérait, grinçait des dents.
Mais le fait du jour, c’est encore Roglic. L’ex-roi, fatigué, chancelant, en larmes à l’arrivée, perdu dans le brouillard d’une course qui ne veut plus de lui. Lâché dans Dori, incapable de répondre à l’appel des cimes, il concède encore 1’30’’ sur les favoris. À ce rythme, il arrivera à Rome avec trois jours de retard et une solitude plus grande que les Alpes.
Del Toro, le rose imperturbable
Et le Mexicain dans tout ça ? Toujours là, toujours debout, mais dans un état plus fringuant que Renaud. Un brushing de maillot rose impeccable. Son coup de pédale semble détaché de la douleur. À Dori, il revient sur Gee comme on glisse sur un parquet ciré. Même Carapaz grimace. Les chiffres sont cruels : Roglic à 3’53’’, Ayuso à 2’27’’, Carapaz au-delà. Il reste six jours de course, mais le Giro semble déjà s’être choisi un prince…même si 4 des 6 étapes peuvent encore tout faire basculer eu égard de la difficulté proposée. Une chose est certaine : on ne s’ennuie jamais sur le Giro, contrairement parfois aux deux autres grands Tours ces dernières années.
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