Je venais de quitter le bar de l’Océan au Guilvinec, abandonnant derrière moi le brouhaha des voix et ce mélange tenace de café corsé et de vin blanc qui imprègne l’air des ports. En longeant le quai, je gagnai le pont qui conduit à Lechiagat. Tandis que je le franchissais, je me surpris à évoquer les récits de ma mère : avant-guerre, me disait-elle, cet ouvrage n’existait pas. À marée basse, on passait d’une rive à l’autre en sautant de pierre en pierre, au risque de choir sur les goémons luisants. À marée haute, il fallait recourir aux passeurs, silhouettes robustes maniant à la godille leurs canots trapus pour conduire hommes et femmes d’un bord à l’autre.
Ayant encore en tête ma conversation du matin sur le coup d’État des juges, je me repliai chez moi et sortis de la bibliothèque une pile de volumes, brochures et dossiers, tout en ouvrant sur l’écran quelques articles. Tous arboraient la signature de Jean-Yves Le Gallou ou l’estampille de Polémia. Ce que j’avais entrevu au Guilvinec ne suffisait plus : il me fallait dérouler, étape après étape, le fil de cette métamorphose institutionnelle qui fit glisser la France d’un État républicain à ce que Le Gallou nomme, avec cette netteté qui hérisse le conformisme, une « dictature médiatico-judiciaire ».
Le parcours intellectuel de Le Gallou étonne par sa continuité. Depuis des lustres, il amasse, tel un greffier opiniâtre, les pièces d’un dossier que nul grand média ne songe à ouvrir : décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, fondements invoqués, filiations juridiques. Ce n’est pas la logorrhée d’un polémiste mais le patient tissage d’un archiviste du politique, qui relie entre elles des décisions paraissant, isolément, modestes, mais qui, mises en perspective, révèlent une lente conquête de pouvoir par la magistrature.
Ainsi se dessine la faille : d’un côté, la Constitution de 1958 telle que voulue par le général de Gaulle, cantonnant le Conseil constitutionnel à un contrôle technique et borné ; de l’autre, la rupture de juillet 1971 introduisant le « bloc de constitutionnalité » et livrant aux juges un arsenal de principes évanescents, tirés du préambule de 1946, de la Déclaration de 1789 ou de traités internationaux, dont l’interprétation fluctue au gré des humeurs idéologiques.
Polémia, sous la plume d’Éric Delcroix ou de Michel Geoffroy, a prolongé et rendu intelligible ce travail. La plateforme accomplit un double office : traduire pour le profane un langage juridique volontiers ésotérique et mettre en lumière les conséquences politiques de ces évolutions, qu’il s’agisse de l’enterrement programmé d’un référendum sur l’immigration ou de la stérilisation de lois dûment votées.
À cette entreprise s’ajoute désormais l’Observatoire de la Justice, institution récente née pour scruter le fonctionnement du système judiciaire français. Son ambition est de recomposer l’ensemble là où le discours officiel fragmente. En inventoriant les décisions, en en exposant les raisons et les effets, l’Observatoire s’inscrit dans la lignée de Polémia : redonner au citoyen la compréhension de la mécanique judiciaire et de la manière dont elle façonne, ou entrave, l’action politique. Sa création traduit un infléchissement de l’air du temps : la critique argumentée de la justice, longtemps confinée à des cénacles discrets, gagne désormais les abords de l’espace public.
Le Gallou insiste aussi sur le rôle du Conseil d’État. Loin de se borner à dire le droit administratif, il s’est arrogé le pouvoir de remodeler des politiques entières au nom de conventions ou de « principes » qu’il définit seul. La convergence de ce Conseil avec le Conseil constitutionnel a permis de cadenasser le législatif au bénéfice d’une caste juridictionnelle.
Ce qui distingue Le Gallou, c’est qu’il ne se satisfait pas de dénoncer : il propose un réarmement institutionnel. Rétablir le contrôle du Conseil constitutionnel dans les strictes limites du texte de 1958, extirper du « bloc » les textes adventices, réformer la nomination des juges et instituer un référendum d’initiative populaire hors d’atteinte des filtres. Ces pistes ne sont pas des cris d’estrade, mais le fruit d’une observation patiente et d’une mémoire longue.
À cette lumière, l’expression « coup d’État judiciaire » perd toute figure métaphorique. C’est un patient travail de sape : choix politiques travestis en arrêts, nominations de connivence, extension méthodique du périmètre judiciaire. On peut lire la Ve République récente comme la chronique d’un glissement imperceptible mais constant du pouvoir, de l’enceinte parlementaire vers la salle d’audience.
En refermant les ouvrages, je songeai à la rareté d’une telle persévérance dans un monde gouverné par l’instantané. Démonter, pièce à pièce, la machine qui confisque la souveraineté, c’est l’œuvre d’une vie – et il est significatif que cette œuvre se poursuive dans un quasi-silence médiatique.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
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10 réponses à “Conseil Constitutionnel. Genèse d’un long coup d’État judiciaire”
Tout part en effet de 1971, un véritable coup d’Etat judiciaire ! En s’arrogeant le droit de juger la constitutionnalité des lois non selon la lettre de la Constitution mais selon les principes rappelés dans son préambule — ou plus exactement selon leur interprétation de ces principes — les membres du Conseil constitutionnel se sont arrogé un pouvoir absolu. Cet état d’esprit de toute puissance du juge a ruisselé jusqu’au magistrat de base : puisque l’existence des lois dépend de quelques juges suprêmes, leur interprétation dépend des petits juges.
