« Les chrétiens du Moyen-Orient ne peuvent pas survivre uniquement grâce à l’aide humanitaire » : le message fort de Metin Rhawi au Conservative Summit de Bratislava [Interview]

Croisé au Conservative Summit de Bratislava, Metin Rhawi incarne une voix rare : celle d’un peuple oublié, dispersé et pourtant déterminé à survivre. Petit-fils de survivants du génocide du Seyfo, responsable des affaires étrangères de l’Union syriaque européenne, il porte sur ses épaules l’histoire blessée mais tenace des Assyriens-Syriaques.

Né et élevé à Södertälje, ville suédoise où vit une importante diaspora, il mêle engagement politique, activisme culturel et missions sur le terrain au Moyen-Orient. À travers ses visites en Irak et en Syrie, il décrit une réalité brutale, bien éloignée du récit occidental : communautés vidées, quotas manipulés, absence totale de représentation politique.

Pour lui, la survie chrétienne ne dépend plus de symboles, mais de pouvoir concret, d’autonomie, de sécurité locale. Sans cela, avertit-il, les chrétiens de la région resteront des « citoyens invisibles ». Dans cet entretien, il revient sur le trauma non résolu du Seyfo, les erreurs de l’Europe, et la nécessité urgente pour son peuple d’obtenir enfin une reconnaissance politique.

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Breizh-info.com : M. Rhawi, vous êtes le petit-fils de survivants du Seyfo, le génocide Assyrien. Comment cette histoire familiale a-t-elle influencé votre engagement politique et votre travail pour la cause syriaque ?

Metin Rhawi : L’histoire de ma famille m’a façonné d’une manière que je ne comprenais pas pleinement quand j’étais enfant. J’avais cinq ans lorsque ma grand-mère m’a raconté pour la première fois comment ses deux jeunes frères avaient été massacrés, une scène qui l’a hantée toute sa vie. Elle s’habillait toujours en noir, était souvent silencieuse ou en larmes, et portait un traumatisme visible à la fois dans son calme et dans sa tendresse envers nous, ses petits-enfants.

Ces histoires ont façonné mon sens de la justice. J’ai demandé à mon père de me raconter tout ce qu’il savait sur le traitement réservé aux chrétiens en Turquie et sur la façon dont lui et ses amis avaient été battus pendant leur service militaire simplement parce qu’ils étaient chrétiens.

Pourtant, je ne me suis engagé politiquement qu’en 2004, lorsque nous avons fondé Suroyo TV. Le documentaire The Silent Scream a été un tournant. Après l’avoir vu, j’ai senti que je ne pouvais plus rester passif : je devais agir pour la dignité et la reconnaissance de mon peuple.

Breizh-info.com : En tant que responsable des affaires étrangères de l’Union syriaque européenne, quelles sont selon vous les menaces les plus urgentes auxquelles sont confrontées aujourd’hui les communautés suryoye (assyriennes/araméennes/chaldéennes/syriaques) en Irak et en Syrie ?

Metin Rhawi : La plus grande menace est l’affaiblissement à long terme de notre peuple par la fragmentation religieuse, culturelle et politique. Après la Première Guerre mondiale, notre patrie historique a été morcelée et nous avons été rendus invisibles au sein des nouveaux États que sont la Turquie, l’Irak et la Syrie.

Nous avons été persécutés à la fois en tant que chrétiens et en tant que peuple autochtone de la région. Notre langue a été interdite, notre culture marginalisée et notre représentation politique systématiquement sapée.

Il est également important de comprendre notre mémoire collective : lorsque les missionnaires chrétiens d’Europe sont arrivés au Moyen-Orient, ils ont « converti » presque exclusivement des personnes qui étaient déjà chrétiennes, c’est-à-dire notre propre peuple. Cela n’a pas contribué à répandre le christianisme, mais a plutôt approfondi les divisions au sein de nos communautés.

À ce jour, de nombreux Suryoye (Assyriens/Araméens/Chaldéens/Syriens) ont le sentiment que les chrétiens européens ont tendance à privilégier les groupes catholiques ou protestants au Moyen-Orient, tandis que les chrétiens orthodoxes comme nous sont rarement considérés comme leurs véritables « frères dans la foi ». Cela a porté atteinte à notre confiance envers l’Europe.

