Karina Milei et le “Mage” Caputo : duel au sommet du pouvoir libertarien

Assis sur la dune de Lechiagat, face à la roche de Karreg Hir, j’écoutais sur mon téléphone la télévision argentine, relié à mes écouteurs pour échapper au cri des mouettes et au grondement de la mer. Sur l’écran, Carlos Pagni parlait d’un ton calme, précis, presque paternel. Sur La Nación+, il disséquait les secousses du pouvoir mileïste comme un vieux marin décrypte les courants de la baie. Depuis Buenos Aires, il observait la politique comme un météorologue observe un ciel d’orage, attentif aux changements d’air plus qu’aux éclairs.

Pagni est aujourd’hui le karinalogue en chef, celui qui s’emploie à comprendre les humeurs de Karina Milei, sœur du président, régente officieuse d’un pouvoir construit sur le désordre. C’est elle qui fait et défait les alliances, désigne les élus, trace la frontière invisible entre les fidèles et les traîtres. Figure muette, presque hiératique, Karina rappelle ces abbesses médiévales qui gouvernaient les monastères par la seule autorité de leur silence.

Face à elle, un homme s’est levé : Santiago Caputo, surnommé le Mago, stratège de l’ombre devenu, à la faveur de son propre mythe, rival du pouvoir qu’il servait. C’est un enfant de la nouvelle droite argentine, nourri de Bannon et de Twitter, convaincu que la communication vaut doctrine et que la ferveur numérique suffit à faire un peuple. À sa suite, une légion de jeunes libertariens confondent esthétique et politique, mêlant dans leurs louanges l’éloge du chef et le culte de sa beauté. Leurs messages oscillent entre le slogan et la prière, comme s’ils espéraient conjurer la réalité par l’image.

Pagni le dit sans ironie : une religion parallèle est en train de naître. Le caputisme prétend restaurer la pureté du projet originel, celui d’un libertarisme incandescent, sans compromis, sans Parlement, sans lenteur. Karina, au contraire, tente de réinscrire le pouvoir dans le réel, d’accepter la médiation, de construire une continuité. L’un incarne la verticalité mystique, l’autre la patience institutionnelle. C’est le conflit immémorial entre le feu et la pierre.

Au fond, le duel du Mago et de la sœur répète celui qui travaille nos sociétés depuis un siècle : faut-il gouverner ou inspirer, durer ou brûler ? Caputo représente l’hystérie de la modernité, cet âge des reflets où le monde se vit à travers ses images. Karina incarne la pesanteur des structures, la mémoire lente de l’État. Entre eux, Milei se débat comme un prophète devenu comptable, obligé de transformer son cri en budget, son élan en texte de loi.

Ce que Pagni met en lumière, c’est la fin d’une illusion. Le pouvoir, qu’on le veuille ou non, obéit aux lois de la gravité. La ferveur, même sincère, ne remplace pas les institutions. L’Argentine vit aujourd’hui sa fatigue des miracles. L’ordre libertarien n’a pas restauré la liberté, il a simplement déplacé la confusion.

Je songeais, en écoutant cette voix perdue entre les rafales, à ce qu’aurait pu écrire Ernst Jünger : « Chaque époque porte son ivresse et sa désillusion. » L’Europe, comme l’Argentine, vit dans cette oscillation. Nous avons nos Caputo, nos Karina, nos présidents-mages qui promettent la renaissance et s’enlisent dans les sables mouvants de la technique. L’homme moderne veut que la politique soit magique, instantanée, délivrée des médiations. Il oublie que les peuples, eux, ont besoin de durée.

La mer montait, recouvrant peu à peu la roche de Karreg Hir. J’enlevai mes écouteurs. Le vent d’ouest balayait les dernières phrases de Pagni. Il me sembla que le tumulte du monde s’y résumait tout entier : des magiciens sans royaume, des sœurs sans couvent, et des peuples qui, toujours, cherchent la liberté dans les mirages du pouvoir.

Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
[email protected].

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Article relu et corrigé par ChatGPT. Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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