Il était difficile de prévoir cette dérive en 1971. Ensuite, c’est le principe de la grenouille dans la casserole : à partir de quel moment devrait-elle sauter de l’eau pour ne pas se laisser cuire ? Les politiques n’ont pas vu venir le problème, et à présent ils sont incapables d’y remédier. Il faudra un référendum pour rendre au peuple le pouvoir confisqué par les juges.
Bonjour et merci pour cet article, comme pour les autres, de Balbino KATZ, toujours très agréables à lire ; il a en effet une « plume » très fluide et colorée, imagée et très agréable à lire. Ses articles sont toujours un plaisir de lecture, contenant à chaque fois des réflexions profondes. Très bon chroniqueur.
Pour cet article, il a raison : on aurait pu appuyer sur l’inertie de G POMPIDOU qui n’a pas vu en 1971 la dérive énorme (c’était un « coup de force » qui permettait d’inclure tout et n’importe quoi dans les jugements) : rivalité entre le Pdt de l’époque du CC qui avait été vexé et le PDR qui était finalement bonasse et mou (il « composait » trop…).
Le CC aurait dû être tt de suite remis en ligne. Autre élément : lors de la Constitution de 58, le Gnal de Gaulle avait demandé à ce qu’il n’y ait pas les préambules etc etc : ils ont été réintégrés au dernier moment par M DEBRÉ qui avait cédé aux anciens Pdt du Conseil et autres membres. Funeste décision. Désormais, le CC peut s’appuyer sur tout et n’importe quoi (la « Fraternité » avec ts les peuples du monde et l’accueil obligatoire, etc etc). Très bien vu. Merci Balbino K.
Demat Balbino Ce Monsieur Jean-Yves LE GALLOU a des origines bretonnes et quand il vient en Bretagne voir sa famille et amis, il lit volontiers Ouest France papier comme moi chez ma mère mais pour seulement lire les informations locales ; je le sais car j’écoute son émission sur TVL et diffusée aussi sur ce site nommée « I médias » ; l’expression « médias de grand chemin » est d’ailleurs de lui ; bref , c’est un monsieur que j’aimerais bien rencontrer pour discuter de tout ce que vous exposez pertinemment dans cet article. Kenavo an holl
Silence médiatique car » pas politiquement correct »…
Au Guil, l’extrême-gauche, ça se passe au 8 Quai d’Estienne d’Orves.
Et si tu veux connaître leur idéologie et savoir pour qui ils roulent, ce n’est pas bien compliqué: il suffit d’écouter ce qu’ils chantent
https://youtu.be/1m7XkXTpa0o?si=KfHj4sovxVvTNf99
on pourrait bien un jour prendre un canon ensemble,aux Brisants hors saison, à la terrasse ou au fond de la salle, ou ailleurs.
Y’a pas grand chose d’intéressant comme livre dans les librairies par ici, alors si tu as quelques bouquins dont tu voudrais te défaire, ce serait avec plaisir, (avec la dédicace en plus, bien sûr).
Kenavo , ar wech all
J’ai été abonné quelques temps, par curiosité, aux publications de Le Galou.
Ce n’est pas ma tasse de thé.
Une vision bien trop centraliste, comme tous les partis politiques français.
Je vois les choses différemment. Pour le Bretagne d’abord, bien sûr. Une République fédérale, à la Suisse, avec des autonomies culturelles, linguistiques, et même économiques ( la Guyane est à la porte du Brésil, les Antilles du Venezuela et de la Floride,St Pierre et Miquelon du Labrador, La Réunion de l’Afrique du Sud et de l’Inde, La Polynésie française de la Nouvelle Zélande, etc.. Or tout ces territoires fonctionnent avec le boulet de la République française, et dans une économie mondialisée, il serait grand temps de leur lâcher la grappe.
Et je ne vois rien de tout cela ni dans les idées de Le Galou ni, évidemment, dans celles de Zemmour.
Avec eux, ce n’est que le changement dans la continuité, on prend les mêmes et on recommence, c’est reparti, comme en 40, avec un petit coup de Marseillaise et de ruban bleu blanc rouge… Tout ça ça reste du niveau des supporters du PSG ou de ceux de l’O.M, pas grand chose de plus.
Pourquoi pas ? Je vais demander ton mail à BI
@ Alan : J’ai eu la surprise de débusquer une métastase sioniste parmi mes « amis fb » qui était inscrite à l’UDB formation que j’ai quittée il y a plus de 35 ans désormais. Une autre, participant à l’association du vieux gréement « le renard » à Saint Malo, m’avait menacé il y a bientôt huit ans avec tout un cortège d’intervenantes malveillantes liées à l’EN pour des propos jugés trop réalistes concernant la submersions migratoire. Comme pour le projet de Callac ces taupes fédèrent les mouvements d’ultra gauche tels que les antifas, les black blocks, no bordes, etc.. et ont un lien avec les richissimes milieux sionistes.
conseil à recadrer d’urgence, les obliger à respecter la loi faite par des élus