Time Magazine. Génération compassion : quand l’altruisme efface l’avenir

Au bar de l’Océan, lisant l’édition en ligne du Times je lisais, lassé, une de ces histoires que la presse anglo-saxonne affectionne tant, le récit d’une jeune fille écossaise, décorée et consacrée par Time Magazine pour avoir imaginé un sac à dos solaire avec couverture chauffante, destiné aux sans-abri. La photographie, soigneusement composée, la montre en uniforme scolaire, fière comme une rockeuse en devenir, mais drapée dans l’auréole du sauveur.

L’Occident féminin, surtout dans sa jeunesse diplômée, cultive aujourd’hui cette étrange vocation. Les statistiques sont là, implacables, dans presque toute l’Europe, aux États-Unis, au Canada, les jeunes femmes s’alignent résolument sur la gauche. Ce n’est pas seulement une question d’opinion politique, mais d’horizon moral. Celles qui, jadis, auraient mis leur énergie dans la foyer, l’église ou la vie associative locale, la consacrent désormais à des causes planétaires, abstraites, souvent portées par les mots d’ordre les plus vaporeux, justice climatique, accueil inconditionnel, défense de minorités lointaines.

Il y a là un mécanisme psychologique que je vois à l’œuvre des deux côtés de l’Atlantique, un complexe du sauveur qui fonctionne d’autant mieux qu’il s’exerce sur des populations dont on ne partage ni la langue, ni la culture, ni les mœurs. Ce dévouement ostentatoire, que les Américains appellent virtue signalling, est moins une main tendue qu’un miroir tendu à soi-même. Il n’exige ni effort prolongé, ni mise en danger réelle. Il flatte l’image publique et, plus subtilement, apaise un sentiment d’inaccomplissement intime.

Beaucoup de ces jeunes femmes sont célibataires, sans enfants, issues de cursus universitaires saturés de militantisme féministe. Elles ont appris à se méfier, parfois à mépriser, les hommes dont elles partagent l”héritage génétique qui les entourent, tout en se drapant dans l’universalité de la compassion. Ce choix, ou ce repli, les rend d’autant plus réceptives aux promesses politiques d’un égalitarisme intégral. L’étude Gallup aux États-Unis en 2023, les enquêtes européennes et québécoises, convergent, l’écart idéologique entre jeunes hommes et jeunes femmes atteint des sommets inédits.

Le phénomène est ancien, mais il s’est accéléré depuis la grande vague #MeToo. Les jeunes militantes, en prétendant parler au nom de toutes les femmes, y ont vu la preuve qu’elles formaient un bloc social aux intérêts distincts, sinon antagonistes, de ceux des hommes. Les campus, avec leurs modules de gender studies, ont fourni le vocabulaire et l’armature idéologique. Dans ce cadre, un geste comme celui de la collégienne de Glasgow prend valeur de symbole, une héroïne qui réchauffe des corps dans la nuit glaciale, mais surtout une figure qui réchauffe le cœur des siens, cette communauté morale où l’appartenance ne passe plus par la famille ou la patrie, mais par l’adhésion à un récit de compassion universelle.

J’entends déjà l’objection, et les garçons ? Les mêmes études montrent qu’ils se détachent de ces causes, parfois avec véhémence. Ils glissent vers des positions plus conservatrices, soutenant des partis populistes ou nationalistes. Dans les mêmes tranches d’âge, l’AfD en Allemagne ou le Rassemblement National en France trouvent leur vivier. Ainsi se creuse un fossé politique, une polarisation par le sexe que Carl Schmitt aurait reconnue comme une nouvelle ligne de front, non plus l’ami et l’ennemi au sens géopolitique, mais l’ami et l’ennemi au cœur même de la cellule générationnelle.

À cela s’ajoute une réalité plus prosaïque et plus implacable encore. Ces femmes, pour la plupart, ne se reproduiront pas, ou bien le feront hors de leur groupe ethno-culturel. Comme les catholiques progressistes du temps postconciliaire, elles forment un groupe condamné à s’éteindre par sa propre logique. Cette extinction, si elle peut sembler salutaire au regard de la santé morale du corps social, n’en constitue pas moins un désastre démographique pour les Européens. C’est une génération perdue, dont la ferveur ne laissera derrière elle ni enfants ni héritage, seulement des portraits jaunis dans des magazines et quelques slogans oubliés.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : Thalassocraties
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Rugby

URC 2025. Bulls-Sharks et Leinster-Glasgow : les demi-finales opposent les deux hémisphères

Découvrir l'article

Rugby, Sport

URC Rugby – Présentation des quarts de finale : quatre duels pour la gloire

Découvrir l'article

Rugby

Rugby. La deuxième journée de United Rugby Championship débute ce soir ; les compositions et pronos

Découvrir l'article

Rugby, Sport

Rugby. Les Glasgow Warriors remettent leur titre en jeu en URC (United Rugby Championship) : présentation de la 1ère journée

Découvrir l'article

Rugby, Sport

Rugby. Les Glasgow Warriors renversent les Bulls et remporte le titre en URC (United rugby Championship)

Découvrir l'article

Rugby, Sport

Rugby. Leinster et Munster éliminés en URC, la finale opposera les Bulls à Glasgow

Découvrir l'article

Rugby, Sport

United Rugby Championship (URC). Le résumé des quarts de finale, le programme des demi-finales

Découvrir l'article

Tourisme

À la découverte de l’Écosse : 10 lieux incontournables à visiter en famille

Découvrir l'article

Rugby, Sport

Rugby. L’écart se resserre en United Rugby Championship (URC)

Découvrir l'article

Rugby, Sport

URC Rugby. Les Glasgow Warriors seuls en tête, le Leinster humilié

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky