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Javier Portella : « Seul un grand mouvement populiste peut devenir le levier d’un véritable changement. » [Interview]

Nous avions évoqué récemment l’ascension du parti Vox en Espagne, un évènement historique depuis la chute de Franco, et qui témoigne de l’écroulement progressif des partis « traditionnels » qui ont gouverné l’Europe de l’Ouest depuis plusieurs décennies.

Pour évoquer cette « reconquista » espagnole, nous avons interrogé Javier R Portella, philosophe et essayiste.

Il est l’auteur de plusieurs livres, dont deux sont parus en français: La liberté et sa détresse et Les esclaves heureux de la liberté, ainsi que du Manifeste contre la mort de l’esprit et de la terre, publié dans sept langues et lancé en 2002 avec l’appui de l’écrivain colombien Alvaro Mutis. Il dirige à Madrid la revue culturelle et le journal en ligne ElManifiesto.com.

Breizh-info.com : Qu’est–ce que le parti VOX, qui vient d’effectuer une percée lors d’élections en Andalousie ? Est–il comparable à d’autres partis en Europe ? Quelles sont ses grandes lignes ?

Javier Portella : VOX est un jeune parti identitaire – populiste de droite, si vous préférez – dont les principaux dirigeants, parmi lesquels son leader, Santiago Abascal, ont quitté il y a quelques années le Partido Popular (libéral de droite) lorsque celui a pris une dérive faite, entre autres, d’atermoiements et de concessions face à l’indépendantisme catalan et basque.

Si le problème du séparatisme revêt en Espagne une importance cruciale, celle-ci devient encore plus grande lorsque, comme c’est le cas de Santiago Abascal et de toute sa famille, on a fait longtemps l’objet des menaces et des attaques de la bande terroriste ETA, Abascal lui-même ayant dû avoir, 24 heures sur 24 et pendant des années, la protection de deux gardes du corps. 

Il y a deux grands axes dans la politique de VOX. D’une part, la lutte contre le séparatisme et, d’une façon plus générale, la mise en question de « l’État des autonomies », c’est-à-dire le système fédéral instauré par le régime actuel. La faillite d’un tel système est manifeste. Non seulement parce que l’indépendantisme en a profité pour faire sécession, mais parce qu’il est à la source de la corruption engendrée – partout, non seulement dans les régions séparatistes – par le plus grand pouvoir clientéliste connu dans notre histoire. C’est pourquoi VOX prône la suppression des pouvoirs politiques qui, avec toute leur cohorte de fonctionnaires sans fin, un tel système a mis en place ; notamment les pouvoirs concernant un enseignement où, à l’heure actuelle, on apprend aux enfants de certaines régions à haïr les autres, ainsi qu’à n’étudier que la géographie locale et les petits faits historiques du terroir.

L’autre grand axe de la politique de VOX concerne le combat contre l’immigration de peuplement, ainsi que la défense des intérêts économiques des couches populaires face à la mainmise des élites mondialistes (par le moyen, notamment, d’une très forte diminution de l’exaction fiscale). Dans ce cadre, ce que VOX met en question, c’est l’ensemble de la bien-pensance et du politiquement correct, que ce soit en s’attaquant aux hystéries féministes et aux délires de l’idéologie du genre, ou en défendant des traditions et des coutumes profondément ancrées dans le peuple espagnol, comme les processions religieuses ou la corrida, des traditions qui, elles aussi, seraient interdites par les gauchistes libertaires si la possibilité leur en était donnée.

Ceci dit, il est évident qu’une grande question reste ouverte chez VOX, tout comme, d’ailleurs, dans la plupart des mouvements identitaires : son positionnement à l’égard des questions économiques et des moyens à mettre en œuvre pour faire droit aux revendications populaires. En particulier, la mise en question de l’UE – limitée jusqu’à présent à une critique de sa bureaucratisation – demeure une des questions clés à l’égard desquelles il faudra bien que VOX se positionne en toute clarté.

Breizh-info.com : Comment expliquez-vous, vous qui analysez depuis longtemps la vie politique espagnole, l’émergence d’un tel parti ?

Javier Portella : Une telle émergence n’est pas du tout étonnante. Ce qui est étonnant, c’est que le surgissement d’une véritable force identitaire et populiste ait tardé si longtemps à apparaître ! Pourquoi l’Espagne, à la différence de la plupart des autres pays européens, a-t-elle connu un tel retard ? Il faut en chercher les raisons dans la léthargie qui pendant ces derniers quarante ans s’est emparée du peuple espagnol, endormi sous l’effet du plus puissant des somnifères : l’emprise du politiquement correct, renforcé chez nous par la crainte d’apparaître comme ayant des accointances, si légères fussent-elles, avec le franquisme.

Mais tout a une limite. Et la limite qui a permis de mettre fin à une telle situation, c’est que les choses sont allées vraiment très loin. Tellement loin que lorsque les sécessionnistes catalans ont fait le coup d’État par lequel, au mois d’octobre de l’année dernière, la République indépendante de Catalogne a été proclamée – l’espace, il est vrai, de quelques secondes (!) –, l’ensemble du peuple espagnol a enfin pris conscience qu’on était au bord du gouffre. Et quand on est au bord du gouffre, deux choses seulement peuvent arriver : soit on y tombe définitivement et tout est fini, soit on ouvre les yeux et on parvient à se ressaisir.