Dans le même temps, nous devons nous souvenir du rôle historique joué par la France en Syrie après la Première Guerre mondiale. La France a donné aux chrétiens la possibilité de créer leurs propres organisations culturelles, sportives et politiques. L’influence française a également contribué à améliorer le niveau d’éducation et d’alphabétisation de tous les Syriens. Nous espérons que la France d’aujourd’hui continuera à soutenir la Syrie dans son ensemble, et en particulier mon peuple, afin que la nouvelle Syrie reste multiconfessionnelle et culturellement diversifiée, fondée sur les mêmes valeurs de fraternité, d’égalité et de liberté qui ont autrefois constitué le fondement même de la France.

Breizh-info.com : Vous décrivez souvent le Seyfo comme un « traumatisme sans résolution ». Que manque-t-il encore pour une véritable reconnaissance et une justice réelle ?

Metin Rhawi : Ce qui manque, c’est une reconnaissance claire et officielle, ainsi que des excuses.

La Turquie, en tant qu’État successeur de l’Empire ottoman, a l’obligation morale de reconnaître le Seyfo. L’Irak porte la responsabilité du massacre de Simele en 1933, et le régime baasiste syrien a poursuivi la répression en réduisant les chrétiens à une minorité docile. Au Liban, des dizaines de milliers de personnes sont mortes de faim en 1915 lorsque les autorités ottomanes ont bloqué l’approvisionnement en nourriture.

Avant tout, pour nous, la reconnaissance du Seyfo est la reconnaissance de notre identité. Lorsque le génocide est nié, notre existence, notre histoire et notre statut de peuple autochtone sont également niés.

Sans reconnaissance, il ne peut y avoir de véritable réconciliation. Et sans réconciliation, il ne peut y avoir de confiance entre les descendants des auteurs et les descendants des victimes.

La réconciliation n’est pas du sentimentalisme, c’est la seule voie vers un avenir juste et pacifique.

Breizh-info.com : Lors de vos visites à Erbil, dans la plaine de Ninive et en Syrie, quelles réalités sur le terrain contredisent le discours occidental sur la protection des minorités après l’État islamique ?

Metin Rhawi : Le discours occidental se concentre souvent sur des projets de reconstruction symboliques : une église ici, une maison là. Mais cela ne change pas l’avenir de nos communautés.

Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’une protection politique : une administration autonome, une prise de décision locale et nos propres forces de sécurité.

À Bagdad comme à Erbil, nos sièges parlementaires attribués selon un système de quotas sont manipulés par des groupes qui ne font pas partie de notre peuple. Nous ne pouvons même pas choisir nos propres représentants. Le fondement même de la démocratie est remis en cause.

En Syrie, la situation est encore plus alarmante : le nouveau parlement a été « sélectionné » par moins de 10 000 personnes. Ceux qui sont au pouvoir désignent simplement ceux qui décideront pour les autres, avec pour principe directeur non pas de servir l’ensemble de la population, mais leurs propres intérêts. Selon les statistiques de 2012, la Syrie aurait dû compter près de 15 millions d’électeurs éligibles, ce qui contraste fortement avec l’absence de véritable représentation.

Breizh-info.com : L’ESU (European Syriac union) réclame depuis longtemps l’autonomie administrative pour la plaine de Ninive. Cet objectif est-il toujours réaliste ?

Metin Rhawi : Oui, absolument. Lors d’une conférence au Parlement européen en 2017, huit partis se sont mis d’accord sur cette revendication, et d’autres les ont rejoints depuis. Une région autonome est essentielle à la survie de notre peuple en Irak.

Sans autorité politique, nous resterons toujours vulnérables.

Breizh-info.com : Vous parlez de « solidarité sélective » : accueillir les chrétiens persécutés, mais les encourager à rentrer chez eux une fois la sécurité rétablie. Pourquoi cette distinction est-elle si importante ?

Metin Rhawi : J’aimerais que notre peuple n’ait jamais à quitter sa patrie. Mais lorsqu’il le fait, nous devons également nous efforcer de créer les conditions de son retour. Beaucoup de ceux qui vivent comme réfugiés dans la région souhaitent en fait rentrer chez eux, si la sécurité s’améliore.

Le pluralisme, la coexistence et les droits des minorités sont essentiels pour l’avenir du Moyen-Orient.

Je tiens à souligner que les chrétiens du Moyen-Orient constituent le lien le plus sérieux, le plus fiable et le plus fondé sur des valeurs entre la région et l’Europe. Nous incarnons des valeurs telles que le pluralisme, l’État de droit et l’éducation, non pas comme des idées importées, mais comme faisant partie de notre identité historique.

