Irlande du Nord. Derry (Londonderry) de nouveau en proie aux troubles : « Une jeunesse qui croit avoir raté les Troubles »

Alors que des violences urbaines ont secoué à nouveau la ville de Derry, des voix loyalistes s’élèvent pour alerter : au-delà du folklore des Troubles, c’est une jeunesse déboussolée et déconnectée qui semble aujourd’hui rallumer les braises d’un conflit qu’elle ne comprend plus vraiment.

Ces derniers jours, la ville de Derry (Londonderry pour les unionistes) a été marquée par une nouvelle série de désordres violents, notamment dans la zone sensible de Nailors Row, au croisement des quartiers nationalistes et unionistes. L’incendie de mobilier urbain, les jets de projectiles, les dégradations de fresques loyalistes… Autant de signes d’un retour d’une tension que l’on croyait, sinon apaisée, du moins endormie. Mais pour Derek Moore, coordinateur de la North West Cultural Partnership (NWCP), ces événements ne relèvent plus du sectarisme classique. « Beaucoup de jeunes pensent avoir raté les Troubles », déclare-t-il, pointant du doigt une forme de nostalgie mal digérée, où la violence devient un jeu social, amplifié par les réseaux sociaux.

L’héritage des Troubles : mythe touristique, réalité absente

Dans les rues de Derry, la fresque loyaliste de la Fountain Estate – seul quartier protestant encore présent dans le centre de la ville – a été la cible de plusieurs attaques. Des jeunes, masqués, y ont lancé des bombes de peinture. Pour Moore, ce ne sont pas tant des actes militants que des « défis » entre adolescents. Les réseaux sociaux jouent un rôle de catalyseur, dans une logique de provocation et de surenchère.

« Ce n’est pas le sectarisme que j’ai connu, celui des années de plomb. Ce que je vois aujourd’hui, c’est du social, du vide, du désœuvrement », explique-t-il.

Lui-même engagé dans le programme Peace Impact du International Fund for Ireland, Derek Moore déplore un discours politique et touristique ambiant qui glorifie à sa manière les années noires, sans donner de perspectives à une jeunesse désorientée. « Le conflit est devenu un argument touristique, pas une leçon pour les nouvelles générations », affirme-t-il.

Une fracture communautaire instrumentalisée ?

Des drapeaux arrachés dans la Fountain, en réponse à des vols de drapeaux républicains dans le Bogside… Les provocations s’enchaînent sans qu’aucun acte vraiment structuré ne vienne confirmer une stratégie de confrontation. La majorité des résidents, souligne Moore, ne veut pas de retour à la violence. Mais faute d’encadrement, certains jeunes se laissent entraîner.

Il appelle à un renforcement de la police de proximité, soulignant que la Police Service of Northern Ireland (PSNI) est sous-dotée de plus de 1 000 agents. À Coleraine comme à Derry, la police semble aujourd’hui débordée et n’intervient qu’en cas de menace grave à la vie.

« On finance les associations communautaires, mais pas la police de quartier. Trente ans après l’Accord du Vendredi Saint, on devrait pouvoir coopérer avec les forces de l’ordre », martèle-t-il.

Au-delà des tensions communautaires, c’est aussi un sentiment d’abandon qui prédomine à Derry. Selon Moore, les deux communautés s’accordent sur un point : elles sont « mal servies » par le pouvoir central. Les figures politiques locales n’ont pas réussi à attirer les fonds publics que monopolise Belfast. Résultat : pauvreté, désœuvrement, tentation de la violence.

Dans ce contexte, Derek Moore évoque avec lucidité les conséquences des récentes émeutes : plusieurs jeunes, issus à la fois de milieux nationalistes et unionistes, ont été placés en détention. Un passage à l’acte qui, espère-t-il, servira de « leçon » pour éviter l’escalade.

Plus inquiétant encore : la déconnexion politique. Les jeunes, selon Moore, ne se reconnaissent plus dans les partis traditionnels. C’est ce vide que tentent parfois d’investir des groupes comme l’IRSP (Irish Republican Socialist Party), qui, malgré leurs racines radicales, sont les seuls à dialoguer avec les structures comme la NWCP.

Pendant ce temps, les résidents loyalistes de la Fountain, retranchés derrière les murs de la « Peace Line », vivent « dans la peur », selon les mots de la maire adjointe unioniste Niree McMorris (DUP). Elle appelle au calme, mais souligne que « la violence ne sera pas tolérée ».

 Les Troubles sont-ils vraiment derrière l’Irlande du Nord ? Ou se perpétuent-ils sous une forme diffuse, culturelle, sociale, amplifiée par les écrans et l’oubli ? Derry en donne une illustration troublante. Là où hier les balles sifflaient, ce sont aujourd’hui les flammes d’un feu sans cause qui lèchent les murs. Et derrière les murs, une jeunesse en quête d’identité, de défi… ou d’un conflit à s’inventer.

Crédit photo : Wikimedia (cc)
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