Buenos Aires défie Milei, Washington lui tend la main

Le système monétaire argentin est une mécanique à plusieurs vitesses que le profane peine à saisir. Il y a d’abord le change officiel, celui qui fixe la valeur du peso face au dollar selon les interventions de la Banque centrale. Il y a ensuite les taux dits financiers, le MEP et le contado con liquidación, canaux légaux mais plus libres qui traduisent les nerfs du marché. Enfin, il y a le fameux « blue », marché parallèle qui, dans les rues de Buenos Aires, reflète sans fard la confiance ou la défiance des Argentins. Entre ces registres, l’État cherche à imposer des règles, souvent par des systèmes de bandes de change, corridor où la monnaie est autorisée à fluctuer mais à l’intérieur de limites définies. L’équilibre est fragile, car il ne dépend pas seulement de la technique, il repose avant tout sur la croyance qu’un ordre existe. Vilfredo Pareto l’avait entrevu : dans les phénomènes économiques, c’est la psychologie des foules, bien plus que la froideur des chiffres, qui gouverne la ruée ou la retraite.

La séquence s’est ouverte le 7 septembre par une défaite retentissante. Dans la province de Buenos Aires, cœur battant de l’électorat argentin, Javier Milei et son parti La Libertad Avanza n’ont recueilli qu’un tiers des voix, loin derrière le kirchnérisme regroupé dans Fuerza Patria. Ce revers, inattendu par son ampleur, a résonné comme un désaveu des réformes ultralibérales alors qu’en réalité ce sont les électeurs de Milei, découragés par les rumeurs de corruption, qui ont déserté les urnes. Axel Kicillof, gouverneur péroniste, a aussitôt exulté, Cristina Kirchner s’est empressée d’ironiser sur les « bulles » d’un président qu’elle accuse de scandales, et les rumeurs de corruption touchant sa sœur Karina, secrétaire générale de la présidence, ont enflammé les rédactions. Au sein même du mouvement présidentiel, des fissures se sont révélées, certains appelant à infléchir la stratégie, d’autres redoutant une implosion parlementaire.

Face au choc, Milei a tenté de corriger son image. Le 17 septembre, lors de la présentation du budget 2026, il a introduit des hausses substantielles pour les retraites, l’éducation, la santé et les aides aux handicapés, soit l’essentiel des dépenses publiques. L’austérité brutale qui faisait sa marque s’est trouvée ainsi édulcorée, au prix d’une contradiction manifeste avec son discours initial. Les observateurs y ont vu moins une inflexion idéologique qu’un geste dicté par la panique électorale. Dans le même temps, le Congrès, dominé par l’opposition, n’hésitait pas à lui infliger des humiliations, comme lorsqu’il fit annuler son veto à une loi augmentant les crédits pour les handicapés. Le président, isolé, apparaissait déjà comme un funambule suspendu entre ses promesses de rigueur et la pression sociale.

L’économie, jusque-là vitrine du mileïsme, a elle aussi été frappée par la tourmente. La défaite électorale a déclenché une ruée vers le dollar, effondrant le peso de plus de 12 % en quelques jours. Les actions ont plongé, le risque pays a bondi à des niveaux insoutenables, rappelant les pires souvenirs de l’Argentine en crise. C’est ici qu’il convient de citer une nouvelle fois Pareto : la panique naît moins des chiffres que des représentations collectives. Les Argentins, de longue mémoire, savent que la monnaie nationale est un radeau de fortune et que le dollar est le seul refuge. On a vu, à Buenos Aires, les files s’allonger devant les cambistes, le « blue » s’envoler, le MEP et le CCL s’emballer comme des coursiers lancés sans frein.

