Bluesky : quand la gauche s’organise en goulag numérique

Il fallait s’y attendre. Toute entreprise prétendument progressiste finit, tôt ou tard, par ressembler à la caricature que ses adversaires dressent d’elle. Bluesky, ce réseau social présenté comme la terre promise des âmes sensibles fuyant l’influence d’Elon Musk sur X, n’échappe pas à la règle. Promu à grand renfort de hashtags par une poignée de députés écologistes, journalistes militants et figures de la gauche morale, il est devenu en quelques mois un sanatorium pour opinions stériles, un asile numérique où le contradictoire n’est plus une vertu mais un virus à éradiquer.

Sandrine Rousseau, Raphaël Glucksmann, Marine Tondelier : ces noms, naguère portés aux frontons de la résistance contre la droitisation du débat public, se sont empressés d’annoncer leur départ de X comme on quitte un bal masqué devenu trop grivois. Ils ont salué leur propre héroïsme comme d’autres jadis saluaient la clarté de leur conscience. En vérité, leur exode vers Bluesky n’était pas la fuite de l’intelligence, mais la retraite de l’esprit critique.

Car que trouve-t-on sur Bluesky ? Une promesse de confort idéologique. Une interface lissée pour âmes vulnérables. Un refus méthodique du conflit, sous couvert de bienveillance. La plateforme revendique la modération. Il faut lire : exclusion systématique de toute voix non conforme. On y partage des listes de blocage comme, autrefois, on dressait des listes noires. La dissidence, qu’elle soit de droite ou simplement divergente, y est perçue comme une intrusion. « Agree with me or you’re a Nazi fascist », résumait cruellement Mark Cuban, entrepreneur revenu écœuré d’un court séjour sur le réseau.

Ce n’est pas un espace de débat, c’est une salle commune dans un hôpital psychiatrique, où chacun parle à son reflet dans un miroir aseptisé. Le Telegraph ne s’y est pas trompé en qualifiant Bluesky de « digital insane asylum ». Même les figures anglo-saxonnes les plus emblématiques de l’exode, Stephen King, Mark Hamill, John Cusack, ont fini par regagner discrètement X, comme des moines sortant d’un cloître devenu invivable.

Le plus risible, et donc le plus révélateur, est que beaucoup de ces exilés moraux sont revenus sur X à pas feutrés, sans tambour ni tweet. Le Journal du Dimanche rapporte ainsi que Sandrine Rousseau, qui avait juré en janvier « Je ferme ce compte », dénonçant un « forum d’extrême droite » et appelant ses abonnés à la suivre vers « une alternative » comme Bluesky, publie de nouveau sur X sans que cela n’émeuve ses coreligionnaires. Raphaël Glucksmann, qui espérait organiser une sortie collective de la plateforme, déclarait encore, après l’investiture de Donald Trump, vouloir « planifier [sa] sortie définitive » ; il s’y exprime pourtant encore aujourd’hui avec assiduité. Le courage politique, chez nos modernes Robespierre, n’excède jamais la durée d’un cycle médiatique.

On nous avait promis un réseau salubre, ouvert, égalitaire. Nous avons un microcosme filtré, autoritaire, paranoïaque. À gauche, toute contestation interne est vécue comme une trahison. Bluesky n’échappe pas à cette logique soviétoïde : il ne s’agit pas de débattre, mais de purifier. La décentralisation promise n’est qu’un mot creux ; la diversité intellectuelle, une menace ; et le confort algorithmique, une camisole.

On connaît le refrain : c’est la faute à Musk. Ce dernier a sans doute ses travers. Il a transformé X en un champ de foire où l’on croise le meilleur comme le pire. Mais précisément : on y débat encore. On y risque l’outrage, mais on y tente la pensée. Sur Bluesky, on ne risque rien, sinon l’ennui. L’idéal y est celui d’un monde sans aspérités, sans heurts, sans ennemis – autrement dit, sans politique.

Ernst Jünger aurait pu écrire que « l’homme moderne n’a plus d’ennemi ; il a des nuisances ». Bluesky n’a pas d’adversaires idéologiques. Il a des perturbateurs à neutraliser. La plateforme est à la gauche ce que les sanatoriums furent à la bourgeoisie décadente : un lieu où l’on s’épuise à vouloir être pur.

Le goulag commence toujours ainsi, dans un grand élan de pureté. Les plus fragiles y accourent, pensant se protéger du monde, et finissent par s’en exclure eux-mêmes. Une société sans contradiction, sans violence dialectique, sans affrontement réel est une société sans vie. Bluesky est la chambre sourde de la gauche contemporaine. Et comme toutes les chambres sourdes, elle résonne d’un vide parfait.

Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées

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2 réponses à “Bluesky : quand la gauche s’organise en goulag numérique”

  1. Domper dit :

    Peu importe le réseau, les politiques sans internet n’existent plus ! Militaire tué à coups de couteau ? Non le ministre n’y va pas il envoie un tweet mensongé parlant de rixe alors que c’est un meurtre avec préméditation…Mme R.Hassan n’existerait pas sans ses tweets quotidiens et d’autres encore…les grands orateurs ont laissé la place aux virtuoses du clavier ! Cette gauche anti France devient insupportable par sa bêtise et sa méchanceté .

  2. kaélig dit :

    Ya pas à dire, il est bon ce Balbino !
    J’aime ses expressions savoureuses genre:
    « …leur départ de X comme on quitte un bal masqué devenu trop grivois. »
    C’est du Rabelais qui enchante sa vaste culture.

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