Breizh-info.com : D’après votre expérience à Bruxelles et à Genève, les institutions européennes comprennent-elles vraiment les risques existentiels auxquels sont confrontés les chrétiens au Moyen-Orient ?

Metin Rhawi : Malheureusement, pas entièrement. Les institutions européennes interprètent souvent la politique au Moyen-Orient à travers le prisme européen gauche-droite, qui ne s’applique pas dans cette région. Cela peut conduire à soutenir des acteurs qui, dans la région, sont profondément conservateurs ou islamistes, ce qui nuit directement aux communautés chrétiennes.

Bruxelles et Genève doivent comprendre que pour qu’un changement durable et significatif puisse avoir lieu, la mentalité de la majorité doit évoluer, passant d’une position dominante à une position d’autonomisation des groupes plus petits et moins nombreux. Sans ce changement de mentalité, les efforts politiques et humanitaires resteront limités et de courte durée. À l’heure actuelle, les persécutés pourraient avoir la possibilité de se venger et même de persécuter leurs anciens oppresseurs, ce qui ne ferait que perpétuer le cycle de la violence au lieu de permettre la justice ou la réconciliation.

Breizh-info.com : Vous avez critiqué la politique régionale de la Turquie. En quoi menace-t-elle aujourd’hui l’identité suryoye ?

Metin Rhawi : La Turquie cherche à dominer la région et se considère comme l’héritière de l’Empire ottoman. Dans cette vision, les chrétiens sont censés vivre comme des dhimmis, c’est-à-dire subordonnés et dépendants de la protection d’autrui.

C’est pourquoi la Turquie s’oppose à toute forme d’autonomie administrative ou de pouvoir politique pour les groupes syriaques/assyriens.

Breizh-info.com : Votre ville natale, Södertälje, est souvent citée en exemple dans les débats sur l’immigration. Comment la communauté suryoye a-t-elle réussi à préserver son identité tout en s’intégrant à la société suédoise ?

Metin Rhawi : En créant des institutions : des églises, des associations, des fédérations nationales, des clubs sportifs et des chaînes de télévision. Ces structures ont préservé notre langue, notre culture et notre identité. Dans le même temps, l’intégration a relativement bien fonctionné car il existe une affinité fondée sur des valeurs entre notre peuple et la Suède, même si cette dernière est très sécularisée.

Breizh-info.com : Lors du sommet conservateur de Bratislava, vous avez parlé de l’avenir des chrétiens au Moyen-Orient. Quel message souhaitiez-vous faire passer le plus clairement aux conservateurs européens ?

Metin Rhawi : Les chrétiens du Moyen-Orient ne peuvent pas survivre uniquement grâce à l’aide humanitaire. Ils ont besoin de pouvoir politique, de forces de sécurité locales et d’être reconnus comme le peuple autochtone de la région. L’Europe doit également reconnaître nos institutions civiques et nos partis politiques, et pas seulement nos églises.

Breizh-info.com : L’unité entre les chrétiens du Moyen-Orient reste fragile. Que faut-il pour construire une voix syriaque plus forte et mieux coordonnée au niveau international ?

Metin Rhawi : L’unité exige que nous obtenions des mandats politiques dans nos pays d’origine. L’Europe peut aider en soutenant une grande conférence où les représentants religieux et politiques présenteraient des revendications communes.

Nous sommes le peuple autochtone de la région. Si nous sommes aujourd’hui peu nombreux, c’est à cause des génocides répétés. Cela doit être reconnu pour qu’une véritable réconciliation soit possible.

Breizh-info.com : Enfin, pour les jeunes Suryoye d’Europe qui se sentent éloignés de leurs racines, quelle est la clé pour reconstruire leur identité, leur confiance et leur sens de l’objectif ?

Metin Rhawi : L’Europe devrait enseigner le Seyfo et notre histoire. Cela renforce les jeunes et prévient de futurs génocides. En même temps, nous devons créer des liens vivants avec nos pays d’origine.

Plus important encore, nous devons dépasser la mentalité de victime et construire une identité fondée sur la fierté et la responsabilité tournée vers l’avenir. Les jeunes Suryoye doivent comprendre qu’ils portent à la fois un héritage et une mission : revendiquer leurs droits, contribuer à la réconciliation et continuer à construire notre identité.

Propos recueillis par YV

Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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