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Stephen Hawking, remarquable révélateur et diffuseur de la science de son temps

Un scientifique à la ‘Une’ de toute la presse mondiale. C’est la performance réussie post mortem par Stephen Hawking. Le physicien retraité de Cambridge était né le 8 janvier 1942, trois cents ans jour pour jour après la mort de Galilée. Il est mort à 76 ans ce mercredi 14 mars, jour anniversaire de la naissance d’Albert Einstein.

Coïncidences de calendrier mises à part, et bien que plus célèbre qu’eux, Hawking n’a pas eu exactement la dimension créatrice de ses deux prédécesseurs. Il a surtout marqué l’époque par ses talents de vulgarisateur. Son handicap (une maladie de Charcot neuro-dégénérative, atteignant les fibres musculaires), dont il se serait bien passé, a contribué à en faire une star de la propagation scientifique. L’un de ses livres, Une brève histoire du Temps (1988), dicté par des moyens électroniques après la perte de l’usage de la parole, a été vendu à près de 10 millions d’exemplaires sur la planète. Il y résumait les principales notions en usage dans la cosmologie moderne, du big bang aux théories les plus récentes de la microphysique. Il reconnaissait : « Je suis certain que mon handicap est en relation avec ma notoriété. Les gens sont fascinés par ce contraste entre mes capacités physiques limitées et la nature si étendue de l’Univers que j’étudie. »

Les théories générales en usage en physique, gravitation relativiste et physique quantique, ont été élaborées en dehors de lui et ne lui doivent rien. Mais il a contribué plus particulièrement à un chapitre très actuel de la cosmologie générale, celui concernant les trous noirs. Comment lui en est venue l’idée ? Il y a là un chapitre de l’histoire de la physique que personne ne cite dans les bouquets d’hommages posthumes lancés en direction de Hawking. Et pourtant, la France est concernée.

Hawking a participé, en 1972, à l’université d’été des Houches, en Haute-Savoie. Il s’agit là de sessions de travail de trois semaines environ, accueillies, avec le gratin de la physique pour professeurs, dans des chalets un peu rustiques mais avec des salles de cours donnant sur le mont-Blanc. Pépinière de futurs nobélisables et nobélisés, elles furent initiées par la mathématicienne et physicienne Cécile Morette, ancienne étudiante de Joliot-Curie à Paris, puis enseignante à l’université de Caen (où avait brillé Henri Poincaré), avant de rejoindre Princeton à l’invitation de Robert Oppenheimer (l’organisateur du laboratoire de Los Alamos, qui mit au point la première bombe nucléaire). Elle épousa en 1951 le physicien nord-américain Brice DeWitt, futur auteur, avec son collègue John Archibald Wheeler, de la célèbre équation dite ‘de Wheeler-DeWitt’ (1967), appliquée au champ gravitationnel quantique sans référence à la dimension ‘temps’.

Il se trouve, d’une part, que Cécile Morette-DeWitt, initiatrice des stages estivaux aux Houches, rédigea de nombreux travaux sur ce que les physiciens nomment une ‘intégrale des chemins’, laquelle a abouti, à la fin des années 1940, aux formulations quantiques de Richard Feynmann (Nobel 1965), partout utilisées depuis lors dans cette spécialité, notamment par Hawking.

Il se trouve, d’autre part, que Cécile Morette-DeWitt rédigea, en compagnie d’Yvonne Choquet-Bruhat, un traité fondamental intitulé Analysis, Manifolds and Physics. Elles y détaillaient ce qui allait devenir la physique des ‘trous noirs’ en cosmologie. Yvonne Choquet, remarquable mathématicienne et première femme admise à l’Académie des Sciences du quai de Conti, avait travaillé dans les années 1950-52 les équations de la physique relativiste. Elle avait longuement discuté à Princeton avec Albert  Einstein, pour le convaincre qu’un certain type de résolution des équations du champ gravitationnel en relativité générale pouvait mettre en évidence des solutions à densité infinie. Ce sont précisément ces choses bizarres, ressemblant à un effondrement d’un astre sur lui-même suite à une surconsommation d’énergie nucléaire interne, qui allaient devenir les ‘trous noirs’ en cosmologie.

Thibault Damour, le physicien français qui rédigea les équations mettant au clair les traces gravitationnelles de collisions de trous noirs, bien avant leur première observation (voir notre article du 12 février 2016), rendit très tôt hommage à Yvonne Choquet qui l’inspira (voir notre article du 3 juin 2017), et en compagnie de laquelle, nonagénaire fringante, il fêta dans un restaurant la première observation de coalescence de trous noirs.

C’est bien grâce aux deux amies, Yvonne Choquet et Cécile Morette, que la physique des trous noirs fut enseignée et diffusée. Elles initièrent aux Houches des recherches décisives relatives à ces phénomènes, notamment auprès de Hawking en 1972. Cécile Morette décéda en mai 2017, peu de jours avant la troisième observation d’une fusion de trous noirs.

C’est dans ce domaine, précisément, que Hawking a apporté en 1974 un point de théorie aujourd’hui tenu pour fondamental, bien qu’aucune observation de ne l’ait encore confirmé. Bien avant que Damour ne parie sur des traces gravitationnelles de fusions de trous noirs, Hawking revenant des Houches a parié sur des traces quantiques de telles coalescences, autrement dit : des traces relevant de la physique des particules.

Du seul point de vue théorique, cela semblait jusqu’alors impossible : la valeur infinie de la gravitation devait, selon les théoriciens, interdire toute trace énergétique de la coalescence. Hawking calcula néanmoins la possibilité du contraire. Si, dans l’effondrement d’une masse stellaire, la concentration de matière devient en quelque façon infinie, alors la distinction matière-antimatière n’a plus de sens. Dès lors, il doit exister une sorte de « vaporisation » de particules inabsorbables par l’effondrement. En sorte que les trous noirs ne resteraient pas ‘noirs’ puisqu’ils émettraient des particules. Pour l’heure, la chose n’a pas été détectée, mais les machines à observer sont branchées.

Ce succès théorique de Hawking, reconnu par ce qui se nomme entre soi la ‘communauté scientifique’, témoigne en faveur d’une forte capacité à l’abstraction, et d’une certaine virtuosité dans la mise au net d’intuitions théoriques originales.

Le domaine où les intuitions de Hawking ont moins convaincu est celui du big bang en général. Il s’était persuadé qu’il était, à force d’abstraction, proche de formuler une ‘théorie du tout’ [Theory of Everything, ou TOE (doigt de pied) en anglais] qui lui donnerait accès au « langage de Dieu au moment de la création ». C’était très ambitieux mais irréaliste. D’autant que la physique de l’Univers s’est, depuis, heurtée au mur de l’Unité générale, une unité métaphysique impossible à formuler en physique (voir Gautier, L’Univers existe-t-il ?, Actes Sud, 1997). La cosmophysique est depuis lors, et comme il se devait, retournée à sa vocation première, celle d’une science des pluralités, avec les fameux Multivers. Reste que l’espérance de Hawking a marqué son époque. Il fut en cela un remarquable révélateur – et un remarquable diffuseur – de la science de son temps.

Jean-François Gautier

Crédit photo :Lwp Kommunikáció/Flickr (cc)
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