La source et le sang, quand la mort d’un chrétien irakien est le symbole d’une guerre de civilisations

En revenant de ma promenade sur les grèves de Lechiagat en direction de Lesconil, j’aime à m’arrêter à la chapelle Saint-Fiacre. Là, au pied du mur de granit, une source claire jaillit d’un bassin carré. On dit qu’elle guérissait autrefois les fièvres et les maux des yeux. Les anciens, avant même le christianisme, y déposaient des offrandes. Le lieu fut païen avant d’être sanctifié : une chapelle bâtie sur une fontaine sacrée, symbole de la lente alchimie qui fit naître la Bretagne chrétienne.

Ici, la foi ne remplaça pas la nature, elle l’assuma. Les moines du haut Moyen Âge comprirent que pour convertir les âmes, il fallait d’abord épouser le génie du lieu. Ils bénirent l’eau plutôt que de la condamner. Les pierres druidiques furent englobées dans les murs romans, les rituels anciens transfigurés en prières. Cette sagesse des bâtisseurs bretons tient en une seule idée : l’homme ne sauve rien s’il renie la source.

Assis sur le banc de pierre, je regardais couler l’eau sous la pluie. Dans le silence, il me semblait entendre le murmure des siècles, la réconciliation des deux fidélités, celle de la nature et celle du Verbe. Et c’est là, au cœur de cette paix immobile, que j’ai lu sur mon téléphone l’histoire d’un autre croyant : Ashur Sarnaya, chrétien d’Irak, réfugié en France, assassiné à Lyon pour avoir parlé du Christ sur un réseau social.

Un homme cloué à son fauteuil roulant, exilé pour sa foi, poignardé par un Algérien de vingt-sept ans. Il avait fui Mossoul pour échapper aux tueurs de l’État islamique. Il les a retrouvés ici, sous un autre ciel. Sur TikTok, il parlait de miséricorde, de paix, de pardon. Les commentateurs, anonymes et haineux, l’insultaient, le menaçaient : « Si on te trouve, on te tue. » Il répondait : « Paix du Christ à ceux qui m’écoutent. » Quelques mois plus tard, la prophétie s’est accomplie.

Les journaux ont raconté l’affaire avec la précision froide des faits divers. On y parle d’un tueur méthodique, d’un mandat d’arrêt européen, d’un mandat de dépôt. Tout y est exact, rien n’y est vrai. Car ce meurtre n’est pas un fait divers : c’est un signe.
Ashur Sarnaya n’est pas la première victime d’un islamisme de voisinage, d’un fanatisme banal, sans organisation mais non sans logique. Il est une victime parmi d’autres d’une seconde confrontation entre l’islam et l’Europe.

La première eut lieu au VIIIᵉ siècle : Poitiers, Narbonne, la marche d’Espagne. L’Europe naissante s’y découvrit comme entité politique en résistant à la poussée du Croissant. La seconde se déroule aujourd’hui, non plus sur les champs de bataille, mais dans les rues, les quartiers, les écoles. Elle n’oppose plus des armées mais des imaginaires. Jadis, l’islam venait du dehors ; aujourd’hui, il s’est installé dedans. Ce n’est plus une guerre de frontières, mais une guerre de frontières intérieures, culturelles, symboliques, spirituelles.

Ashur Sarnaya fut l’une des dernières victimes de cette guerre d’un genre nouveau : un chrétien d’Orient tué pour avoir parlé du Christ en Occident. L’ironie est tragique. Il croyait avoir trouvé refuge au pays de la laïcité, cette France qu’il imaginait protectrice, juste, hospitalière. Il y a trouvé le même fanatisme qu’à Mossoul, mais masqué sous la banalité du quotidien.

Le politologue Gilles Kepel parle d’un « djihadisme d’atmosphère » : cette imprégnation diffuse qui transforme certains esprits en bras armés sans commandement. C’est le climat, plus que le complot, qui fait le crime. Les menaces sur les réseaux, les insultes ordinaires, la tolérance molle de nos institutions : tout cela forme le terreau. L’assassin d’Ashur Sarnaya n’est pas un monstre isolé, mais le produit d’une civilisation en déséquilibre.

Dans cette lumière, la chapelle Saint-Fiacre prend un sens prophétique. Les moines d’autrefois avaient su absorber l’ancien monde dans le nouveau. Ils avaient domestiqué le paganisme par la bénédiction. L’Europe d’aujourd’hui, elle, ne bénit plus rien : elle tolère. Elle ne convertit plus, elle s’excuse d’exister. Là où ses ancêtres avaient intégré les dieux déchus dans le temple, elle laisse les temples tomber en ruine par crainte de froisser les nouveaux dieux.

Le drame d’Ashur révèle l’impuissance de nos États modernes : la neutralité laïque ne suffit pas à défendre les âmes. Car le fanatisme n’est pas un phénomène politique, c’est une puissance religieuse inversée. Il naît là où le sacré se vide. Lorsque l’Europe a cessé de croire, elle a ouvert la place à ceux qui croient encore, mais contre elle. Spengler l’avait évoqué dans Le Déclin de l’Occident : « Les civilisations meurent non de la violence de leurs ennemis, mais de leur incapacité à affirmer leur forme. »

Ashur Sarnaya fut tué parce qu’il incarnait ce que nous ne savons plus défendre : une foi tranquille, une parole simple, un courage sans colère. Il rappelait à notre vieille Europe qu’elle avait été bâtie sur la croix, et non sur le consensus. C’est pourquoi sa mort dérange : elle nous renvoie à ce que nous avons perdu.

Je songeais à cela en quittant la chapelle. Le vent s’était levé, la mer battait le pied du muret, et la source continuait de couler, infatigable. Elle a vu passer les Celtes, les Romains, les moines, les guerres et les apostasies. Peut-être coulera-t-elle encore quand nos églises seront vides et nos prières muettes. Mais elle gardera mémoire de ceux qui auront su croire, fût-ce seuls, fût-ce jusqu’à la mort.

C’est là, peut-être, notre ultime espérance : qu’au milieu du vacarme des idéologies, il reste quelque part une eau pure, symbole d’un ordre plus ancien que la peur. Et qu’un jour, quand les bruits du monde se seront tus, cette source reprenne la parole que les chrétiens d’Europe ont perdue : « Au commencement était le Verbe. »

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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