La Banque centrale, elle, s’arc-boutait pour défendre le corridor qu’elle avait fixé au printemps. Un système de bandes de change encadre désormais le peso : un plancher, un plafond, et l’engagement d’intervenir quand l’un ou l’autre est atteint. Tant que le marché croit à la détermination de l’autorité, le corridor discipline les flux, rassure les importateurs, incite les exportateurs à liquider. Dès que la confiance s’effrite, la bande devient cible, et l’institution doit déverser ses réserves pour tenir la digue. En trois séances, plus d’un milliard de dollars ont été sacrifiés, comme si l’équipage, pris dans la tempête, jetait par-dessus bord des barils pour alléger le navire. La gymnastique s’est doublée d’opérations à terme, où l’État perd d’une main ce qu’il tente de récupérer de l’autre. Le cercle est funeste : plus la spéculation teste, plus les réserves s’étiolent, plus le doute s’installe.

La microstructure révèle la précarité d’un tel régime. Les entreprises qui importent, qu’il s’agisse de composants industriels ou d’électronique grand public, achètent leurs stocks un jour sur la base d’un dollar à 1480 pesos, et les revendent deux jours plus tard avec une référence ramenée à 1375. Comment planifier, comment fixer des prix quand la valeur de la monnaie se retourne comme une crêpe ? Les taux d’intérêt exorbitants étranglent le crédit, les trésoreries s’assèchent. Dans ces conditions, une bande de change n’est pas seulement un instrument technique, c’est une fiction protectrice, un paravent fragile derrière lequel se recompose un semblant d’ordre. Elle ne dure qu’aussi longtemps que la croyance se maintient.

Pour regagner la confiance, Milei a joué sa dernière carte intérieure : offrir aux producteurs agricoles, pilier de l’économie, une suppression temporaire des taxes à l’exportation jusqu’à la fin d’octobre. Objectif : obtenir un afflux de dollars commerciaux pour alimenter la machine et soutenir la monnaie officielle. La mesure, populaire dans les campagnes, a aussi été perçue comme un expédient électoral, une manœuvre de court terme. La Banque centrale, délestée de ses réserves, espérait que ces liquidations agricoles serviraient de respiration. Le reste dépendait d’une planche de salut extérieure.

C’est alors que se produisit la scène new-yorkaise. Le président argentin, douzième voyage officiel aux États-Unis depuis son entrée en fonction, trouva dans le bureau de Donald Trump l’oxygène politique qui lui manquait. Scott Bessent, secrétaire au Trésor, annonçait des mécanismes de soutien : swaps de devises, achats de bons, lignes de crédit. Les marchés réagirent aussitôt, actions en hausse, obligations redressées, risque pays revenu sous la barre psychologique des mille points. Mais l’image qui marquera les mémoires n’est pas celle d’un graphique, c’est celle d’un cliché : Milei posant à côté de Trump, brandissant une copie imprimée du tweet présidentiel qui lui accordait un « soutien complet et total » pour l’avenir, jusqu’à une réélection en 2027.

La mise en scène tenait du théâtre politique. Trump, fidèle à son style, multiplia les superlatifs, louant un « leader fantastique », saluant une « transformation incroyable », allant jusqu’à promettre que l’Argentine « redeviendrait grande ». Autour de la table, Marco Rubio, Susie Wiles, Karina Milei et Luis Caputo, tous réunis pour donner à cette photo la densité d’une alliance. Dans la bouche de Trump, la bénédiction prenait des accents messianiques : Milei devenait son double latino-américain, miroir d’une Amérique qui croit encore au choc et à la volonté. Pour l’Argentine, ce fut un soulagement immédiat, un baume posé sur la blessure ouverte de Buenos Aires.

Reste à savoir si ce baume suffira. Les élections législatives du 26 octobre approchent, et la défaite provinciale demeure un avertissement. Les succès macroéconomiques de Milei, inflation jugulée, équilibre budgétaire retrouvé, se paient au prix d’une misère sociale persistante. Le soutien de Trump, aussi spectaculaire soit-il, ne vote pas dans les urnes argentines. Les Argentins jugeront non les accolades de New York, mais leur panier de courses à Lomas de Zamora ou à Mar del Plata. L’avenir dira si ce voyage fut un tournant ou un simple répit dans une tragédie cyclique.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT. Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine..

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