Qui est « la grande Zohra » ? C’était le surnom donné au général de Gaulle, dans les années 1960, par les membres de l’OAS qui voulaient l’assassiner pour se venger de la perte de l’Algérie Française. Yann fait revivre cette époque avec, comme d’habitude, son esprit subversif…
1978, à Paris. Lors d’une conférence de Djamila Pelazza, une ancienne porteuse de bombes du FLN, Martine Goupil, révoltée, se lève. Elle ne supporte pas cette conférencière qui prône son courage alors qu’elle déposait lâchement des explosifs dans des lieux publics pour tuer des civils. Puis, à son tour, Nina Chicheportiche intervient pour accuser la conférencière d’avoir tué sa petite sœur et mutilé son petit frère lors de l’attentat du Milk Bar, elle-même ayant survécu. L’algérienne rétorque alors qu’elle n’a fait que son devoir de patriote en prenant les armes contre la France. Une amitié naît alors entre Nina et Martine.
Quelques années plus tard, Martine apprend qu’elle va devenir aveugle après de multiples opérations. Elle recherche le responsable de la destruction de sa vie. Elle aussi a en effet survécu à un attentat. Mais celui-ci avait été perpétré par l’OAS qui visait Malraux. Alors âgée de quatre ans, sa photo parue dans la presse avait fait basculer l’opinion française encore attachée à une Algérie.
Après Le Merlu, Jérôme Phalippou fait de nouveau équipe avec Yann pour une bande dessinée sur les attentats de l’OAS.
Yann est considéré comme un scénariste provocateur. Mais en réalité, il ne fait que traiter des sujets qui dérangent. Ce scénariste drôle, cynique, voire féroce, mais féru d’Histoire, écrit des récits toujours originaux. Ses dialogues sont recherchés et même savoureux, ce qui n’est pas très fréquent dans le monde de la bande dessinée. Connu pour des séries humoristiques (Les Innommables, La Patrouille des libellules), des séries historiques (Nuit blanche, Double 7, Mezek), des séries d’aviation (Pin-Up, Le Grand Duc, Le pilote à l’Edelweiss, Angel Wings, Dent d’ours), des reprises prestigieuses (Thorgal, XIII), il crée maintenant un récit sur l’OAS. Pourquoi donc ?
Il faut rappeler que Yann Le Pennetier, dit Yann, est né en 1954 à Marseille. Son père était le capitaine d’un cargo, qui entre 1954 et 1962 avait multiplié les rotations avec l’Algérie. Yann n’a pas oublié que son père était un fervent partisan de l’Algérie française. Il se souvient que lorsque son père utilisait un klaxon, il donnait cinq coups, trois courts et deux longs, pour signifier « Al-gé-rie Fran-çaise » ! Déjà, en 1990, Yann avait publié l’album OAS, aux éditions Glénat, dessiné par Louis Joos. Mais cette série prometteuse n’avait pas trouvé son public.
Contrairement à la série Tuez de Gaulle, présentée sur breizh-info (https://www.breizh-info.com/2023/07/02/221817/tuez-de-gaulle-la-bande-dessinee-qui-decrit-les-attentats-organises-par-bastien-thiry/), il ne s’agit pas d’une reconstitution de tous les attentats contre « le grand Charles ». Mais l’héroïne, Martine Goupil, évoque Delphine Renard, celle qui avait survécu à un attentat de l’OAS. Pareillement Nina Chicheportiche, victime d’un attentat du FLN, est inspirée de Danielle Chich. Pour camper le rôle du chef borgne de l’OAS, Yann s’inspire d’André Canal, dit « le Monocle noir ». Les séquelles physiques dont souffre Martine constituent une condamnation sans appel des actes terroristes.
Le scénariste Yann bâtit un récit bien rythmé, fonctionnant par allers-retours entre le présent (années 80) et le passé (années 60). Vingt-quatre scénettes de une à six pages passent ainsi d’une époque à l’autre. Le ton est léger, Yann s’amusant à joncher son scénario de clins d’œil à des personnalités authentiques (on croise Pierre Lazareff, Brigitte Bardot…). Yann tente de traiter objectivement les attentats des deux camps en présence : l’OAS et le FLN. Il s’exprime ainsi : « Je cherchais à être objectif, à ne pas prendre parti tout en montrant les attentats qui défigurent des enfants à Alger ou à Paris. Aujourd’hui on est taxé de facho si on en parle. Il faut se taire, ce n’est pas woke. Je ne supporte pas » (Site internet ligneclaire.info, 26 mai 2024).
Né en 1971, à Montbéliard, dans le Doubs, Jérôme Phalippou, bien que passionné par le dessin, devient douanier en Haute-Savoie, à la frontière franco-suisse. Il mène en parallèle une activité d’illustrateur. A l’âge de 43 ans, il se met en disponibilité de la fonction publique pour se consacrer entièrement à la bande dessinée. Par un dessin semi-réaliste expressif, il exagère les expressions des visages, dont la taille des yeux. Cela donne une dimension moins tragique au récit.
Le dessinateur reconstitue même la mort de Jean Bastien-Thiry, fusillé par un peloton d’exécution au fort d’Ivry, le 11 mars 1963.
En fin d’album, un dossier de six pages présente un entretien avec le scénariste sur la genèse du projet, des crayonnés du dessinateur, et des photographies sur ces attentats.
Kristol Séhec
Tuez la grande Zohra !, t. 1, 56 p. t. 2, 54 p., 15,50 euros chacun. Editions Paquet.
Illustrations : DR
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3 réponses à “Tuez la grande Zohra !, nouvelle bande dessinée sur l’OAS”
A mon sens, remuer l’ « Histoire » sous forme de bandes dessinées, d’autant plus lorsqu’elle est tragique et la plupart du temps ayant laissé derrière soi des traces indélébiles, n’est pas conseillé. Pour la bonne raison qu’on est jamais intègre.
Et l’exercise peut en blesser plus d’un…
Pourquoi se taire? blesser qui?
Pourquoi refuser d’affronter le réel?
La bande dessinée est un moyen d’expression comme un autre, parfois plus plaisant.
J’ai vécu cette période, je traversais Alger chaque jour pendant les attentats,
j’ai vu les résultats.. heureusement qu’il y avait la torture pour arrêter les
fanatiques poseurs de bombes. La guerre c’est la guerre…
Au contraire j’ai acheté l y a peu au dessinateur Godus et à d’autres source toute une série sur l’engagement de français au côté de l’Allemagne dans la lutte contre le bolchevisme. La BD permet le visuel du cinéma et l’imagination du roman. Elle est un bon complément des livres. J’avais déjà acheté des BD d’un autre auteur sur ce sujet. Je les passe à de jeunes adultes et ils sont toujours étonnés de découvrir ces pages d’histoire que l’on ne leur a pas apprises en classe, ni ailleurs.