C’est cette dernière possibilité qui s’est produite. Et si, jusqu’à il y a quelques mois, à peine osait-on prononcer le nom « Espagne » (pour l’éviter, on disait « Este país » : « Ce pays » ; même pas « Notre pays »), voilà que ce même peuple craintif et engourdi est maintenant en train de redevenir fier de son identité nationale – comme le prouve l’apparition tout à fait spontanée d’un grand nombre de drapeaux aux fenêtres et balcons, quelque chose qui aurait été tenu pour ringard, voire « facho », il y a à peine quelques mois. Du même coup, ce sont tous les autres aspects de l’identité malmenée par l’esprit gaucho-libéral-libertaire qui, eux aussi, sont mis au pilori.

Breizh-info.com : Qui est José Antonio Ortega Lara ?

Javier Portella : José Antonio Ortega est un ancien fonctionnaire de prisons qui a été enlevé par les terroristes de l’ETA basque en 1996, Il est resté enfermé pendant un an et demi (532 jours, très exactement) dans une cache souterraine, humide et sans fenêtres de 3 x 2,5 mètres et 1,8 mètres de haut où, tout au plus, il ne pouvait que faire trois pas. Il fut découvert encore vivant et libéré par la Guardia Civil en 1997. Ayant rejoint le Partido Popular, il l’a quitté en 2008 pour fonder un peu plus tard, avec Santiago Abascal, le parti VOX, dont il est une des figures de proue.

Breizh-info.com : Quelle est la situation politique en Espagne ? Le parti VOX peut–il rapidement devenir incontournable dans le pays ?

Javier Portella : Ça en a tout l’air, surtout si VOX continue sur sa lancée et ne déçoit pas les espoirs qu’il a fait naître en très grand nombre. Et puisque les dirigeants de VOX sont les premiers à savoir que la moindre compromission ou défaillance leur coûterait très cher, et puisqu’il n’y a aucun signe permettant de craindre de telles défaillances, tous les espoirs sont pour l’instant permis. Étant donné que le ras-le-bol des gens restera là, il ne pourra se traduire que dans une progression constante de ceux qui y font résolument face. De toute façon, c’est au mois de mai qu’on y verra plus clair, lors des élections européennes, doublées peut-être par des élections nationales si le socialiste Sánchez jetait enfin l’éponge et se décidait à ne plus gouverner avec une minorité de 84 sièges et le soutien des communistes et séparatistes de tout poil. Mais, après leur déconfiture en Andalousie, le plus probable est qu’il s’accrochera le plus longtemps possible aux prébendes du pouvoir.

Pour en revenir à VOX, l’effet « boule de neige » qui se produit dans les médias lors de l’émergence d’un tel nouveau-venu, joue aussi à sa faveur. Si jusqu’à présent VOX n’y disposait pas d’une seconde d’attention, voilà qu’il est devenu depuis dimanche dernier le grand sujet dont on n’arrête pas de parler.

Il va sans dire que la plupart du temps cette attention médiatique est faite, comme partout ailleurs, de malveillance et d’insultes, les termes « xénophobie » et « extrême droite » étant l’épouvantail habituel par lequel la démonisation est entreprise. Ou intentée – car, au vu des résultats des élections en Andalousie, elle semblerait avoir même un effet d’encouragement.

Breizh-info.com Par ailleurs, comment est perçue, en Espagne, la révolte des Gilets jaunes en France ? Quelle est votre analyse sur ce mouvement ?

Javier Portella : Jusqu’à présent, mais cela est en train de changer, les grands médias n’ont pas accordé à la révolte des Gilets jaunes toute l’importance qu’elle mérite. Malgré cela, il y a déjà eu à Saragosse une première manifestation de Gilets jaunes espagnols contre la hausse du diesel (la mondialisation nous rend décidemment tous pareils !), d’autres manifestations étant également annoncées dans plusieurs villes.

Il va sans dire que je partage tout à fait la sympathie et la solidarité que soulève la révolte des Gillets jaunes. En même temps, je me pose la question que, j’imagine, bien des gens doivent se poser en France : quel peut être l’avenir de ce mouvement, dont la nature populaire et spontanée est à saluer avec joie, s’il demeure dépourvu d’une véritable direction politique ; ou, pire, si cette direction finissait par être exercée par les amis mondialistes et remplacistes (pour parler comme Renaud Camus) de Jean-Luc Mélenchon ?

Posons la question d’une façon plus générale. Il est évident que seul un grand mouvement populiste peut devenir le levier d’un véritable changement. C’est très clair et la question n’est pas là. La question est : un mouvement populiste peut-il jamais réussir, une société peut-elle changer de fond en comble si des élites dignes de ce nom, des élites n’ayant donc rien à voir avec celles qui aujourd’hui nous étouffent, ne voient pas le jour et jouent le rôle de commandement qui leur appartient ? Poser la question, me semble-t-il, c’est y répondre.

Propos recueillis par Yann Vallerie

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

 

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