Le vent soufflait dru ce matin-là sur la pointe de Léchiagat, et les goélands se laissaient porter comme des cerfs-volants ivres au-dessus du port. De retour de ma promenade sur la longue digue qui protège le port, au café des Brisants, entre deux gorgées de café long, je découvrais dans le Financial Times un article qui, à mon sens, marquera l’histoire industrielle du siècle : “How mega batteries are unlocking an energy revolution”, signé de Nassos Stylianou, Sam Learner, Irene de la Torre Arenas et Sam Joiner.
Sous ce titre austère se cache une prophétie technologique. Les auteurs y décrivent l’essor fulgurant des « méga-batteries », ces unités de stockage à l’échelle du réseau, souvent dissimulées dans des alignements de conteneurs semblables à des blocs de fret posés au milieu du désert. Derrière ces cubes de métal, c’est la clef de voûte de la transition énergétique mondiale qui se dessine : la possibilité, enfin, de stocker le vent et le soleil.
La revanche de la Californie
Tout commence en Californie, raconte le FT, au cœur de l’été 2020. Une canicule d’une brutalité inouïe met le réseau électrique à genoux. Huit cent mille foyers plongés dans le noir : la première panne massive depuis vingt ans. Le soleil, saturant les lignes en milieu de journée, disparaît à la tombée du soir, laissant le réseau exsangue.
De cette défaillance est née une révolution. Cinq ans plus tard, la Californie a triplé sa capacité de stockage pour atteindre 13 gigawatts, et prévoit 8,6 de plus d’ici 2027. Ce ne sont plus seulement des batteries : ce sont des organes vitaux. Elles captent le surplus solaire de midi, l’accumulent dans leur matrice de lithium, puis le restituent au crépuscule, quand les foyers s’éveillent et que la consommation s’emballe.
Elliot Mainzer, président de l’opérateur Caiso, parle d’un « changement de dimension ». En vérité, c’est une révolution copernicienne : le temps de l’énergie cesse d’être linéaire. Grâce aux batteries, l’électricité n’est plus liée à l’instant de sa production. Elle devient une ressource gouvernable, presque docile.
Le monde s’équipe
La contagion est planétaire. Selon le FT, la capacité mondiale de stockage atteindra 617 gigawattheures en 2025, en hausse de 67 % sur un an, et sera multipliée par dix d’ici 2035. Les États-Unis et la Chine dominent, chacun couvrant près de 35 % des projets. Mais l’Australie, le Royaume-Uni, le Chili, l’Arabie saoudite et même les Pays-Bas se lancent dans cette course au stockage.
La Chine, en particulier, avance à marche forcée : 90 % de hausse annuelle attendue en 2025, selon Bernstein, portée par la croissance exponentielle des datacenters, des véhicules électriques et des climatiseurs. L’Empire du Milieu, qui produit déjà les trois quarts des batteries du globe, a compris que l’énergie pilotable est la nouvelle arme géopolitique. Comme le pétrole au XXᵉ siècle, le stockage devient un instrument de puissance.
Les prix, eux, s’effondrent. Depuis 2010, le coût des batteries lithium-ion a chuté de 90 %. Un conteneur standard de vingt pieds, qui délivrait autrefois 3 à 4 MWh, en fournit aujourd’hui jusqu’à 10. L’efficience double tous les cinq ans. L’article cite Iola Hughes, de Benchmark Mineral Intelligence, qui y voit la clé de la rentabilité : « la baisse du prix des matériaux et les progrès de conception ont transformé l’économie du stockage ».
Tesla et BYD rivalisent d’innovations : la première avec son Megablock, capable d’alimenter 400 000 foyers en vingt jours d’installation ; la seconde avec son système Haohan, deux fois plus dense. Le géant chinois, soutenu par Pékin, a industrialisé le stockage comme il a conquis l’automobile : par la série et la masse.
L’énergie comme marchandise périssable
Une phrase du Financial Times mérite d’être méditée : “Electricity is the ultimate perishable good.” L’électricité est, en effet, la denrée la plus éphémère qui soit : ce qui n’est pas consommé dans la seconde se perd. Les batteries deviennent ainsi les silos de blé de l’ère électrique, elles stabilisent les récoltes de soleil, conservent les excédents de vent, et les rendent disponibles à l’heure où la demande renaît.
Dans les pays du « sunbelt », de l’Inde au Mexique, du Maroc à l’Australie, les experts du Energy Transitions Commission estiment que l’association solaire-batteries pourrait couvrir la quasi-totalité des besoins d’équilibrage. À l’inverse, dans les zones plus septentrionales, où le vent domine, les batteries seules ne suffiront pas : il faudra leur adjoindre d’autres formes de flexibilité, comme le stockage hydraulique par pompage, le gaz d’appoint, ou les réseaux intelligents capables d’ajuster la consommation à la production.
La leçon française
Et la France ? Elle subit de plein fouet ce que le FT décrit à mots couverts : le coût du non-stockage. Parce que notre mix intègre pour des raisons de démagogie politique des énergies dites « non pilotables », le solaire et l’éolien, chaque rafale, chaque nuage, impose à EDF de jongler avec ses réacteurs nucléaires, conçus pour fonctionner à charge constante. La modulation de ces centrales, autrefois rare, est devenue quotidienne, usante, ruineuse.
Le résultat : des prix de marché qui plongent dans le négatif quand le vent souffle fort, puis explosent dès qu’il faiblit. En 2025, la France a déjà connu plus de 300 heures de prix négatifs, selon les chiffres repris par le FT. Cela signifie que les producteurs doivent parfois payer pour se faire acheter leur électricité ! Une aberration économique que seul le stockage peut corriger.
Pourtant, nos voisins restent à la traîne. Leurs STEP (barrages à pompage) vieillissent, leur filière batterie reste embryonnaire malgré les usines du Nord, et leurs règles de réseau, d’un archaïsme pathétique, taxent encore les opérateurs à la fois lorsqu’ils puisent dans le réseau et lorsqu’ils y réinjectent — une absurdité que les Anglais ou les Espagnols ont déjà abolie.
Ce que la Californie accomplit en trois ans, les Français mettent dix ans à le rêver. Ils payent leur attachement absurde à la centralisation jacobine.
Le futur selon Bernanos
Le Financial Times a raison : nous vivons un moment charnière de l’histoire énergétique. Après le feu, la vapeur et le pétrole, voici venue l’ère de l’électron maîtrisé. Non plus celui qui fuit, mais celui qui se souvient. Ces batteries géantes sont les premières pierres d’un nouvel ordre industriel ; elles annoncent la fin du gaspillage structurel et le retour d’une énergie ordonnée, prévisible, disciplinée.
Je regardais le port, en pensant à tout cela. Le vent gonflait les drapeaux bretons et bigoudens, un fier Kroaz du bien fatigué distinguait un modeste voilier, les lampadaires vibraient. Tout semblait prêt pour un basculement. L’électricité, jadis fugitive, deviendra demain un capital. Et la puissance ne résidera plus dans le charbon, ni même dans l’atome, mais dans la capacité à conserver le flux.
Et me revenait alors cette phrase de Georges Bernanos, écrite au lendemain de la guerre, dans La France contre les robots :
« L’espérance est un risque à courir. »
Car oui, ces batteries titanesques, promesses et périls mêlés, ne sont rien d’autre qu’un pari sur notre avenir, sur la possibilité de redonner à la technique un sens humain, à l’énergie un ordre, et à la civilisation un peu de continuité.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
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6 réponses à “La Révolution silencieuse des batteries géantes”
Avec des batteries ont peut stocker la journée un peu de l’énergie requise le soir. On ne pourra jamais stocker durant l’été l’énergie requise durant l’hiver. Or c’est par les froides nuits de janvier qu’on a le plus besoin d’électricité. C’est pourquoi la Chine continue à ouvrir des centrales à charbon tout en développant le solaire, et que partout dans le monde on a besoin de toujours investir dans des centrales traditionnelles, donc faire un double investissement. Le solaire ne fait qu’économiser du combustible (fossile ou uranium). Un stockage à grande échelle par batterie est irréaliste. Pour le coup je crois plus à l’éolien mer, plus continu ?
A Koad Konval, Pleiber-Krist, « ils » viennent d’installer 41 conteneurs de ces batteries géantes au lithium,
…au sud du Maner kozh et de sa chapelle disparue.
Il y avait déjà la ligne à haute tension qui borde l’antique demeure.
Il y avait déjà l’élevage de porcs industriel derrière le Manoir.
Il y avait déjà les éoliennes sur la butte tout près.
Il y avait déjà la Grand-route et son bruit assourdissant qui passe là, à 50 mètres.
Il restera quand même de ce bois disparu le nom qui en fait la mémoire pour ceux pour qui ces sons veulent dire quelque chose : Koad Konwal !
La Bretagne nous est confisquée, défigurée, niée de toutes les façons,
mais les noms de lieux,
ceux-là, ils sont plus difficiles à éradiquer.
Et ils crient aux oreilles des vrais Bretons
selon la prophétie du Christ lorsqu’il dit que si nous ne faisons rien
alors les « Pierres crieront ».
Ces mega batteries fonctionnent au lithium , que l’on tire des terres rares situées dans divers parties du monde . Comme pour le pétrole , première source d’énergie convoitée au 19 et 20ieme siècle vont elles engendrer des guerres sans merci ?
Où en sont les batteries au sodium, un matériau abondant, peu couteux, ne nécessitant pas de mines.
Autre solution, les enregistreurs en énergie cinétique (durée de vie 30 ans) adaptés pour les particuliers et les TPE;
Quant aux barrages pour emmagasiner l’énergie sous forme potentielle, la capacité de la France est derrière celles de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne !
« les goélands se laissaient porter comme des cerfs-volants ivres au-dessus du port. »
Appréciez la puissance descriptive et poétique de la Métaphore de Balbino !
Eh oui, c’est tout à fait çà !
J’attends avec impatience le feu dans ces batteries !